Microsoft arrête de favoriser Teams dans sa suite Office : réussira-t-il à s'éviter le courroux de l'UE ?

Dans l'espoir de s'éviter une enquête antitrust de l'Union européenne, le géant américain a accepté de ne plus pré-installer sa messagerie professionnelle Teams dans sa suite bureautique Office 365, utilisée par 320 millions de personnes dans le monde. Une bouffée d'air frais pour la concurrence, notamment Slack, mais trop tardive pour rebattre les cartes.
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

Microsoft cède face à la Commission européenne. D'après une information du Financial Times, le géant américain va arrêter de favoriser l'utilisation de son logiciel de visioconférence Teams auprès des 320 millions d'utilisateurs de sa suite bureautique Office, qui comprend notamment Word, Excel ou encore Powerpoint.

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L'objectif pour Microsoft : s'éviter le déclenchement d'une enquête officielle de la Commission européenne pour abus de position dominante. D'après plusieurs médias, le régulateur avait demandé ces derniers mois aux clients et concurrents de Microsoft de lui fournir des éléments caractérisant la distorsion de concurrence, ce qui annoncerait l'ouverture imminente d'une enquête. En arrêtant dès maintenant la pratique dans le viseur du régulateur, Microsoft espère enterrer le dossier, ou du moins réduire la sanction potentielle si l'enquête devait quand même être lancée dans les prochains jours ou semaines. Les efforts de Microsoft pourraient, en effet, être considérés comme « trop peu, trop tard » par Bruxelles.

Victoire trop tardive pour Slack, éclipsé par Teams

Cette décision de Microsoft est incontestablement une victoire pour les autres outils de productivité du marché, et notamment pour son concurrent Slack. En 2020, le pionnier des outils collaboratifs en entreprise avait porté plainte auprès de la Commission européenne contre Microsoft pour abus de position dominante. Slack accusait Microsoft de forcer l'utilisation de Teams en l'installant automatiquement avec la suite Office 365, en l'intégrant nativement avec Word, Excel et Powerpoint, en empêchant sa suppression, et en restreignant sa compatibilité avec d'autres outils n'appartenant pas à Microsoft. Slack, qui était alors proche de Teams en nombre d'utilisateurs, demandait à l'UE d'obliger Microsoft à proposer Teams en tant qu'outil indépendant de la suite Office 365.

Mais la première victoire de Slack est douce-amère, car trop tardive. Teams, 270 millions d'utilisateurs fin 2022, s'est déjà imposé comme le leader incontestable du marché des outils de collaboration en entreprise, largement devant Slack, qui plafonne à... 20 millions d'utilisateurs en mars 2023. Or, avant le Covid, c'est Slack qui évangélisait très rapidement le marché grâce à sa plateforme intuitive et pratique de communication par texte et vidéo, et qui semblait destiné à rafler la mise. Mais c'est Teams qui a bénéficié de la plus forte croissance post-Covid liée à la généralisation de l'usage, en partie parce que l'outil est intégré à la suite Office 365.

Slack vs Teams

[Graphique du site Business of Apps].

Les chiffres sont éloquents : Teams est passé de 20 millions d'utilisateurs en novembre 2019 à 44 millions en mars 2020, puis à 75 millions en avril 2020... et à 270 millions d'utilisateurs fin 2022. A titre de comparaison, Slack revendiquait 10 millions d'utilisateurs fin 2019, moitié moins que Teams, et n'avait progressé qu'à 18 millions fin 2022, ce qui représente à peine 7% des utilisateurs de Teams.

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Microsoft à nouveau dans la tourmente auprès de l'UE

Si la décision de Microsoft ne réussissait pas à convaincre les autorités européennes, le géant californien subirait sa première enquête antitrust depuis plus d'une décennie. Sa dernière amende, d'un montant alors record de 561 millions d'euros, remonte à 2013 et ressemble beaucoup au comportement dénoncé aujourd'hui par Slack. Microsoft a été condamné pour avoir favorisé son propre navigateur web, Internet Explorer, auprès de ses clients sur Windows. L'enquête avait été lancée en 2008, et Microsoft avait dès 2009 accepté d'offrir aux clients européens le choix de leur navigateur lors de l'installation du système d'exploitation Windows. Mais la Commission européenne avait estimé que Microsoft n'avait pas bien respecté cet accord.

Le géant a également deux autres gros dossiers en cours à Bruxelles. Le premier concerne l'acquisition, pour 69 milliards de dollars, de l'éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard, qui propulserait Microsoft comme le numéro 3 mondial du secteur. Bruxelles doit toujours approuver cette opération hautement stratégique pour Microsoft.

Le deuxième dossier très sensible est celui du cloud. Le leader européen, le tricolore OVHCloud, a déposé plainte à l'été 2021 pour abus de position dominante. Il accuse Microsoft de diverses pratiques visant à handicaper le déploiement de ses logiciels sur les clouds rivaux, dans le but de pousser les utilisateurs à migrer chez lui. Une autre plainte, déposée en 2020 par l'allemand NextCloud, reproche pour sa part à Microsoft de favoriser son service de stockage de fichiers OneDrive sur Windows, au détriment de la concurrence.

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Le problème des offres groupées (bundle)

L'étau semble donc se resserrer autour de Microsoft et des autres géants du numérique, soumis à de nouvelles régulations et notamment le Digital Markets Act (DMA), qui vise à empêcher les pratiques anticoncurrentielles et qui entrera en application dès cette année. Microsoft souhaite absolument éviter que la Commission européenne tranche en faveur de Slack et l'oblige à ne plus commercialiser ensemble son offre Teams et son offre Office 365.

Un « bundle » (offre groupée) est forcément très attractif pour le consommateur car il est moins cher que les deux offres achetées séparément. Mais cette pratique consolide les positions dominantes des entreprises comme Microsoft qui ont les moyens de se déployer dans plusieurs branches d'activité et de créer des passerelles qui, de fait, découragent les utilisateurs de la concurrence.

Or, c'est précisément la plus grande force des géants américains, qui déploient une stratégie d'écosystème fermé. En plus de Microsoft (cloud + suite bureautique + outils de productivité + jeux vidéos...), le meilleur exemple est sans doute Apple, deuxième capitalisation boursière mondiale. La firme de Tim Cook maîtrise le matériel informatique (l'ordinateur, le smartphone, la tablette, la montre connectée), l'infrastructure logicielle qui le fait tourner (les systèmes d'exploitation iOS, MacOS...), le magasin applicatif par lequel doivent passer toutes les applications du marché pour pouvoir être distribuées sur un produit Apple (l'App Store et son "péage" qui fait hurler les développeurs), et tout un écosystème de services qui ne fonctionnent que sur ses appareils (Apple Music, Apple TV+, Apple Arcade pour les jeux, Fitness+ ...) et que la marque regroupe dans un « bundle » au tarif imbattable... et fortement problématique pour la concurrence qui n'a pas les moyens de rivaliser.

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Le Digital Markets Act (DMA), le nouveau règlement européen voté l'an dernier, met en place d'indéniables avancées pour favoriser la concurrence, mais il ne règle pas la question des offres groupées. En revanche, il doit permettre de désinstaller facilement sur son téléphone, son ordinateur ou sa tablette des applications pré-installées (d'où le revirement de Microsoft sur Teams), rendre interopérables les services des uns avec les autres, ou encore empêcher les entreprises d'imposer leurs propres logiciels par défaut à l'installation de leur système d'exploitation.

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Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 27/04/2023 à 14:04
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Ça va faire mal pour Microsoft, pris en flagrant délit de récidive. On voit mal comment la société pourra échapper à une sanction très très lourde. Après Internet Explorer + Windows Media Player dans Windows, Teams dans Office, Microsoft continue d'a...

à écrit le 26/04/2023 à 15:57
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"Trop tardif" - oui et non. Oui parce que microsoft aurait déjà du être attaquée il y a 2 ans sur ce sujet, et effectivement, certains moutons élevés à a mise à jour windows foireuse auront du mal à se libérer. Non parce que tout le monde n'est pas u...

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