Numérique : mettre le digital au cœur du village

[THE VILLAGE] Pour lutter contre la fracture numérique, notamment dans les zones rurales et parmi les populations fragiles, la France doit mettre la tech au service du bien commun. Et instaurer, par exemple, des places de village ou des écrivains publics numériques.
Philippe Mabille
Alors que les métropoles comme Toulouse ou Montpellier sont tech-friendly, les zones rurales, elles, vivent souvent en marge de la révolution digitale.
Alors que les métropoles comme Toulouse ou Montpellier sont tech-friendly, les zones rurales, elles, vivent souvent en marge de la révolution digitale. (Crédits : iStock)

Qui a dit : « Le numérique ne doit pas être réservé aux plus agiles, ni aux plus favorisés, ni aux plus urbains. Chacun doit y trouver les moyens de gagner en autonomie, d'avoir la capacité d'agir, d'entreprendre et de choisir sa vie » ? Emmanuel Macron. Prenant le président de la République au mot, La Tribune a donc profité de cette deuxième édition de The Village pour mesurer si les belles paroles issues de la "Stratégie nationale pour un numérique inclusif" étaient ou non en train de devenir une réalité dans le village de Saint-Bertrand-de-Comminges. La réponse a été sans surprise : en termes d'accès aux réseaux, assez calamiteux dans cette région des Hautes-Pyrénées, comme en matière de formation et d'information aux usages du numérique, il reste encore beaucoup de travail pour y parvenir.

Le constat national - 13 millions de personnes en difficulté avec le numérique, 40% de la population pas à l'aise avec les démarches administratives en ligne, à commencer par la déclaration de revenus - est perçu comme un frein dans cette région Occitanie où vivent de nombreuses personnes âgées fréquemment isolées. À côté des grandes métropoles tech-friendly comme Montpellier ou Toulouse, les zones rurales vivent souvent à côté, en marge de la révolution digitale.

Le défi de "l'illectronisme"

Pourtant, celle-ci est à l'évidence un levier de désenclavement et de développement. L'atelier "Les nouvelles technologies au service de tous" qui a réuni élus de la région et experts du digital, a permis de convenir qu'au XXIe siècle, le combat contre "l'illectronisme" est aussi essentiel que celui mené (et toujours pas gagné) contre l'illettrisme. Les deux allant souvent de pair.

L'un des problèmes est que tout le monde ne perçoit pas encore les bénéfices du numérique, vécu comme une source de complexité et de disparition des services publics de proximité, alors qu'il devrait être un outil de lien social et économique. C'est notamment le cas des personnes âgées souvent démunies face aux nouvelles technologies, et même méfiantes, par exemple à l'égard de la télémédecine qui pourtant pourrait aider à lutter contre les déserts médicaux. Mais c'est aussi le cas des jeunes, à l'aise pour jouer en ligne sur leur ordinateur ou leur smartphone, mais qui ne savent pas utiliser la tech pour rechercher un emploi, en particulier parmi les populations où le niveau d'éducation est le plus faible.

Face à cette réalité, la stratégie gouvernementale se déploie sur trois objectifs : atteindre et orienter les publics ciblés, structurer une offre de formation et de médiation, mobiliser des financements avec l'idée par exemple d'un « chèque culture numérique », et des actions associant les territoires en partenariat avec des entreprises publiques et privées.

Passer à la tech à impact social

Mais pour ne pas rester spectateur face au numérique, le groupe de travail a plaidé pour une généralisation de la formation dès l'école primaire et plus encore au collège et du lycée. Conviction des participants : l'intelligence artificielle va démocratiser l'accès au numérique en rendant, à terme, la technologie invisible.

Autre préconisation de l'atelier : donner accès au numérique à chacun dans les zones rurales en créant une place de village numérique, ou une fête du numérique, pour démocratiser les nouveaux usages. Une des propositions les plus originales du workshop a été de nommer dans chaque commune une fonction d'écrivain public numérique à qui tous pourraient s'adresser afin d'apprendre à utiliser ces outils, notamment pour les relations avec l'administration. Mais l'idéal serait que les démarches en ligne soient rendues plus simples d'accès. Un travail de design sur les plateformes pourrait être généralisé, en plaçant l'utilisateur au centre, pour que l'e-administration soit au service des citoyens.

Enfin, un enjeu plus global est de s'assurer que le numérique soit réorienté en faveur du bien commun, un mouvement appelé "tech for good". Selon les participants à The Village, la France, qui comme l'Europe, a perdu la bataille de la data gagnée par les Gafa, peut, si elle s'en donne les moyens, devenir leader dans cette "tech for good".

Un exemple, parmi d'autres, parfaitement adapté au local : la startup bordelaise Hopen Family propose une box pour connecter les grands-parents à leurs enfants et petits-enfants, afin de partager des photos ou des vidéos en temps réel. La création d'un label français de la "tech for good" et de la tech à impact social pourrait inciter à passer à l'échelle des initiatives locales au service d'une croissance inclusive.

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ENCADRÉ

Les trois propositions de l'atelier
"Les nouvelles technologies au service de tous"

  • 1. Créer un chèque de médiation numérique pour permettre aux usagers de se faire accompagner dans leur apprentissage aux outils digitaux.
  • 2. Créer des places de village numériques pour favoriser l'entraide et l'appropriation des nouveaux usages par les citoyens. Par exemple avec des maisons du numérique ou en formalisant une fonction d'écrivain public numérique pour aider les plus fragiles dans leurs démarches administratives.
  • 3. Mettre l'utilisateur au cœur de la modernisation des services publics numériques en systématisant une approche centrée sur l'expérience client et en généralisant la conception centrée sur l'utilisateur dans l'élaboration des plateformes.

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Les change markers qui ont contribué au workshop : Isabelle Mashola (cofondatrice d'Isahit), Victor Godinho (responsable territorial Occitanie Ouest de l'école du Simplon), Antoine Bidegain (adjoint à la Direction générale du numérique et des systèmes d'information chez Bordeaux Métropole), Joël Aviragnet (député de la 8e circonscription de la Haute-Garonne), Elisabeth Grosdhomme-Lulin (DG de Paradigmes et cætera), Nadia Pellefigue (vice-présidente déléguée au développement économique de la région Occitanie).

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 10/09/2018 à 21:48
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Quand on lit le charabia "on line des trois propositions de l'atelier "Les nouvelles technologies au service de tous", je me dis que ce n'est pas gagné. Que ces pédantissimes informaticiens emploient des mots simples, un langage direct car celui-ci ...

à écrit le 10/09/2018 à 8:54
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Ça il est évident que la sagesse paysanne dont héritent les ruraux tacitement fera que vous aurez du mal à nous vendre vos objets connectés. Moi pouvoir faire fonctionner mon four à 200 km de chez moi ben... ça m’intéresse pas ! Tout comme au...

à écrit le 08/09/2018 à 20:47
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En français on dit "numérique" et non "digital", sinon, c'est que vous mettez un doigt... Faire du franglais ne rend pas des actions plus modernes...

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