Procès de l'App Store : le gouvernement américain, allié inattendu d'Epic Games face à Apple

Alors qu'Apple avait gagné l'an dernier une première victoire cruciale contre l'éditeur de jeux vidéo Epic Games validant le modèle économique de son App Store, le ministère de la Justice américain estime que la cour a mal interprété le droit et a obtenu de pouvoir plaider sa cause lors du procès en appel, prévu en octobre. Tout est relancé. Et l'enjeu dépasse largement le seul conflit entre les deux marques. Explications.
Sylvain Rolland
(Crédits : Dado Ruvic)

Rebondissement spectaculaire dans le procès Apple contre Epic Games. L'éditeur du jeu vidéo Fortnite avait obtenu d'énormes concessions il y a un an de la part d'Apple, mais il avait été débouté sur le fond : la juge d'un tribunal californien avait rejeté l'accusation selon laquelle Apple violait le droit de la concurrence en faisant de son magasin applicatif, l'App Store, la porte d'entrée obligatoire des développeurs pour toucher les utilisateurs sur mobile. Epic Games avait alors fait appel de cette décision.

Mais à un mois du procès en appel, prévu pour le 21 octobre prochain, le vent pourrait tourner. Le fer de lance de la contestation mondiale anti-Apple s'est trouvé un allié inattendu et d'un grand poids : le ministère américain de la Justice. Celui-ci a produit un rapport dans lequel il estime que le jugement de 2021 est basé sur une mauvaise interprétation du droit, qui a conduit la juge a commettre « plusieurs erreurs qui pourraient mettre en danger l'application du droit de la concurrence dans l'économie numérique ». Rien de moins. Le ministère de la Justice a même obtenu, en fin de semaine dernière, le droit d'envoyer un représentant à l'audience en appel afin de faire entendre ces arguments.

De la légalité ou non du business des magasins applicatifs

Apple est accusé depuis des années par un nombre de plus en plus conséquent de développeurs d'applications d'abuser de sa position dominante sur le marché mobile via son App Store, le magasin applicatif par lequel toutes les applications doivent être téléchargées quand on utilise un appareil mobile d'Apple. Le géant californien pèse à lui seul un peu plus de 20% du marché mondial des smartphones, et plus de 50% aux Etats-Unis.

Les développeurs s'estiment donc soumis à une forme de racket numérique : en plus de les obliger à passer par l'App Store pour que le public trouve leurs applications, Apple les force à utiliser uniquement le système de paiement de l'App Store pour chaque achat réalisé dans leur application mobile, et prélève au passage une commission non-négligeable de 30% sur chaque transaction, réduite à 15% dans certains cas spécifiques comme la première année de vie d'une application si son chiffre d'affaires n'atteint pas le million de dollars.

Estimant ces pratiques déloyales, l'éditeur de jeux vidéo Epic Games, connu notamment pour les jeux Fortnite, Grand Theft Auto ou Among Us, a lancé en 2020 son propre système de paiement, ce qui a engendré son exclusion de l'App Store pour violation des règles d'utilisation. Epic Games a riposté en attaquant Apple en justice pour abus de position dominante et en fédérant tous les mécontents de l'App Store au sein de la Coalition for App Fairness (« coalition pour l'équité des applications »), rejointe par des centaines d'éditeurs dont Spotify ou Deezer, qui eux aussi critiquent les pratiques d'Apple dans l'univers mobile. Depuis, la firme à la Pomme s'est vue intenter plusieurs actions en justice, y compris en France où l'association Le Geste, qui représente des éditeurs de presse dont Le Figaro ou L'Equipe, a porté plainte en août dernier, contre « le monopole délibéré, anti-concurrentiel et injustifiable » de l'App Store qui pénalise les revenus des médias dans l'environnement mobile.

Ces attaques sont importantes car elles ne visent pas simplement Apple mais le modèle économique même des magasins applicatifs. Elles mettent la justice face aux limites actuelles du droit de la concurrence, où des entreprises comme Apple et Google (dans les magasins applicatifs), Amazon (dans le commerce en ligne ou le cloud) ou Facebook (dans la publicité) sont, grâce à la puissance de leurs plateformes que l'Union européenne qualifie désormais de « structurantes », à la fois juge et partie des pratiques de l'ensemble de leur secteur.

Sentant le vent tourner partout dans le monde et les régulations se durcir à l'image du Digital Markets Act européen qui vise à réformer le droit de la concurrence, Apple a proposé de lui-même, en 2021, d'autoriser les applications à avoir leur propre système de paiement. C'était en réalité une tactique de communication visant à anticiper l'inévitable, puisqu'Apple y a été formellement obligé quelques mois plus tard, lors du jugement de septembre 2021, confirmé en novembre. Ce jugement indique que les développeurs d'applications peuvent désormais envoyer un courriel sur mobile pour informer leurs utilisateurs qu'ils ont désormais le choix entre payer via l'App Store ou via leur propre système de paiement.

Une victoire pour les éditeurs, mais ternie par l'autre partie du jugement, largement favorable à Apple. « Apple ne détient pas de monopole sur le marché des transactions dans les jeux mobiles », avait estimé la juge, faisant référence notamment au Google Play Store de Google, autre magasin applicatif sur Android, plus utilisé que l'App Store partout dans le monde sauf aux Etats-Unis. Apple y voyait alors une « immense victoire » qui validait « le modèle économique de l'App Store ».

Ne pas faire jurisprudence

Malgré sa victoire partielle, Epic Games avait donc fait appel du jugement de novembre 2021. Car ce succès cachait en fait une défaite dans le sens où la cour n'avait pas estimé qu'Apple abuse de sa position dominante, et validait donc de fait le modèle économique qui pose problème aux développeurs d'applications, assimilable selon eux à une rente ou un droit de passage déraisonnable pour avoir accès au marché.

C'est sur cet enjeu que portera le jugement prévu en octobre : éviter que la décision de novembre 2021 fasse jurisprudence. L'appui du gouvernement américain, qui estime que la juge a mal interprété le droit, sera précieux. Selon le gouvernement, de nombreux accords et pratiques pourraient se retrouver non protégés si le jugement restait inchangé et faisait jurisprudence.

De son côté, Apple oppose toujours le même argument : il estime qu'autoriser le téléchargement d'applications en dehors de l'App Store poserait des risques en termes de sécurité. Les développeurs d'applications le contestent. Le ministère de la Justice a quant à lui précisé ne pas prendre position sur les mérites des arguments de chaque partie. Verdict le 21 octobre prochain.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 23/09/2022 à 0:12
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Sans surprise les démocrates soutiennent Epic Games sous contrôle de la société écran du PCC Tencent...

à écrit le 19/09/2022 à 17:21
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"Le juge a mal interprété le droit " En bon français : le juge s'est fait graissé la patte !

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