Une fois n'est pas coutume, Facebook a été prompt à réagir. Quelques jours après la création d'un compte WhatsApp "d'assistance à la population" par le nouveau pouvoir taliban en Afghanistan, le groupe américain, qui possède la messagerie, a décidé de le fermer. La raison ? L'obligation de se "plier aux lois américaines sur les sanctions", a déclaré un porte-parole du réseau social aux médias, "ce qui inclut l'interdiction de comptes qui se présentent comme des comptes officiels des talibans". Effectivement, les talibans sont considérés comme une organisation terroriste par la loi américaine. "Nous les avons bannis de tous nos services selon notre règlement sur les organisations dangereuses", a précisé Facebook, qui indique donc que la simple présence d'un compte officiel taliban enfreint ses règles d'utilisation.
Les talibans, qui ont pris le pouvoir à Kaboul dimanche, avaient annoncé la semaine dernière avoir mis en place un numéro spécial pour que la population puisse s'adresser à eux et faire part de leurs éventuelles plaintes.
Paradoxe : les talibans en appellent au respect de la liberté d'expression
Présentant ce compte WhatsApp comme un outil d'aide à la population, les talibans ont critiqué la décision de sa maison-mère Facebook en invoquant la liberté d'expression. Interrogé sur le respect de ce droit humain, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a répondu que "la question devrait être posée à ceux qui assurent être les garants de la liberté d'expression mais qui n'autorisent pas la publication de toutes les informations. L'entreprise Facebook, c'est à eux qu'il faut poser la question".
Un appel à la liberté d'expression quelque peu paradoxal de la part d'une organisation autoritaire et peu encline au respect des droits humains. Des milliers d'Afghans ont fui les villes capturées par les talibans dans le nord du pays la semaine dernière et se sont réfugiés dans la capitale. Certains racontent sur les réseaux sociaux des scènes atroces, des corps abandonnés dans les rues, des filles kidnappées pour les marier, ou encore de jeunes hommes enrôlés de force. Les talibans ont nié ces accusations.
Les contenus "officiels" n'échappent plus à la modération
Depuis des années, les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, brandissaient leur neutralité et leur statut d'entreprise privée pour justifier, au nom de la liberté d'expression et du droit à l'information, leur refus de modérer les contenus "officiels". La présidence Trump aux Etats-Unis, entre 2016 et 2020, a ainsi été un casse-tête permanent pour les réseaux sociaux. Pendant quatre ans, le milliardaire républicain n'a cessé de propager massivement des fausses informations et d'entretenir la haine contre ses opposants, violant de ce fait régulièrement les conditions d'utilisation des réseaux sociaux. Mais Facebook ou Twitter ont attendu l'insurrection meurtrière menée par certains de ses partisans au Capitole, dans les derniers jours de son mandat en janvier 2021, pour enfin le bannir de leurs plateformes, provisoirement pour Facebook, définitivement pour Twitter.
En juin dernier, Facebook est allé plus loin en ajoutant une nouvelle règle à ses conditions d'utilisation, qui met fin au traitement de faveur réservé jusqu'alors aux détenteurs de la parole officielle. Celle-ci prévoit que les personnalités publiques peuvent être suspendues pour une période de un mois à deux ans, voire définitivement pour les récidivistes. Une décision dénoncée par les partisans d'une liberté d'expression totale, mais globalement saluée parce qu'elle protège le grand public des abus de personnes détenteurs de l'autorité publique.
Dans le cas du nouveau régime taliban en Afghanistan, Facebook n'attend donc même pas d'éventuelles violations de ses conditions d'utilisation et décide d'appliquer stricto sensu la loi en refusant l'accès même à ses services pour les talibans, considérés comme une organisation terroriste. Twitter et Google (qui détient YouTube) ont des règles similaires, même si Twitter ne bannit pas a priori les talibans, sauf en cas de violation de ses règles sur la violence et la manipulation des contenus. "Nous demandons plus d'informations aux autorités américaines compétentes étant donné l'évolution de la situation en Afghanistan", a toutefois ajouté Facebook, tout en mettant en garde : "Peu importe qui détient le pouvoir, nous prendrons des mesures appropriées contre les comptes et contenus qui enfreignent nos règles".
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