Le torchon brûle une nouvelle fois entre Orange et l'Arcep. Cette fois, la pomme de discorde concerne la couverture en fibre des zones dites « moyennement denses ». C'est-à-dire les villes moyennes et les périphéries des grandes agglomérations. Ces dernières années, l'opérateur historique s'est engagé à apporter la fibre à près de 3.000 communes dans ces territoires. Orange a deux échéances à respecter. Une première au 31 décembre 2020, où il doit rendre raccordable au moins 92% des logements et locaux professionnels. Le reste doit être « raccordable sur demande » - c'est-à-dire dans un délai n'excédant pas six mois après une demande de raccordement. La deuxième échéance intervient en 2022. A cette date, la fibre doit être disponible dans tous ces territoires.
Problème : Orange ne sera pas au rendez-vous de sa première obligation. A La Tribune, une source proche de l'opérateur confirme qu'il ne pourra pas tenir ses engagements pour cette année. Elle assure, toutefois, qu'Orange sera dans les clous en 2022. Comment expliquer ce retard ? D'une part parce que la crise du Covid-19 a entravé les déploiements. « On vient d'être arrêté pendant trois mois et demi, indique notre source. En Ile-de-France, c'est 90% du BTP qui s'est arrêté. »
12,7 millions de locaux à raccorder
Mais ce n'est pas tout. En avril dernier, l'Arcep a actualisé le nombre locaux à raccorder dans les zones moyennement denses. Pour évaluer ce chiffre, le régulateur se basait jusqu'alors sur des données de l'Insee. Désormais, il utilise un autre référentiel : celui des fichiers « IPE » des opérateurs. Ces derniers offrent, selon l'autorité, « une estimation plus pertinente et plus à jour du nombre de locaux à rendre raccordables ». Or pour Orange, cela change tout. Alors que, selon les bases de l'Insee, l'opérateur avait 11,2 millions de locaux à raccorder, l'opérateur en a désormais, selon les fichiers IPE, 12,7 millions sur le dos ! « Comment voulez-vous qu'on fasse ce million de logements en plus d'ici le 31 décembre ? », s'interroge notre source. Questionné par La Tribune, Orange ne fait pas de commentaire.
L'Arcep, de son côté, comprend les difficultés d'Orange liées au coronavirus, mais balaye son émoi concernant le nouveau référentiel. « Orange est très en retard », juge une source proche du dossier. A la fin du premier trimestre 2020, seuls 8 millions de locaux étaient effectivement raccordables par l'opérateur historique, selon les chiffres de l'Arcep. Le rythme des déploiements d'Orange dans les zones moyennement denses inquiétait déjà l'autorité avant le confinement. Mais surtout, l'Arcep soutient que son nouveau référentiel ne change rien aux engagements d'Orange. Ceux-ci, assure l'autorité, ont toujours porté sur un nombre de communes à couvrir, et certainement pas sur un nombre de locaux gravé dans le marbre. Dans ces conditions, le régulateur argue qu'il pourrait légitimement, à terme, blâmer Orange pour non-respect de ses obligations. Interrogé par La Tribune, l'Arcep se refuse à tout commentaire.
« En cas de contentieux, tout le monde sera perdant »
Il n'empêche que son interprétation fait hurler l'opérateur historique. « Nous nous sommes engagés à faire 92% d'un nombre de prises calculé sur une base Insee », soutient notre source proche de l'opérateur. Laquelle se montre menaçante : d'après elle, l'introduction du nouveau référentiel ayant « un fort impact économique », Orange pourrait s'appuyer sur une disposition lui permettant d'être libéré de ses engagements ! « Dans ce dossier, si nous rentrons dans une bataille juridique, dans du contentieux, tout le monde sera perdant », prévient-elle.
En coulisse, Orange, l'Arcep et le gouvernement négocient durement une solution à l'amiable. La semaine dernière, lors d'une conférence réunissant les industriels de la fibre, Sébastien Soriano, son président, a tapé du poing sur la table. Il a réclamé à Orange, sans citer nommément le groupe, un « geste fort » pour rattraper son retard et lui éviter une mise en demeure, suivie d'éventuelles sanctions. Son souhait :
« Il doit y avoir très rapidement des offres [de fibre, Ndlr] de détail pour les foyers qui sont raccordables à la demande, a-t-il déclaré. Les prises qui sont considérées comme raccordables doivent l'être effectivement pour les utilisateurs. Tant que ce signal fort n'aura pas été envoyé et reçu cinq sur cinq dans un délai rapide par l'Arcep, cela va être extrêmement compliqué pour le régulateur d'être constructif par la suite. »
Des négociations difficiles
De fait, il existe un problème avec les locaux « raccordables à la demande ». Sur le papier, un foyer qui rentre dans cette catégorie peut faire une demande d'accès la fibre, avec un raccordement sous six mois. L'ennui, c'est que l'opérateur d'infrastructures, qui déploie le réseau, ne peut répondre favorablement que si l'opérateur commercial propose effectivement une offre Internet à très haut débit à ce client. Ce qui est loin, dans les faits, d'être souvent le cas. Orange en a conscience. « Nous en discutons avec le régulateur et l'Etat, affirme notre source. Il est évident que cette offre de détail [pour les foyers raccordables à la demande, Ndlr] arrivera un jour. Tout le débat, c'est quand, et dans quelles conditions nous le ferons. Nous devons trouver un point d'équilibre. » Ces prises de bec entre Orange et l'Arcep ne vont pas améliorer leur relation, jalonnée, ces dernières années, de nombreux conflits.
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