Pourquoi Salesforce débourse 27,7 milliards de dollars pour acquérir Slack

Le géant américain des logiciels pour la relation client des entreprises signe la plus grosse acquisition de son histoire. Il a confirmé mardi mettre la main sur la messagerie professionnelle Slack pour un montant de 27,7 milliards de dollars (22,6 milliards d'euros). En ligne de mire : profiter de l'engouement des outils collaboratifs en raison de la pandémie du coronavirus pour mieux concurrencer Microsoft.
Anaïs Cherif
(Crédits : Reuters/Dado Ruvic)

Salesforce casse sa tirelire. Alors que des rumeurs couraient depuis plusieurs jours, le géant des logiciels pour la relation client des entreprises a annoncé mardi l'acquisition de Slack, plateforme collaborative pour les entreprises, pour la somme colossale de 27,7 milliards de dollars (environ 22,6 milliards d'euros) en numéraire et en actions. Le groupe américain signe ainsi la plus grosse acquisition de son histoire - un titre auparavant décerné à son achat en 2019 de Tableau Software, entreprise spécialisée dans le big data, pour 15,7 milliards de dollars (environ 13 milliards d'euros).

"Ensemble, nous allons façonner le futur des logiciels d'entreprises et transformer la façon de travailler dans le monde du tout numérique et du travail depuis n'importe où", s'est félicité le Pdg et cofondateur de Salesforce, Marc Benioff.

De son côté, l'actuel Pdg de Slack, Stewart Butterfield, devrait rejoindre Salesforce pour continuer de diriger Slack en tant qu'unité au sein du groupe, selon l'accord. La transaction, si elle est approuvée par les régulateurs, devrait se clôturer au cours du premier semestre 2021.

"Ce rachat est historique car il est d'une ampleur jamais vue. Il bat tous les records, dont le dernier en date, celui de LinkedIn par Microsoft (26,2 milliards de dollars), souligne dans une note Guillaume Gombert, directeur de projets stratégiques et Jérémy Taïeb, analyste financier chez Fabernovel. "D'autant que Salesforce n'a pas la force de frappe financière des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) : ce rachat représente plus de 12% de sa capitalisation boursière qui s'élève à 220 milliards de dollars."

Profiter de la transformation numérique forcée des entreprises

Avec cette acquisition, Salesforce espère surfer sur l'adoption des outils collaboratifs par les entreprises, forcé par le contexte sanitaire depuis le début de l'année. Pour pouvoir poursuivre leurs activités en pleine pandémie du coronavirus, de nombreux groupes ont été contraint d'adopter en quelques semaines des solutions permettant de communiquer à distance. Un élan dont Salesforce profite déjà, puisque son cours de Bourse a doublé depuis mars dernier, passant de 124 à 241 dollars l'action. Il vient également de réaliser un trimestre "record", selon son patron, avec un chiffre d'affaires de 5,4 milliards de dollars (+20% sur un an) pour un bénéfice net de 1,1 milliard, entre août et octobre.

Le géant américain, créé à San Francisco en 1999, espère donc que la transformation numérique des entreprises perdurera au-delà de la crise sanitaire. "Nous pensons vraiment que le monde a fondamentalement changé", a déclaré aux analystes Bret Taylor, directeur des opérations de Salesforce, rapporte le Wall Street Journal.

Conçue en 2014 à San Francisco comme une simple messagerie professionnelle, Slack facilite la communication au sein de l'entreprise en proposant des "canaux de discussion" (channels en anglais), qui permettent aux salariés d'interagir et de partager des documents par équipes, thématiques ou projets en cours. Salesforce devrait donc intégrer directement Slack à son propre logiciel, utilisé par les équipes de ventes et de marketing de ses clients, afin de proposer une solution tout-en-un. Il ne s'agit pas de son premier coup d'essai en la matière, puisque le groupe avait lancé dès 2010 sa propre messagerie instantanée pour les entreprises, baptisé "Chatter". En 2016, il avait également acheté Quip, spécialisée dans les applications collaboratives pour le cloud, pour plus de 500 millions de dollars.

Concurrencer son rival Microsoft

Les précédentes tentatives de Salesforce en la matière ont été trop timides pour concurrencer frontalement Microsoft, qui fait figure de rival depuis plusieurs années. Aux côtés d'Amazon, Google et IBM, il domine le marché très porteur et ultra-lucratif du cloud (informatique dématérialisée).

Pour consolider sa suite bureautique Office 365, le groupe a mis l'accent sur les solutions professionnelles dédiées aux entreprises depuis 2016 afin de construire un écosystème complet. C'est pourquoi il a créé il y a quatre ans sa propre messagerie professionnelle et outil de visioconférence, baptisé Teams, et qui se veut l'équivalent de Slack. La même année, le groupe mettait la main sur le réseau social professionnel LinkedIn, dérobant ainsi la pépite aux mains de Salesforce, qui s'était aussi positionné parmi les potentiels acquéreurs.

Lire aussi : Pourquoi Salesforce est passé à côté de Linkedin et Twitter

Mais détrôner Microsoft, titan de la tech, n'a rien de simple car Salesforce reste un acteur plus petit sur le marché. Ce dernier a réalisé un chiffre d'affaires annuel de 17,1 milliards de dollars en 2019, contre 143 milliards de dollars pour Microsoft. Si l'activité de Salesforce a été dopée pendant la pandémie, celle de son rival a aussi explosé. Il a notamment su pousser agressivement sa solution Teams, en l'intégrant gratuitement à sa suite Office 365. De quoi passer de 32 millions d'utilisateurs actifs quotidiens au début de la pandémie en mars, à plus de 115 millions le mois dernier.

Une stratégie qui a irrité Slack. C'est pourquoi le groupe avait déposé en juillet une plainte contre Microsoft pour concurrence déloyale devant la Commission européenne, l'accusant de forcer la main des utilisateurs d'Office 365 pour imposer Teams. A titre de comparaison, les derniers chiffres connus de Slack remontent à septembre 2019, lorsque la solution totalisait 12 millions d'utilisateurs actifs quotidiens.

Slack paye son retard sur la vidéo

Contrairement à ses concurrents, Slack n'a pas su capitaliser autant sur sa solution au cours des derniers mois. Le groupe a certes enregistré une hausse de son chiffre d'affaires de 49% sur un an pour les mois de mai, juin et juillet, à 216 millions de dollars, mais il accusait toujours d'importantes pertes (68 millions de dollars).

Dans le secteur ultra-concurrentiel de la tech, la logique du "winner takes all" (le vainqueur remporte tout) s'impose souvent. Or, Slack ne disposait pas de la même force de frappe de Microsoft, capable de toucher avec son outil collaboratif Teams sa large base d'utilisateurs déjà adeptes de ses autres solutions. Et surtout, Slack accuse d'un retard important dans la vidéo. Alors que les entreprises cherchaient à garder le lien avec leurs salariés, les outils permettant de faire des visioconférences comme Teams de Microsoft et Zoom se sont donc naturellement imposés pour organiser des réunions virtuelles.

Slack avait tenté d'intégrer des fonctionnalités vidéo dès 2015, avec l'acquisition de la pépite Screenhero, application de partage d'écrans. Mais les développements techniques pour son intégration ont été plus longs que prévu, rendant la fonctionnalité effective courant 2017 seulement. Le groupe avait entre-temps lancé les appels vidéo. Mais contrairement à Zoom - qui permet de joindre n'importe qui, n'importe où - cette fonctionnalité chez Slack permet uniquement de communiquer au sein d'une seule et même entreprise. Conscient de ce frein en temps de crise sanitaire, le groupe a lancé une nouvelle fonctionnalité "Slack Connect" permettant d'envoyer des messages et des vidéos à des entreprises extérieures en juin seulement.

Autant d'éléments qui étaient sans appel pour Keith Weiss, analyste de Morgan Stanley. Dans une note diffusée le mois dernier, l'analyste avait réduit la note de Slack à "underweight" (sous-dimensionné, en français) - ce qui équivaut à une recommandation de vente.

"La demande massive d'outils collaboratifs pour le télétravail peut finir par faire plus de mal que de bien à Slack" - Microsoft et Zoom "récoltant une part démesurée des dépenses liées au Covid-19", selon la note de Morgan Stanley. "Dans de nombreux cas, Slack n'a pas eu l'occasion de présenter correctement sa différenciation et, à notre avis, les clients qui se sont habitués à travailler avec l'outil Teams de Microsoft ne reviendront pas en arrière."

Anaïs Cherif

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