Quel bilan pour le Vision Fund de Softbank, le fond aux 100 milliards de dollars ?

En deux ans, le Vision Fund est devenu un acteur incontournable des plus grosses levées de fonds. Avec plus de 70 milliards de dollars investis, le fonds tire déjà un premier bilan, de ses placements, très positif. Satisfait, SoftBank prépare déjà un Vision Fund 2, doté d'au moins 108 milliards de dollars.
François Manens
Le Vision Fund de SoftBank évalue la plus-value de son portefeuille actuel à 16 milliards de dollars.
Le Vision Fund de SoftBank évalue la plus-value de son portefeuille actuel à 16 milliards de dollars. (Crédits : Issei Kato)

Uber, WeWork, Slack, DoorDash... toutes ces pépites de la Tech ont en commun un investisseur : le Vision Fund. Devenu la vache à lait de l'entreprise de télécom SoftBank, avec 3,9 milliards de dollars de bénéfices au second trimestre, le fonds d'investissement aux 100 milliards de dollars est omniprésent dans le secteur de la Tech. Depuis 2017, il a déjà investi plus de deux tiers de cette somme colossale dans les plus grandes startups mondiales, dont de nombreuses licornes qui ont préparé ou préparent aujourd'hui leur entrée en Bourse. En conséquence, les actifs du Vision Fund lui permettent de faire miroiter plusieurs milliards de dollars de plus-values, et d'envisager son introduction en Bourse.

Quelques doutes viennent tout de même nuancer ce bilan : le Vision Fund pourrait être menacé par la santé de Uber, dont il est le principal actionnaire, ainsi que par sa stratégie controversée sur le marché des transports et de la logistique. De plus, le président de SoftBank, Masayoshi Son, a dû s'exprimer au sujet du meurtre d'un journaliste, attribué aux dirigeants saoudiens, dont le fonds souverain finance près de la moitié du Vision Fund. Malgré ces problèmes, SoftBank a déjà annoncé vouloir répéter ce succès financier avec un Vision Fund II. Doté de 108 milliards de dollars, il se ferait sans les 45 milliards de dollars saoudiens.

Un investissement moyen à plus de 800 millions de dollars

Petit rappel des faits : le 25 novembre 2016, Masayoshi Son, président et fondateur de SoftBank, lance le Vision Fund, avec des ambitions d'une ampleur inédite. En à peine plus d'un semestre, le fonds d'investissement boucle déjà un premier tour de table à 90 milliards de dollars. SoftBank le finance au tiers (33,1 milliards de dollars), mais en appelle aux pétrodollars pour parvenir à sa fin.

Deux fonds souverains du top 5 mondial, celui d'Arabie Saoudite et celui d'Abu Dhabi (Émirats arabes unis) injectent respectivement 45 et 15 milliards de dollars. De grandes entreprises de la Tech, dont Apple, Foxconn ou encore Qualcomm arrondissent la somme avec quelques centaines de millions de dollars. Sur la durée, ce premier Vision Fund a réuni 98,6 milliards de dollars, d'où son surnom de "fonds aux 100 milliards de dollars".

Pour comprendre son ampleur inédite, il suffit de le comparer aux autres fonds de capital-risque. En deux ans, le Vision Fund a investi environ 1,5 fois plus que l'ensemble des 200 fonds plus grands fonds du capital-risque états-uniens sur l'année 2018 (alors même qu'il s'agit d'un montant record de 53,9 milliards de dollars, d'après PitchBook).

Ici, qui dit grands moyens dit hautes ambitions. Le fonds souhaite faire des investissements de "long terme et à grande échelle" dans des entreprises capables d'apporter "les innovations de la prochaine génération".

"Parce que nous avons beaucoup de capital, nous pouvons investir sur le futur des entreprises, là où d'autres investisseurs n'ont pas les mêmes moyens où la même patience. Ils vont donc forcer les startups à rester plus petites pour être plus rapidement profitables. Moi, je n'espère pas sortir dans deux ou trois ans. J'espère maximiser mon retour sur investissement à 7, 10 ou 15 ans", développe Jeff Housenbold, un des dix associés directeurs du Vision Fund, interrogé par CNBC.

En deux ans, le fonds a déjà investi plus de 70 milliards de dollars, dans 83 entreprises. Son ticket moyen s'élève à plus de 800 millions de dollars, et descend rarement en dessous des 200 millions de dollars. Avec de tels montants, le Vision Fund peut obtenir 20 à 40% des parts de startups matures, parvenus au moins à leur série D (c.-à-d. à leur quatrième levée de fonds).

S'il a majoritairement visé le domaine des transports et de la logistique avec 43,4% de ses investissements (Uber, Didi Chuxing, Grab, DoorDash...), le fonds reste généraliste. Il a aussi financé des fintech (OakNorth, Kabbage, PayTM...) , des biotech (Guardant Health, Roivant...), ou encore des startups spécialisées dans l'immobilier (WeWork, Compass, OpenDoor...) entre autres. Même si le fonds est dirigé par une filiale de SoftBank basé à Londres, Masayoshi Son, le président du groupe japonais y joue un rôle clé. L'entrepreneur rencontre personnellement les dirigeants de startup avant d'acter les investissements.

16 milliards de dollars de plus-values... sur le papier

En deux ans d'existence et avec des objectifs de rentabilité à long terme (sur plus de dix ans), le fonds n'a pour l'instant vendu ses actifs qu'à deux reprises. En mai 2018, le Vision Fund est pour la première fois sorti du capital d'une entreprise, dans le cadre du rachat de Flipkart par Walmart pour 16 milliards de dollars. Il avait investi 2,5 milliards de dollars pour s'octroyer 19,95% du site d'e-commerce indien en août 2017. Dans l'opération, le fonds a récolté plus de quatre milliards de dollars, et a ainsi réalisé une plus-value d'1,55 milliard de dollars (164 milliards de yens).

Un peu plus de six mois plus tard, en février 2019, le fonds a cédé ses parts du fabricant de puces Nvidia pour 3,6 milliards de dollars. La plus-value est ici plus difficile à évaluer, mais SoftBank affirme dans son bilan financier qu'elle s'élève à 2,9 milliards de dollars entre son entrée au capital en 2016 et sa sortie en 2019. Cependant, le fonds aurait pu faire encore mieux. Au moment de la vente, l'action est alors à son plus bas depuis 2017, et le fonds estime à 2,1 milliards de dollars la baisse de valeur de ses actifs sur l'année fiscale 2018.

S'il conserve ses autres actifs, le Vision Fund donne néanmoins une estimation la plus-value de ses investissements par rapport à leur valorisation actuelle. Dans ses résultats du second trimestre, SoftBank indique que les 66,3 milliards de dollars d'investissements encore présents dans son portefeuille sont désormais valorisés à 82,2 milliards de dollars. Sur le papier, il a donc déjà dégagé près de 15,9 milliards de dollars, soit 24% de plus-value "non-réalisée" selon ses termes (voir tableau ci-dessous).

Résultats vision fund

Plusieurs entreprises dans lesquelles le fonds a investi sont depuis entrées ou vont entrer en Bourse, et accèdent ainsi à une valorisation réelle et non plus une estimation. Les introductions de Guardant Health, (investissement de 300 millions de dollars) dont la valorisation a été multipliée par six, Slack, (250 millions de dollars) dont la valorisation a triplé, ou encore Ping An Good Doctor, permettent au fonds de SoftBank décrédibilisé une réelle plus-value, qu'il pourrait concrétiser en vendant ses actifs. La prochaine startup sur la liste est WeWork, la startup d'espaces de bureaux, dans lequel le fonds a investi 4,4 milliards de dollars.

"Certaines personnes nous ont critiqué, en disant que nous étions trop agressifs et que nous ne pourrions pas présenter des bons résultats en investissant autant. Mais nous montrons ces résultats", se félicitait Masayoshi Son en mars.

Une stratégie controversée dans les services de livraison

Le Vision Fund a investi 7,7 milliards de dollars dans Uber début 2018. Il avait alors acheté ses parts pour environ 25% moins cher que les investisseurs de la levée précédente en 2016. Il faut dire qu'à cette époque, Uber croule plus que jamais sous les critiques. Son modèle économique et ses pertes inquiètent déjà, son fondateur et dirigeant historique a été écarté, sa culture d'entreprise sexiste a fait scandale et le groupe est accusé de vol technologique. 

Lire aussi : Pourquoi Uber incarne tous les vices de la Silicon Valley

Mais ces signaux d'alarme ne retiennent pas le fonds dirigé par SoftBank d'obtenir un peu moins de 15% des parts de l'entreprise. Un peu plus d'un an plus tard, le Vision Fund observe donc l'introduction de Uber en Bourse en tant qu'actionnaire principal, et espère réaliser une grande plus-value. Mais le géant des VTC a raté la marche. Attendue à plus de 120 milliards de dollars de valorisation, la startup a échoué à 75 milliards de dollars. C'est un nouvel échec notoire, alors que l'entreprise a besoin de fonds conséquents pour éponger ses pertes importantes. Et la tendance ne semble pas près de s'inverser : au second trimestre, Uber a perdu plus de cinq milliards de dollars, dont 3,9 milliards de dollars de rémunérations à base d'actions débloquées par l'introduction en Bourse. Le bilan du Vision Fund sur cet investissement dépendra donc de sa capacité à se dégager, au bon moment, du capital de l'entreprise.

Parallèlement aux difficultés de Uber, le Vision Fund a investi plus de 15 milliards de dollars dans ses concurrents asiatiques Didi Chuxing (à qui Uber a cédé sa branche chinoise) et Grab (à qui Uber à cédé sa branche sud-asiatique). Le fond se place ainsi en référence mondiale des VTC, mais freine en même temps les capacités de développement de Uber et l'empêche d'imposer un monopole..

"Si l'entreprise a la même activité principale dans la même zone géographique, nous n'investirons probablement pas. S'il s'agit de la même activité, mais dans une autre zone géographique, nous le ferons sûrement" , résume Jeff Housenbold dans une phrase byzantine.

Plus récemment, en 2018, il a investi plus de 600 millions de dollars dans le service de livraison de nourriture DoorDash, un des principaux concurrents de Uber Eats. SoftBank a préparé des rendez-vous entre les PDG pour rapprocher les deux entreprises, mais aucune ne s'est soldée par un accord. Or, grâce au financement du Vision Fund, DoorDash a pu grignoter de nouvelles parts de marché à Uber Eats...

Vers un Vision Fund II sans fonds souverains ?

SoftBank a annoncé fin juillet le lancement d'un Vision Fund II, d'au moins 108 milliards de dollars, avec pour objectif de répéter le même succès financier. L'entreprise de Masayoshi Son y contribuera à nouveau au tiers (38 milliards de dollars). Mais cette fois, l'entrepreneur ne veut pas accepter l'argent du prince saoudien Mohammad Bin Salman, pourtant prêt à remettre 45 milliards de dollars dans le pot. En cause : le dirigeant de SoftBank avait du s'exprimer à contrecœur sur le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, attribué à des agents de Ryad. Tout en dénonçant le meurtre, il avait évoqué ses "responsabilités" à l'égard des Saoudiens. Mais il avait également évoqué de potentielles conséquences pour le Vision Fund.

"Sans le fond souverain, il n'y aurait pas de SoftBank Vision Fund", avait déclaré Mohammad Bin Salman, interrogé par Bloomberg en octobre.

Pour l'instant, le fonds souverain saoudien et son homologue d'Abu Dhabi sont écartés du fonds, qui n'a pas encore bouclé sa levée. Pour compenser ce manque, SoftBank compte sur des banques et sociétés d'assurances japonaises (Mizuho, Sumitomo Mistsui, MUFG, Daiwa Securities...), ainsi que sur une plus grande implication des géants de la Tech Apple, Foxconn et Microsoft.

Quant au premier Vision Fund, le Wall Street Journal avait révélé en mai qu'il envisagerait une entrée en Bourse. L'information a été confirmée par SoftBank, sans que la décision soit, pour l'instant, actée.

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