Pourquoi AT&T casse sa tirelire pour Time Warner

En se disant prêt à débourser 85,4 milliards de dollars pour le géant des médias, le numéro deux des télécoms au pays de l'Oncle Sam joue à fond la carte de l'intégration verticale. En parallèle, il veut se diversifier en jouant les premiers rôles dans la production et la revente de contenus, face aux nouveaux champions de la VOD sur le Net comme Netflix.
Pierre Manière
Le mariage entre AT&T et Time Warner pourrait accoucher d'un mastodonte des télécoms et des médias pesant plus de 300 milliards de dollars en Bourse.

Si certains en doutaient, AT&T a les dents très, très longues dans la vidéo et les contenus. Ce week-end, le numéro deux des télécoms outre-Atlantique (142 millions d'abonnés au mobile) a annoncé un accord faramineux de plus de 108 milliards de dollars (dette comprise) pour s'offrir Time Warner, deuxième distributeur de chaînes de télévision du pays et propriétaire de CNN, HBO, ainsi que des studios de cinéma Warner Bros. Cette énorme emplette intervient quelques mois seulement après qu'AT&T a avalé DirecTV, leader de la télévision par satellite aux Etats-Unis, pour 48,5 milliards de dollars.

Chez AT&T, on perçoit cette offensive dans les médias comme l'opportunité de rebondir alors que le marché du mobile, très mature, est embouteillé, et que celui de la télévision payante s'essouffle peu à peu. Dans un communiqué, Randall Stephenson, président d'AT&T précise son ambition. A ses yeux, ce mariage accouchera d'"un assortiment parfait de deux sociétés avec des forces complémentaires, qui peuvent apporter une nouvelle vision de la façon dont l'industrie des médias et des télécommunications travaille pour les clients, les créateurs de contenus, les distributeurs et les annonceurs".

Un aigle à deux têtes

Concrètement, la nouvelle société serait un aigle à deux têtes. Côté télécommunications, AT&T en profitera pour booster son offre de télévision payante à moindre frais. "Dans un contexte de très forte inflation du coût des programmes, des films, des séries et des droits sportifs, disposer de producteurs de contenus en interne lui permettra de réaliser des économies", souligne Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James.

En outre, ces bouquets de télévision devraient permettre à AT&T de venir concurrencer les câblo-opérateurs, acteurs dominants de la télévision et de l'Internet fixe aux Etats-Unis. Comme le rappelle Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms chez BearingPoint, ces derniers, d'un point de vue marketing, ont tendance à d'abord vendre, pour des raisons historiques, des offres télévisuelles, en incluant l'accès à Internet en option. Au contraire, par exemple, de ce qui se passe en France, où les abonnés veulent d'abord un accès à très haut débit fixe avant de souscrire à des offres de contenus. Là où il a du câble et déploie de la fibre, AT&T a donc besoin de disposer de bouquets TV de qualité pour séduire les clients face aux offres concurrentes des câblo-opérateurs.

Des "exclusivités" à manier avec doigté

Reste que pour AT&T, il n'est a priori nullement question de jouer la carte de l'exclusivité sur tous ses contenus maisons. "Il serait hasardeux de ne valoriser ses films, ses séries et ses chaînes exclusivement par ses propres services à très haut débit fixes et mobiles", souligne Yves Gassot, le patron de l'Idate, un think tank spécialisé dans les télécoms. D'une part, une telle stratégie ne serait probablement jamais avalisée par les autorités de la concurrence. D'autre part, AT&T se priverait alors d'un très grand nombre de clients pour ses contenus, ce qui plomberait le chiffre d'affaires de sa division médias.

C'est la raison pour laquelle, d'après Yves Gassot, le mariage entre AT&T et Time Warner constitue, outre l'intégration verticale, une vraie opération de "diversification" dans les médias. Avec Time Warner, AT&T renforce ses moyens de productions et met la main sur un catalogue de premier choix dans le sport, le cinéma ("Suicide Squad" ou "Fantastic Beasts") et les séries ("Game of Thrones", "The Wire"...). Ce qui doit lui permettre de faire face aux nouveaux entrants de la VOD, à l'instar de Netflix. Lequel, en tant qu'acteur exclusivement sur Internet, dispose d'une base de clients énorme car internationale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Netflix voyait déjà d'un très mauvais oeil le rapprochement d'AT&T avec DirecTV. En mai dernier, le géant de la VOD avait dénoncé une opération nuisible pour "la concurrence et l'innovation" auprès du régulateur américain des télécoms...

Un mariage encore loin d'être avalisé

D'après Yves Gassot, en avalant Time Warner, AT&T se protège aussi, d'une certaine manière, du mouvement de "cord cutting", qui consiste à se désabonner des offres de télévision payante pour privilégier des offres 100% sur Internet. Il faut dire que Time Warner dispose sur ce front de plusieurs actifs, via son service de VOD HBO Now ou ses 10% dans le service de vidéo en ligne Hulu. Lesquels viendront s'ajouter à DirecTV Now, l'ambitieux projet de chaînes en streaming d'AT&T.

Reste que ce mariage, qui accoucherait d'un mastodonte pesant plus de 300 milliards de dollars en Bourse, est encore loin d'être d'être bouclé. Il sera évidemment scruté à la loupe par les autorités de la concurrence, qui pourraient très bien mettre leur veto. Mais aussi par la classe politique américaine. Samedi, Donald Trump, le candidat républicain à la maison blanche a déjà indiqué qu'il était contre. "C'est beaucoup de concentration de pouvoirs dans les mains de peu de personnes", a-t-il critiqué, selon l'AFP.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 25/10/2016 à 15:55
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la question est pourquoi avoir choisi avant le 8 novembre: parce qu'ils connaissent les sondages.

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