L'avenir incertain de TF1 et de M6 après l'échec de leur fusion

Après avoir mis un terme à leur projet de fusion, comment les deux leaders du petit écran vont-ils rebondir ? Ne risquent-ils pas, à terme, de se retrouver affaiblis avec la montée en puissance des géants du streaming ? M6, pour sa part, va-t-il de nouveau être mis en vente ? La Tribune fait le point.
Pierre Manière
En se mariant, TF1 et M6 souhaitaient dégager davantage de cash pour investir massivement dans le streaming et concurrencer les cadors américains de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), tels Netflix, Amazon Prime ou Disney Plus.
En se mariant, TF1 et M6 souhaitaient dégager davantage de cash pour investir massivement dans le streaming et concurrencer les cadors américains de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), tels Netflix, Amazon Prime ou Disney Plus. (Crédits : Reuters)

Son feu vert était un impératif. Mais elle en a décidé autrement. Après un examen de plus d'un an, l'Autorité de la concurrence a considéré que le projet de mariage entre TF1 et M6 posait de sérieux problèmes. Ce qui a poussé, vendredi dernier, les intéressés à jeter l'éponge. Se pose, désormais, la délicate question de leur avenir et de leur stratégie dans les années à venir.

1. Comment TF1 et M6 vont-ils rebondir ?

TF1 et M6 le martelaient : leur union était, selon eux, tout simplement nécessaire à leur « survie ». Leur projet industriel se résumait ainsi: dégager davantage de cash pour investir massivement dans le streaming, et concurrencer frontalement les cadors américains de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), tels Netflix, Amazon Prime ou Disney Plus. Cette stratégie était justifiée par la « fragilisation »dixit Gilles Pélisson, le patron de TF1, du modèle économique des chaînes de télévision traditionnelles.

Aujourd'hui, en France, le marché de la publicité linéaire, qui constitue l'essentiel des recettes des chaînes, se situe aux alentours de 3,3 milliards d'euros. Mais d'après l'analyse de Gilles Pélisson, qui est la même que celle de l'état-major de M6, cette situation ne durera pas. Le PDG de TF1 considère que le marché de la publicité linéaire va s'effriter, et subir peu ou prou le même sort qu'aux Etats-Unis. Au Pays de l'Oncle Sam, celui-ci « a commencé à décrocher » a-t-il indiqué en février dernier lors d'une audition au Sénat, passant « en cinq ans de 64 à 58 milliards de dollars ». Cette baisse est consécutive au fort niveau de pénétration des champions de la SVOD, qui est de 83%, contre 64% pour la France.

Un modèle « fragilisé »

Cela a mécaniquement provoqué une baisse de la durée d'écoute par individu de la télévision (DEI) aux Etats-Unis. Celle-ci est passée « de 4h36 à 2h36 entre 2011 et 2019 », a précisé Gilles Pélisson. A ses yeux, le même sort attend le marché français de la publicité linéaire. « Ce sont plusieurs centaines de millions d'euros qui vont disparaître dans les années à venir, a alerté le dirigeant. Voilà pourquoi notre modèle est fragilisé. C'est pour ça que nous sommes inquiets. »

Sur le front de la SVOD, TF1 et M6 disposent déjà d'une plateforme de streaming payante. Il s'agit de Salto. Lancée il y a deux ans avec France Télévisions, cette initiative s'avère toutefois, de l'aveu même de TF1 et de M6, bien trop timide pour concurrencer les géants américains de la SVOD. En outre, il était question que France Télévisions cèdent à TF1 et M6 ses parts dans Salto en cas de mariage. Mais cette perspective s'est désormais évaporée.

Le streaming reste-t-il une priorité ?

Leur fusion avortée, TF1 et M6 sont désormais contraints de continuer leur chemin chacun de leur côté. Ils n'ont pas le couteau sous la gorge, dans la mesure où leurs derniers résultats commerciaux et financiers demeurent tout à fait satisfaisants. Mais s'ils restent déterminés à investir de manière conséquente dans le streaming, ils n'ont, en réalité, pas beaucoup d'options... Il ne serait guère surprenant qu'ils lancent, prochainement, des programmes d'économies et de réduction d'effectifs.

2. Dans les années à venir, TF1 et M6 doivent-ils s'attendre à broyer du noir face à l'essor des géants de la VOD ?

C'est la grande crainte des dirigeants des deux champions français du petit écran. Lors d'une audition au Sénat, en janvier dernier, Nicolas de Tavernost, le patron de M6, a jugé que pour les chaînes traditionnelles, les géants de la VOD constituaient une menace similaire à la tempête essuyée par la presse à l'arrivée d'Internet. D'autres observateurs partagent cette opinion. Sénateur du Val-de-Marne et président de la commission de la Culture, de l'Education et de la Communication, Laurent Lafon (Union centriste) ne cache pas son inquiétude à ce sujet. « L'abandon du projet de fusion de TF1 et M6 crée une incertitude sur l'avenir de ces deux groupes, affirme-t-il sur Twitter. Après l'affaiblissement de l'audiovisuel public par la suppression de la redevance, c'est désormais deux des principales chaînes privées qui sortent affaiblies par cet épisode. »

L'Autorité de la concurrence, elle, a un avis différent. Dans un communiqué publié vendredi dernier, elle constate aussi que Netflix et les géants de la VOD révolutionnent le paysage audiovisuel. « Le secteur audiovisuel fait face à de profondes mutations, marquées notamment par une modification des usages des consommateurs, et par l'essor des services de vidéo à la demande par abonnement », affirme-t-elle.

« Il n'y a pas de marché unique de la publicité »

Mais à la différence de TF1 et M6, elle juge que ces derniers ne jouent pas vraiment dans la même cour. A l'en croire, la publicité télévisée et la publicité en ligne ne sont pas « suffisamment substituables » du point de vue des annonceurs. « Dès lors, il n'apparaît pas justifié de les intégrer au sein d'un marché unique », insiste Benoît Coeuré, le président de l'institution de la rue de l'Echelle. C'est d'ailleurs cette conclusion qui a précipité l'abandon du deal entre TF1 et M6. Puisqu'il n'est pas « pertinent », renchérit l'Autorité de la concurrence, de considérer qu'il existe un « marché unique de la publicité », elle s'est bornée à évaluer les conséquences d'un mariage entre les deux champions du petit écran au regard de son impact sur le seul segment de la publicité télévisée. Or TF1 et M6 représentent ensemble plus de 70% de ce marché. Ce qui est énorme.

« Dans ce contexte, poursuit l'autorité, la puissance de marché des groupes TF1 et M6 réunis, qui sont, aujourd'hui, les deux plus proches concurrents sur le marché de la publicité télévisé, fait naître un fort risque de hausse des prix des espaces de publicité vendus par les parties au détriment des annonceurs et des consommateurs. » Aucun mariage n'était alors envisageable, à moins d'une cession de la chaîne TF1 ou de M6, jugée inacceptable par les acteurs.

TF1 et M6 restent remontés contre cette vision. Dans un communiqué commun, ils « déplorent que l'Autorité de la concurrence n'ait pas pris en compte l'ampleur et la vitesse des mutations du secteur de l'audiovisuel français ». D'après eux, leur mariage aurait constitué « une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accélérée avec les plateformes internationales ».

3. M6 va-t-il de nouveau être mis en vente ?

L'abandon de la fusion entre M6 et TF1 constitue une cuisante défaite pour les intéressés. D'autres acteurs vont aussi en pâtir. Dans le cadre de ce deal, le groupe Altice de Patrick Drahi, maison-mère de BFMTV et de SFR, devait notamment récupérer les chaînes TFX et 6ter. Mais il est tout à fait possible que M6 soit de nouveau mis en vente par Bertelsmann, son actionnaire allemand. Plusieurs candidats pourraient être intéressés. Il y a bien sûr le géant des médias Vivendi. En mars 2021, Jérôme Bodin, analyste chez Oddo BHF estimait que la maison-mère de Canal+ avait, sur le papier, « un intérêt stratégique fort à acquérir ou s'associer avec M6 ». Cela lui permettrait « de créer un pôle de TV gratuite beaucoup plus puissant en réunissant les chaînes de M6 aux siennes (C8, C17 et CNews) », soulignait-il.

Citons aussi Xavier Niel. A la tête d'Iliad (Free), le milliardaire possède des parts dans le groupe Le Monde, comprenant le quotidien du soir ou L'Obs, et est présent dans l'audiovisuel via Mediawan. Il y a aussi Daniel Kretinsky. A la tête de Marianne, de Elle, et actionnaire minoritaire du Monde, le magnat tchèque de l'énergie a multiplié les investissements dans les médias ces dernières années. Il pourrait voir dans M6 l'opportunité de changer de dimension. Patrick Drahi constitue aussi un acheteur potentiel. Mais il avait, précédemment, refusé de faire une offre pour M6.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 19/09/2022 à 19:11
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Vous vous inquiétez des spectateurs ou des "actionnaires", a moins que cela ne soit que de la manne publicitaire ? ;-)

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