Le Twitter d'Elon Musk va quitter Wall Street...mais va avoir besoin de financements

Après le rachat d'Elon Musk, Twitter va quitter les marchés publics. Le milliardaire va se retrouver comme unique investisseur pour redresser une entreprise qui peine à trouver son modèle économique depuis 16 ans, et dont le chiffre d'affaires dépend de la publicité en ligne, qui traverse une période trouble. Analyse.
François Manens
(Crédits : Reuters)

Enfin ! Après six mois de rebondissements, et sous la pression de la justice, Elon Musk a conclu le rachat de Twitter pour 44 milliards de dollars. Le milliardaire fantasque n'a pas tardé à imprimer sa patte avec une blague potache pour annoncer son arrivée, suivi du licenciement de plusieurs dirigeants dont le CEO Parag Agrawal pour se nommer lui-même à ce poste.

Prochaine étape pour le nouvel actionnaire majoritaire de Twitter : la sortie du Nasdaq, l'indice des valeurs tech à Wall Street, qui devrait avoir lieu dès aujourd'hui. Quand il avait présenté son offre, Elon Musk avait précisé qu'il retirerait Twitter du marché public lorsqu'il deviendrait l'actionnaire principal. Si ce départ ne devrait pas trop affecter les revenus du groupe, il pourrait en revanche forcer des mesures de transparence pour continuer à montrer pattes blanche aux annonceurs. La publicité représentait encore 89% des plus de 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires du groupe en 2021.

Elon Musk ne devrait pas être forcé à réintroduire Twitter en Bourse

« Aujourd'hui, je pense que Twitter n'a pas vraiment besoin d'être coté en Bourse pour attirer les publicités. Après plus de dix ans, les annonceurs connaissent les bons comme les mauvais côtés de la plateforme », estime auprès de La Tribune Jacques-Aurélien Marcireau, co-directeur des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management. En revanche, si Elon Musk veut transformer Twitter en une machine à cash, ou du moins arrêter les pertes et rembourser sa dette de plus de 13 milliards de dollars contractée pour finaliser l'acquisition, il a deux enjeux à adresser : attirer plus de personnes sur son réseau, et inciter les annonceurs à privilégier Twitter aux autres plateformes pour leur budget publicitaire.

En effet le réseau social n'a toujours pas stabilisé son modèle économique en 16 ans d'existence, et peine énormément à dégager des bénéfices (270 millions de dollars de pertes nettes sur le dernier trimestre). Certes, l'entreprise parvient à faire grossir sa base d'utilisateur -l'indicateur essentiel pour les publicitaires- avec plus de 240 millions de membre actifs mais cette communauté reste bien plus petite que celles d'Instagram, Facebook ou TikTok, tous largement au-dessus du milliard, et même que celle de Snapchat dans une moindre mesure.

Le projet de Elon Musk pour changer cette tendance reste encore très largement flou. Le milliardaire a simplement évoqué le nom "X" et suggéré qu'il comptait faire de Twitter la base d'une application à tout faire (réseau social, paiement, discussion...), sur le modèle du géant chinois WeChat. Comme le rappelle le Wall Street Journal, le milliardaire a aussi affirmé qu'il espérait atteindre plus d'un milliard d'utilisateurs de Twitter dans les 5 à 10 années à venir... alors que le réseau social est à peine au quart de cet objectif et que sa base d'utilisateurs croît lentement. Quoiqu'il en soit, le nouvel actionnaire va devoir faire des investissements pour atteindre ses objectifs.

Trois options pour financer la croissance de Twitter

Pour financer la croissance de Twitter, trois options s'offrent à Elon Musk, projette Jacques-Aurélien Marcireau. Première option : le milliardaire finance de sa poche en temps qu'actionnaire très largement majoritaire, ce qui est possible puisque malgré ses récents déboires, il reste sur le podium des personnes les plus riches de la planète. Mais sa capacité de financement va dépendre de la réussite de ses autres investissements comme SpaceX et surtout Tesla. Deuxième option : il va chercher des financements auprès de grands fonds privés, mais il diluerait ainsi sa participation dans l'entreprise. Troisième et dernière option : Elon Musk décide de réintroduire Twitter en Bourse pour s'ouvrir aux portefeuilles des investisseurs publics. « La réintroduction en Bourse n'est donc qu'une option parmi d'autres. Elle est intéressante plus parce qu'elle offre un gage de transparence [les sociétés côtés doivent se plier à l'édition de plusieurs rapports pour leurs actionnaires, ndlr] que pour le financement. Aujourd'hui, le marché n'a pas envie d'investir sur de la tech non rentable », estime l'analyste.

S'il décide de garder le statut de société privé, il devra s'adapter. « Twitter est le genre de société où la transparence est toujours bienvenue. Les annonceurs veulent s'assurer que le ciblage publicitaire et la modération sont correctement effectués. Elon Musk va devoir faire preuve de volontarisme sur la question de la transparence, et communiquer encore davantage », affirme Jacques-Aurélien Marcireau. Cette nécessité de transparence apparaît d'autant plus essentiel que les annonceurs doutent déjà des conséquences du rachat.

Les publicitaires déjà dans le doute

A peine en poste, Elon Musk s'est déjà fendu d'un communiqué à destination des annonceurs, peu après que leurs craintes soient remontées dans les médias. Ces derniers mois, le milliardaire, qui se présente comme un défenseur de la liberté d'expression absolue, a annoncé qu'il changerait la modération de la plateforme et qu'il lèverait le bannissement de Donald Trump. L'ancien président américain avait été expulsé après ses propos sur l'insurrection du 6 janvier 2021 contre le Capitole, et il a depuis fondé son propre réseau, Truth Social. Il a expliqué qu'il ne souhaitait pas revenir sur Twitter, mais si c'était le cas, plusieurs annonceurs pourraient retirer leurs budgets.

Comme un pompier, Elon Musk a écrit qu'il voulait que Twitter soit « un endroit digital commun, où une large variété de croyances peuvent être débattues de façon saine. » Il promet que Twitter « ne peut devenir un enfer où tout pourrait être dit sans conséquence ».  Malgré cette opération séduction, le réseau social va tout de même se confronter à la « récession fantôme » qui frappe le secteur de la publicité en ligne.

Dans les conditions économiques actuelles, les annonceurs délaissent les plateformes publicitaires vues comme secondaires, comme YouTube et Snapchat dont les croissances de revenus ont fortement ralenti sur le trimestre. Twitter entre dans cette catégorie, car « aucune marque ne dira qu'elle doit absolument être sur Twitter », estime Jacques-Aurélien Marcireau. « A l'inverse, les entreprises peuvent difficilement se permettre de ne plus être présentes sur Google Search ou Amazon », ajoute-t-il.

Un problème de ressources humaines en gestation ?

Musk pourrait avoir un autre problème : celui de la rétention des talents. Le milliardaire vient de passer six mois à dénigrer Twitter, de sa politique de modération à son modèle économique. Le Washington Post a ensuite affirmé qu'il prévoyait de remercier trois quart des effectifs, un propos démenti par Musk dans la foulée. Mais les employés pourraient être tentés d'aller voir ailleurs sur un marché de l'emploi qui reste très avantageux pour eux dans la Silicon Valley, malgré le ralentissement des recrutements. D'autant plus qu'un des outils les plus couramment utilisés pour retenir les employés les plus qualifiés -la rémunération en action de l'entreprise- n'est plus accessible au groupe.

En résumé, Elon Musk est dans une situation délicate, et joue gros. « Il ne faut pas oublier que la clôture de l'acquisition est une défaite pour Musk », rappelle l'analyste, avant de conclure, « il ne faudrait pas que ce soit l'acquisition de trop qui mette son empire en péril ».

Lire aussiElon Musk dit racheter Twitter au nom de « l'avenir de la civilisation »

François Manens

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.