Ce 1er décembre 2018, elle ne se doute pas qu'elle passera la nuit derrière les barreaux. Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei et numéro deux du géant chinois des télécoms, est arrêtée au Canada, à Vancouver, sur demande des États-Unis. La justice américaine la soupçonne de complicité de fraude pour contourner des sanctions américaines contre l'Iran.
En Chine, la nouvelle provoque un séisme. C'est que Meng Wanzhou n'est pas n'importe qui. Outre ses hautes responsabilités chez l'équipementier, elle est surtout la fille de Ren Zhengfei, le très influent et richissime fondateur du groupe, dont la fortune est estimée à près de 3,5 milliards de dollars. À 46 ans, Meng Wanzhou, souvent qualifiée de « princesse » de Huawei, est en outre pressentie pour succéder un jour à son père, âgé de 74 ans, à la tête du groupe.
La 5G en question
Dix jours après son arrestation, la dirigeante est libérée sous caution. Mais les États-Unis réclament toujours son extradition. Fin janvier, le ministère américain de la Justice en a encore rajouté, en inculpant Meng Wanzhou, Huawei et ses filiales de vol de technologies et de violation de sanctions envers l'Iran. Pour le géant chinois des télécoms, l'affaire fait l'effet d'une bombe. Elle donne une résonance mondiale aux craintes d'espionnage brandies de longue date par les États-Unis à son égard au pire moment, celui de l'avènement des réseaux 5G. Un domaine où Huawei a énormément investi et a, aux yeux de la plupart des experts télécoms, un temps d'avance sur la concurrence. En clair, l'état-major de l'équipementier redoute que ses déboires américains ne poussent l'Europe et ses opérateurs à bouder ses équipements 5G. Ce qui constituerait un immense revers pour le dragon qui a connu, jusque-là, une croissance fulgurante.
Chez Huawei, l'affaire est suffisamment grave pour que Ren Zhengfei sorte de son silence. Il a accordé, en janvier, une interview à quelques journalistes étrangers pour démentir tout espionnage pour le compte de Pékin.
« J'aime mon pays, je soutiens le Parti communiste, mais je ne ferai jamais rien pour nuire à un quelconque pays dans le monde », a-t-il affirmé, indiquant que sa fille lui manquait « beaucoup ».
En parallèle, le dirigeant a prévenu ses troupes, sur un ton pessimiste et menaçant, de s'attendre à des « moments difficiles ». « Nous allons devoir nous séparer des employés médiocres et réduire les dépenses de main-d'œuvre », écrit-il dans un courrier adressé à ses cadres, selon le Financial Times.
La riposte du gouvernement chinois
Le gouvernement chinois, de son côté, est monté au créneau pour défendre son champion des télécoms, avec une énergie qui a surpris plus d'un observateur. Le mois dernier, un porte-parole des Affaires étrangères a dénoncé « la répression injustifiable » du pays de l'Oncle Sam visant Huawei et les groupes de l'Empire du Milieu. « Les États-Unis utilisent le pouvoir de l'État pour discréditer et attaquer certaines entreprises chinoises, dans une tentative d'étrangler leurs opérations, qui sont légitimes et légales », a-t-il ajouté.
Depuis l'arrestation de Meng Wanzhou, trois ressortissants canadiens ont été arrêtés en Chine. Et mi-janvier, un autre Canadien a été condamné à mort pour trafic de drogue, alors qu'il n'avait, en première instance écopé « que » d'une peine de 15 ans de prison. Officiellement, la Chine s'est refusée à faire un lien entre ces événements et l'arrestation de la numéro deux de Huawei. Mais beaucoup y voient une mesure de rétorsion de Pékin, une réponse du berger à la bergère.
▶︎ En complément de cet article de La Tribune Hebdo n°281, LISEZ LA SUITE DE NOTRE DOSSIER (articles abonnés) :
- L'Affaire Huawei rebat les cartes de la 5G en Europe
- L'arrestation de la "princesse" de Huawei a mis le feu aux poudres
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