Cette étude était très attendue par les champions français de la télévision. Ce mardi, l'Arcom a levé le voile sur une enquête sur les perspectives d'évolution du marché publicitaire français à l'horizon 2030. A sa lecture, les cadors du petit écran, comme TF1 et M6, ont de quoi, et sans surprise, se faire du souci. D'après cette enquête, réalisée par le cabinet PMP Strategy, les recettes publicitaires nettes de la télévision (en incluant la publicité sur la télévision linéaire, celle sur les espaces numériques des chaînes, et la publicité ciblée), qui étaient de 3,5 milliards d'euros en 2022, vont progressivement baisser de 1,4% par an jusqu'en 2030. A cette date, ce gâteau, ne pèsera plus « que » 3,1 milliards d'euros.
C'est évidemment un problème pour les chaînes privées, lesquelles se financent quasi-exclusivement via la publicité. Celles-ci vont certes générer davantage de revenus sur leurs plateformes et applications numériques (telles TF1+ ou 6Play). Mais pas de quoi compenser, selon l'étude, les pertes liées à la baisse des revenus publicitaires sur la télévision linéaire.
La télévision, un « média résilient »
Autrement dit : si la télévision reste un « média résilient », lequel devrait « conserver à court terme un rôle essentiel de partenaire de confiance pour les annonceurs, et afficher ainsi une stabilité de ses recettes publicitaires », cela ne durera pas. Le vieillissement des audiences de la télévision linéaire, avec des jeunes qui ne cessent de privilégier les plateformes numériques pour s'informer ou se divertir, va, en clair, continuer de plomber les champions du petit écran.
L'enquête de PMP Strategy a d'ailleurs tenté de prévoir l'évolution de la durée d'écoute individuelle quotidienne de la télévision (DEI) en 2030. Il s'agit d'un indicateur particulièrement important, puisque très suivi par les annonceurs pour orienter leurs investissements. Or celui-ci est attendu en nette baisse. En 2022, cette DEI était de 206 minutes par jour. Elle devrait baisser de 3 minutes par an jusqu'en 2030, où elle atteindra, selon l'étude, 182 minutes par jour.
Le poids croissant des plateformes dans la publicité
Les acteurs de la télévision traditionnelle sont déjà, et depuis fort longtemps, bien conscients de ces difficultés à venir. Leur stratégie est claire : étendre leur sphère d'influence sur le numérique, via des plateformes propres, afin d'« accompagner » leurs audiences, et prendre leur part du marché grandissant de la publicité digitale. Mais ils sont confrontés à la forte concurrence des grandes plateformes étrangères. En 2022, les Google, Youtube, Facebook, Amazon ou TikTok ont capté, selon l'étude de PMP Strategy, 52% des recettes publicitaires globales de l'Hexagone, soit près de 8 milliards d'euros. En 2030, ces plateformes devraient se tailler une plus grande part du marché, à hauteur de 65%, ce qui correspond à près de 12 milliards d'euros !
Ces chiffres, encore une fois, ne surprendront pas TF1 ou M6. Cette crainte d'être marginalisés à petit feu dans l'écosystème de la publicité les a notamment poussés à tenter de se marier, il y a deux ans, afin d'investir massivement dans le numérique. Mais leur projet de fusion a été retoqué par l'Autorité de la concurrence, qui considérait que cette union posait de sérieux problèmes de concurrence. Récemment, TF1 a décidé, sous l'impulsion de Rodolphe Belmer, son PDG, d'investir le créneau de la « télévision sur demande », via sa nouvelle plateforme TF1+.
Une réglementation à revoir
Plusieurs analystes financiers ont salué ce lancement. « Nous le considérons comme une rupture », souligne Jérôme Bodin, analyste chez Oddo BHF, dans une note récente. « La nouvelle plateforme nous semble très attractive, poursuit-il. Elle devrait permettre de générer une audience de première intention et plus simplement une consommation uniquement de rattrapage. » Avec TF1+, le groupe pourrait être en mesure, poursuit l'analyste, de multiplier par « 2,6 » ses recettes publicitaires numériques d'ici à 2026. Sachant que sur les neuf premiers mois de l'an dernier, celles-ci se sont élevées à près de 70 millions d'euros. Autant dire une goutte d'eau au regard du chiffre d'affaires de TF1.
L'étude de PMP Strategy doit notamment permettre à l'Arcom et au gouvernement de mieux saisir les bouleversements auxquels les acteurs de la télévision font face, et surtout de réfléchir à réviser la régulation. « La captation croissante de la publicité par les acteurs numériques extra-européens pèse sur l'équilibre du modèle des entreprises audiovisuelles privées, a déclaré Roch-Olivier Maistre, le président de l'Arcom, le 22 janvier dernier. Inventer et mettre en œuvre un meilleur partage de la publicité au profit des médias qui investissent dans les contenus, et corriger ainsi les déséquilibres qui pénalisent nos acteurs nationaux, est devenu un impératif. » La balle est, désormais, dans le camp du gouvernement.
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