5G : le gouvernement prépare son arme de dissuasion anti-Huawei

L’Assemblée a voté une loi permettant à l’exécutif de contrer le fabricant chinois réputé très lié à Pékin. Une mesure qui pourrait coûter cher à certains opérateurs.
Pierre Manière
Edouard Philippe recevait le président chinois, Xi Jinping, le 26 mars dernier à Matignon. Avec la nouvelle loi, il disposera d'un moyen d'interdire ou de limiter Huawei dans le 5G.
Edouard Philippe recevait le président chinois, Xi Jinping, le 26 mars dernier à Matignon. Avec la nouvelle loi, il disposera d'un moyen d'interdire ou de limiter Huawei dans le 5G. (Crédits : Isa Harsin / SIPA)

C'est une bataille qui se joue en coulisses. Et qui, depuis des mois, fait l'objet de beaucoup de non-dits. En France comme en Europe, les gouvernements s'interrogent sur la place à donner à Huawei dans les futurs réseaux 5G. Le géant chinois des équipements télécoms suscite la méfiance de bon nombre de services de renseignement, qui redoutent que ses infrastructures, technologiquement à la pointe, soient utilisées à des fins d'espionnage pour le compte de la Chine.

Dans cet épineux dossier, la France, la Grande-Bretagne ou encore l'Allemagne se demandent si elles ne doivent pas s'aligner sur les États-Unis, qui ont décidé de bannir Huawei des réseaux 5G. En pleine guerre commerciale avec Pékin, Washington déploie aujourd'hui d'énormes efforts de lobbying pour convaincre l'Europe de chasser le dragon chinois. Huawei, pour sa part, ne cesse de démentir les accusations d'espionnage, tout en bénéficiant de l'appui de Pékin pour continuer à faire affaire sur le Vieux Continent.

Dans ce contexte, la position officielle de la France est claire : Huawei a toute sa place dans le pays, et il n'est nullement question de l'interdire. Mais derrière cette communication, c'est une posture bien différente qui se dessine. Plusieurs signaux, très forts, laissent penser que l'exécutif cherche en réalité, sinon à interdire, au moins à limiter fortement Huawei dans le déploiement de la prochaine génération de communication mobile.

Mercredi 10 avril, l'Assemblée nationale a voté une proposition de loi. Celle-ci vise « à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ». Sur le papier, ce texte, qui a été déposé à l'Assemblée par les députés La République en Marche, doit permettre de sécuriser les réseaux mobiles en vue de l'arrivée de la 5G, prévue en 2020. L'exécutif justifie cette proposition de loi en arguant à juste titre que cette technologie doit permettre l'éclosion de nombreux et nouveaux usages sensibles qui irrigueront tous les pans de l'économie. A l'instar de la télémédecine, de la voiture autonome ou encore des usines connectées.

Une important pouvoir donné à Matignon

Reste que, malgré cet argumentaire, la proposition de loi paraît taillée pour mettre des bâtons dans les roues de Huawei. Le diable est dans les détails. À l'alinéa 11 du texte, il est précisé que le Premier ministre pourra interdire de son propre chef certains équipements s'il juge que leur fabricant est « sous le contrôle ou soumis à l'ingérence d'un État non membre de l'Union européenne ». Autrement dit, Matignon disposera ici d'une arme puissante pour écarter, s'il le souhaite, le géant chinois des télécoms, réputé très proche de Pékin.

Interrogé à ce sujet par La Tribune, Éric Bothorel, le député LREM et rapporteur de la proposition de loi, convient que cet alinéa 11 « donne effectivement cette faculté à l'exécutif de faire ce qu'il veut ». Mais il estime ce nouveau pouvoir du Premier ministre nécessaire si « un jour, nous en avons besoin pour un motif de sécurité nationale ». Avant de tempérer  : « Cela ne veut pas dire qu'il l'utilisera tout le temps et de manière systématique ». Interrogé à ce sujet, Huawei n'a pas répondu à nos sollicitations.

Lire aussi : Sécurité des réseaux mobiles : Bothorel défend les nouveaux pouvoirs de Matignon

Chez certains opérateurs, ces dispositions inquiètent. Aujourd'hui, en coulisse, des acteurs songent clairement à se priver de Huawei.

« Comment un opérateur peut-il s'engager avec un équipementier tout en sachant qu'il peut être interdit ? » s'agace, sous couvert d'anonymat, un cadre d'un important fournisseur d'accès à Internet.

Pour certains opérateurs, se passer de Huawei pourrait s'avérer problématique. C'est particulièrement vrai pour SFR et Bouygues Telecom. L'opérateur au carré rouge et celui de Martin Bouygues utilisent des équipements du groupe chinois dans leurs réseaux mobiles actuels, en complément de ceux de Nokia pour le premier, et d'Ericsson pour le second.

La facture salée de possibles démontages

De fait, les produits des équipementiers ne sont pas « interopérables », dit-on dans le jargon des télécoms. En clair, il est impossible - ou extrêmement compliqué -, sur une antenne de communication mobile, de faire fonctionner les équipements d'un fournisseur donné pour la 2G, la 3G et la 4G, avec ceux d'un autre pour la 5G.

« On ne peut pas avoir une portière Renault sur une voiture Peugeot », illustre Didier Casas, le président de la Fédération française des télécoms (FFT) et directeur général adjoint de Bouygues Telecom. « On peut, mais c'est une galère sans nom », tempère une autre source industrielle, qui évoque dans ce cas de figure « des investissements encore plus lourds » et « une qualité de service très aléatoire ».

Ainsi, SFR et Bouygues Telecom pourraient être contraints, en cas d'interdiction de Huawei, de démonter tous leurs équipements du groupe chinois pour passer leurs antennes en 5G. Interrogés par La Tribune, les deux opérateurs ne font pas de commentaire. Mais pour eux, la note pourrait être salée.

Confronté à ce même problème, Deutsche Telekom a récemment tiré la sonnette d'alarme. Dans une note interne citée par l'agence américaine Bloomberg, l'opérateur historique allemand a indiqué que si Huawei était interdit, et que les groupes de télécoms étaient obligés de retirer tous leurs équipements en place, la facture s'élèverait à plusieurs milliards d'euros. Sans compter que de telles opérations de démontage des équipements devraient rallonger sensiblement les déploiements des réseaux mobiles.

Contrôle de l'exécutif sur les réseaux

Avec sa proposition de loi sur la sécurité des réseaux, le gouvernement ne veut pas seulement se prémunir d'un risque d'espionnage. Selon le sénateur Patrick Chaize (Les Républicains), qui suit le dossier de près, l'exécutif souhaite aussi disposer d'un certain contrôle sur l'architecture des réseaux, sur la manière dont les infrastructures des différents équipementiers seront déployées dans le pays. Concrètement, le gouvernement veut éviter, par exemple, que les opérateurs recourent tous au même équipementier dans un même territoire, ce qui pourrait déboucher sur un « blackout » en cas de cyberattaque, si tous les réseaux mobiles étaient attaqués d'un coup.

Quoi qu'il en soit, le parcours législatif de la proposition de loi n'est pas terminé. Elle doit maintenant être examinée au Sénat. Mais calendrier chargé oblige, le texte ne devrait pas passer en séance avant début juillet. Dans le meilleur des cas, selon nos informations, le texte sera définitivement adopté au mois de septembre. Cette échéance tardive embarrasse les opérateurs, qui ont besoin d'un cadre réglementaire clair pour choisir leurs équipementiers et bâtir leurs plans d'investissement dans la 5G. Et ce, alors que le processus d'attribution des fréquences 5G, pour lesquelles ils devront casser la tirelire, doit débuter à l'automne.

Pierre Manière

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