Les mesures américaines contre TikTok et WeChat font craindre un morcellement de l'internet

Prises sous couvert de menace à la sécurité nationale, malgré l'absence de preuves tangibles, ces restrictions vont à l'encontre de l'idéal américain de longue date d'un internet global et ouvert et pourraient inciter d'autres pays à imiter les Etats-Unis
(Crédits : FLORENCE LO)

Une interdiction des populaires applications mobiles chinoises TikTok et WeChat aux Etats-Unis pourrait fragmenter encore plus un internet mondial déjà fragile, redoutent des spécialistes du secteur.

Les craintes se sont renforcées cette semaine après des décrets de Donald Trump interdisant d'ici à 45 jours toute transaction "des personnes sous juridiction américaine" avec ByteDance, la maison mère chinoise de TikTok, et Tencent, propriétaire de la plateforme WeChat.

Prises sous couvert de menace à la sécurité nationale, malgré l'absence de preuves tangibles, ces restrictions vont à l'encontre de l'idéal américain de longue date d'un internet global et ouvert et pourraient inciter d'autres pays à imiter les Etats-Unis, jugent des experts.

"C'est véritablement une tentative de fragmenter l'internet et la société globale de l'information selon une ligne de fracture américano-chinoise et d'exclure la Chine de l'économie de l'information", estime Milton Mueller, professeur à la Georgia Tech University et fondateur du Internet Governance Project.

Selon M. Mueller, cette démarche vise à "créer un pare-feu occidental", qui serait appliqué de manière globale via les sanctions économiques américaines et s'apparenterait au "Great Firewall" chinois -- jeu de mot sur la "Grande Muraille" ("Great Wall") de Chine et le pare-feu ("firewall").

Mais cela pourrait se retourner contre les géants de la Silicon Valley car "de nombreux gouvernements nationalistes dans le monde pourraient lancer les mêmes accusations contre Apple, Google, Facebook et Twitter" au sujet de l'usage des données personnelles, indique M. Mueller. "Ce sera la porte ouverte aux obstructions nationalistes et à la régulation de ces médias sociaux", prédit-il.

"Clean Network"

Les mesures décrétées cette semaine par Donald Trump s'inscrivent dans la lignée du projet "Clean Network" du département d'Etat, dont l'objectif est d'empêcher l'utilisation aux Etats-Unis d'applications et services chinois jugés "non fiables."

Cette initiative pourrait conduire à une situation confuse dans certains pays, qui seraient contraints de choisir entre l'écosystème chinois et américain, affirme l'analyste indépendant Richard Windsor.

"La fracture numérique entre la Chine et l'Occident s'agrandit et des pays coincés entre les deux (en Afrique et dans certaines parties de l'Asie) devront décider de quel côté ils veulent se placer", écrit M. Windsor sur son blog Radio Free Mobile.

Pour Adam Segal, de l'organisation Council on Foreign Relations, les décisions américaines soulèvent la notion de "cyber-souveraineté", longtemps défendue par la Chine et combattue par les Etats-Unis.

"Qu'un pays ait le droit de s'isoler de l'internet mondial en interdisant ou en limitant des technologies étrangères est vraiment une idée chinoise", note M. Segal. "Les Etats-Unis défendait l'idée opposée", celle "d'un internet libre et ouvert", poursuit-il. M. Segal observe que l'internet mondial était déjà "sur un terrain glissant" après les décisions de pays comme la Russie et l'Inde de limiter les flux de données.

Mais les récentes mesures de Washington "sapent la capacité des Etats-Unis à promouvoir ces idées et il pourrait y avoir un retour de bâton contre les entreprises américaines", avertit le spécialiste.

Pour Daniel Castro, de la Fondation pour l'Innovation et les Technologies de l'Information, les menaces américaines feraient peser "un risque sérieux de morcellement de l'internet" si elles étaient menées à bien.

"Les Etats-Unis doivent faire attention en affirmant qu'il y a un risque pour la sécurité nationale inhérent à l'utilisation de technologies d'entreprises étrangères", affirme M. Castro.

"Si d'autres pays suivent la même logique, les entreprises américaines de la tech seront tenues à l'écart de nombreux marchés étrangers", explique-t-il. D'autant que ces actions sont guidées par des craintes sécuritaires floues et par la croyance erronée qu'elles permettent de contrer la montée en puissance de la Chine, juge M. Mueller.

"L'administration Trump pense qu'elle peut ralentir le développement de la Chine en tant que puissance économique et technologique", fait remarquer l'expert. "L'idée qu'il est possible d'interrompre le développement de la Chine en coupant les ponts avec eux est stupide, cela ne va pas se produire", poursuit-il.

© Agence France-Presse

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Commentaires 17
à écrit le 17/08/2020 à 15:20
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C'est parti ... comme les droits du foot .

à écrit le 10/08/2020 à 8:28
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Si on applique simplement le principe de réciprocité aucune entreprise chinoise de la tech doit avoir accés à nos marchés. C'est logique et juste. Et tant qu'ils auront leur great firewall il faut en appliquer un vers eux.

le 10/08/2020 à 10:59
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UNE EVIDENCE QUE JE PARTAGE.

le 10/08/2020 à 14:04
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Certes. Et les entreprises américaines de la tech qui échappent à l'impôt en Europe? Le principe de réciprocité ne doit pas s'appliquer qu' à la Chine.

à écrit le 09/08/2020 à 21:43
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Qu attend on pour faire de même ? Google gère mal nos données privées, il faut que google europe soit racheté par Qwant. Comme ce dernier est très pauvre, un montant d'un euro symbolique suffira Idem pour alcatel ou ce qu il en reste, rachat d ap...

à écrit le 09/08/2020 à 13:20
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TRUMP est en train de plonger les usa dans un marasme ou il sera difficile de sortir

à écrit le 09/08/2020 à 13:01
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Si l'Europe n'était pas une zone sous influence américaine, cela fait bien longtemps qu'on aurait exigé des OS opensource, qu'on aurait bloqué l'accès à la donnée européenne , qu'on aurait enquêté sur les comptes bancaires des technocrates de l'UE au...

à écrit le 09/08/2020 à 10:47
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Si l'Europe n'était pas une zone sous influence américaine, cela fait bien longtemps qu'on aurait exigé des OS opensource, qu'on aurait bloqué l'accès à la donnée européenne , qu'on aurait enquêté sur les comptes bancaires des technocrates de l'UE au...

à écrit le 09/08/2020 à 9:57
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Le problème avec les Américains, dès qu'ils se sentent menacés sur leurs marchés, ils changent les règles du jeu. Américains ou Chinois, tous ces réseaux "volent" nos données personnelles, enfin "volent"...que nous leur offrons généreusement en échan...

le 10/08/2020 à 14:43
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C'est une juste reciprocité. Les chinois empechent les groupes US d'acceder au marché technologique chinois, mais voudraient acceder aux notres. De même qu'ils obligent les groupes US et EU a produire en chine dans des coentreprises, mais veulent pou...

à écrit le 09/08/2020 à 9:33
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" ...malgré l'absence de preuves tangibles " ....!?! Grande spécialité US , grand état totalitaire sous des oripeaux de démocratie !

le 09/08/2020 à 11:14
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Plutôt d accord mais la Chine ´ est pas en reste : occupation illégale du Tibet depuis 60 ans, exploitation de ses ressources, emprisonnement des ouïgour mil sultan et stérilisations obligatoires des femmes (. Rapport ong), libertés a gong long, col...

à écrit le 08/08/2020 à 21:16
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Il n'y a jamais eu d'internet "global". Déjà parcequ'il s'agit d'une erreur de traduction, global voulant dire mondial en anglais. Deuxièmement les américains n'ont jamais voulu d'un internet mondial mais d'un internet américain pour le monde entier....

le 09/08/2020 à 10:54
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Exactement , quand BNP a commencé à les gêner aux USA et à prendre trop de deal , ils ont mis du personnel permanent travaillant pour espionner légalement et en plus , ils leur ont mis une amende de 7 milliards. Pendant , ce temps la ,la tartufferie...

le 09/08/2020 à 11:18
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C est vrai ... alors à d si uss as né un internet made on Europe et des serveurs en Europe Si certains pays comme l Irlande - qui ont bénéficié de dizaines de milliers européens, ne sont pas d accord ( hébergeurs fiscales des Sté usa et n Europe) ...

le 09/08/2020 à 11:22
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C est vrai ... alors A quand un eco système internet made in Europe et des serveurs exclusivement en Europe ? Si certains pays comme l Irlande - qui ont bénéficié de dizaines de milliers européens pour sauver leurs banques en 2008-10, ne sont pas ...

à écrit le 08/08/2020 à 16:11
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"de nombreux gouvernements nationalistes dans le monde pourraient lancer les mêmes accusations contre Apple, Google, Facebook et Twitter" au sujet de l'usage des données personnelles" Sauf que ce sont des machines bien huilées, ultra puissantes, ...

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