« Une fusion de l’audiovisuel public affaiblirait la radio » (Sibyle Veil, PDG de Radio France)

ENTRETIEN - La PDG de Radio France réagit en exclusivité à la grande réforme de l’audiovisuel public annoncée par Rachida Dati.
Sibyle Veil, PDG de Radio France, à la Maison de la radio, à Paris.
Sibyle Veil, PDG de Radio France, à la Maison de la radio, à Paris. (Crédits : © LTD / SÉBASTIEN SORIANO/LEFIGAROPHOTO)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Rachida Dati a indiqué devant les sénateurs vouloir mettre en place une « gouvernance unique » dès cette année. Comment accueillez-vous cette annonce et ce calendrier express ?

SIBYLE VEIL - La ministre de la Culture appelle à unir nos forces. Je sais que son intention est de renforcer le service public, car elle croit profondément en son utilité pour notre pays. Nous sommes dans un contexte où le dénigrement de l'audiovisuel public est presque devenu un sport national... Il est donc important d'avoir son soutien. En matière de gouvernance commune, il y a plusieurs options possibles. Je rencontre la ministre dans quelques jours à ce sujet, sur lequel je suis constante depuis plusieurs années. D'abord, je suis très favorable aux coopérations, et à Radio France, nous avons été moteurs sur l'information, l'éducation aux médias et l'offre locale : il faut une gouvernance au service des projets et des offres éditoriales pour que, quand nos équipes travaillent dur sur un projet, il y ait quelqu'un qui tranche si nécessaire. Ensuite, il faut s'allier sans se rapetisser. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'étais pas favorable au projet de fusion défendu par certains il y a quelques années.

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L'hypothèse d'une fusion ne semble pas exclue à ce stade...

Ne prenons pas le risque de compromettre la spécificité de nos médias, de les diluer, d'abord parce qu'on ne fait pas les mêmes métiers en radio et en télé, mais aussi parce que, pour additionner des forces, il faut préserver ces forces. La France a une particularité, c'est son leadership dans l'audio qui est unique. Les exemples européens que je vois régulièrement le montrent. Une fusion de l'audiovisuel public affaiblirait la radio. Et ce n'est pas le moment d'affaiblir l'audio quand on voit les ravages du trop d'écrans sur la santé publique en général et le bien-être des jeunes en particulier ! Sans compter qu'une fusion très consommatrice en temps et en énergie managériale pourrait aboutir à un grand ensemble bureaucratique.

Le modèle de holding qui figure dans la proposition de loi du sénateur Laurent Lafon vous convient-il ?

Attendons de voir ce qui sera présenté par la ministre. Je voudrais surtout mettre les choses en perspective. En ce moment, on parle beaucoup de l'audiovisuel public, mais il ne faudrait pas en faire un « malade imaginaire ». Il se porte bien, gagne du public, innove et est bien géré. Le vrai problème, c'est le poids des Gafa et ce qui se passe sur les réseaux sociaux. La ministre s'est récemment dite favorable à une certification de la fiabilité de l'information, c'est majeur ! Il faut s'assurer que les géants internationaux qui veulent opérer en France et en Europe intègrent cette donnée dans leurs algorithmes et exposent davantage les acteurs qui produisent une information juste.

Si une holding chapeautant France Télévisions, Radio France, l'INA et France Médias Monde voyait le jour, seriez-vous candidate à sa présidence ?

Mon objectif, c'est la réussite de Radio France et produire pour ce pays une offre d'information, de culture, de divertissement audio accessible pour tous. J'ai récemment écrit un livre sur l'importance de l'écoute, je veux être utile à cette cause.

Les médias publics ne doivent pas être soupçonnés d'être des médias d'État, et cela passe par un financement indépendant

Sibyle Veil

La réforme devrait également sanctuariser le financement de l'audiovisuel public par la TVA. Est-ce important pour vous ?

Oui. Les médias publics ne doivent pas pouvoir être soupçonnés d'être des médias d'État, et cela passe forcément par un financement indépendant. Lors de récentes crises, le Covid ou les grands conflits internationaux, on a vu que les Français se tournent vers nous. À l'heure où la défiance règne, il ne faut pas abîmer cela. La question du niveau de financement est également importante, car un média ne se fait pas en vase clos sur un plateau, il faut pouvoir avoir des yeux et des oreilles sur le terrain, que ce soit en France ou dans le monde, pour faire un travail de qualité.

Quelles sont vos relations avec Rachida Dati depuis sa prise de fonction ?

Elle est venue plusieurs fois sur nos antennes, que ce soit sur France Inter, France Culture ou France Bleu. Rachida Dati est une fidèle auditrice de Radio France, son attachement précède très largement sa prise de fonction. Je crois même qu'elle connaît la grille de France Inter mieux que personne...

France 3 et France Bleu ont lancé ensemble une grande offre de proximité, sous la marque « Ici ». Quelles sont les prochaines étapes ?

Dès la saison prochaine, tout France Bleu deviendra Ici. On va bien sûr accompagner les auditeurs en leur expliquant ce changement, et la marque France Bleu ne disparaîtra que dans un second temps, lorsqu'ils se seront appropriés Ici. Nous avons un objectif de modernité, mais aussi de cohérence. Ici est un projet de coopération entre France Bleu et France 3 pour créer le grand média public de proximité. Mais aujourd'hui, quand on regarde nos matinales communes, on voit trois logos - France 3, France Bleu et Ici -, c'est incompréhensible. Ici, ce sera non seulement de la télé, de la radio et une appli, mais aussi bientôt un site. Cela fait des mois qu'on y travaille, il faut que cette belle coopération aboutisse.

Cette semaine, Jean-François Achilli a été suspendu de l'antenne de Franceinfo à titre conservatoire après la publication d'un article du Monde révélant qu'il aurait apporté de l'aide à Jordan Bardella dans l'écriture de son livre. Que va-t-il se passer ?

Nous l'avons suspendu à titre conservatoire afin qu'il clarifie rapidement la situation et nous explique ce qui s'est réellement passé. À ce stade, nous manquons encore d'éléments. Chacun doit avoir conscience que nous sommes dépositaires de la confiance de nos auditeurs et qu'il ne peut y avoir de soupçons de connivence quelconque. Cela s'applique quelle que soit la personnalité politique.

Dans un entretien au Figaro, le patron de RTL, Régis Ravanas, a estimé que RTL et France Inter n'étaient pas sur un pied d'égalité en raison de la couverture de diffusion plus importante des radios publiques. Que répondez-vous ?

RTL est une grande radio, pendant des années France Inter a travaillé dur pour la dépasser et devenir première radio de France. Je n'ai rien contre un peu d'émulation, mais à la loyale ! Je ne peux pas laisser dire que le succès de France Inter n'est pas mérité ou qu'il est un effet mécanique des fréquences. C'est faux. Plutôt que de se chamailler sur la technologie du passé, on a tout intérêt à travailler ensemble sur le développement de la technologie du futur qu'est le DAB+, et avec laquelle ces questions n'existeront plus.

Une grève aura lieu le 26 mars pour protester contre la fusion des services sciences, santé et environnement de France Inter, Franceinfo et France Culture. Quel est son objectif ?

La lutte contre la désinformation est devenue la grande cause des médias de service public, et dans ces domaines complexes que sont la santé et l'environnement, les infox sont partout. Nous voulons être une référence dans laquelle les Français ont confiance. Ça s'inscrit dans notre stratégie à l'horizon 2028, dont la colonne vertébrale est d'avoir des antennes toujours plus différenciées et complémentaires, car c'est ainsi qu'on arrive à être universel : en offrant à chaque Français une porte d'entrée qui lui convienne vers le service public. Aucun de nos projets ne va donc contre ce principe.

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Commentaires 8
à écrit le 19/03/2024 à 7:22
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« La France a une particularité, c'est son leadership dans l'audio qui est unique. Les exemples européens que je vois régulièrement le montrent. Une fusion de l'audiovisuel public affaiblirait la radio. » Quels mensonges : l´audiovisuel public allema...

le 19/03/2024 à 10:11
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" l´audiovisuel public allemand, gavé d´argent (redevance obligatoire par foyer de 220,32 € annuellement, même si on n´a pas d´appareils)" Hé oui l'héritage direct de Goebbels:"Martelez mille fois un mensonge et il deviendra vérité".

à écrit le 18/03/2024 à 9:25
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Qui écoute la Radio aujourd'hui ? Personne, mis a part les Chauffeurs de Taxi... Il est grand temps de reduire le budget de la Radio et d'alleger les Taxes payées par le contribuable,

le 18/03/2024 à 13:23
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Ah ! on sent le "hanounien" là... Il existe des radios DE SERVICE PUBLIC; sur les antennes desquelles on entend peu (mais trop...) ou PAS de pub. D'autres, de concept "enrichissement privé" (C8 et plein d'autres), on sait quels sont leurs moyens pou...

le 19/03/2024 à 9:42
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Oui, des Radios de Service Public, que personne n'écoute, financées par le contribuable, Un concept qui date de la Guerre Froide, Il faut s'adapter, supprimer tous ces couts inutiles, la Guerre Froide s'est termineée en 1989 !!

à écrit le 17/03/2024 à 12:16
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Il y aurait sans doute moins de rats dans le fromage et cette pour cette seule raison que cette dame bien " installée " s' inquiète ?

à écrit le 17/03/2024 à 9:57
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Et vous avez raison car la radio a encore une chance de lutter contre internet alors que la télévision est déjà condamnée.

à écrit le 17/03/2024 à 9:20
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Toujours ce mot "reforme" utiliser pour signifier "le fait du prince" mais jamais l'adaptation aux auditeurs et téléspectateurs ! On adapte le réseau à la propagande !

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