Fibre : Orange et l’Arcep s’écharpent sur la couverture des villes moyennes

L’opérateur historique ne sera pas au rendez-vous de ses engagements de déploiement de la fibre dans les villes moyennes et périphéries des grandes agglomérations en 2020. Cette situation découle de l'arrivée d'un nouveau référentiel pour évaluer le nombre de locaux à couvrir, et de la crise du Covid-19. Préoccupé, le régulateur des télécoms menace le numéro un français du secteur de sanctions sans « geste fort », de sa part, pour rattraper son retard.
Pierre Manière
Stéphane Richard, le PDG d'Orange (à gauche), et Sébastien Soriano, le président de l'Arcep.
Stéphane Richard, le PDG d'Orange (à gauche), et Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. (Crédits : Reuters)

Le torchon brûle une nouvelle fois entre Orange et l'Arcep. Cette fois, la pomme de discorde concerne la couverture en fibre des zones dites « moyennement denses ». C'est-à-dire les villes moyennes et les périphéries des grandes agglomérations. Ces dernières années, l'opérateur historique s'est engagé à apporter la fibre à près de 3.000 communes dans ces territoires. Orange a deux échéances à respecter. Une première au 31 décembre 2020, où il doit rendre raccordable au moins 92% des logements et locaux professionnels. Le reste doit être « raccordable sur demande » - c'est-à-dire dans un délai n'excédant pas six mois après une demande de raccordement. La deuxième échéance intervient en 2022. A cette date, la fibre doit être disponible dans tous ces territoires.

Problème : Orange ne sera pas au rendez-vous de sa première obligation. A La Tribune, une source proche de l'opérateur confirme qu'il ne pourra pas tenir ses engagements pour cette année. Elle assure, toutefois, qu'Orange sera dans les clous en 2022. Comment expliquer ce retard ? D'une part parce que la crise du Covid-19 a entravé les déploiements. « On vient d'être arrêté pendant trois mois et demi, indique notre source. En Ile-de-France, c'est 90% du BTP qui s'est arrêté. »

12,7 millions de locaux à raccorder

Mais ce n'est pas tout. En avril dernier, l'Arcep a actualisé le nombre locaux à raccorder dans les zones moyennement denses. Pour évaluer ce chiffre, le régulateur se basait jusqu'alors sur des données de l'Insee. Désormais, il utilise un autre référentiel : celui des fichiers « IPE » des opérateurs. Ces derniers offrent, selon l'autorité, « une estimation plus pertinente et plus à jour du nombre de locaux à rendre raccordables ». Or pour Orange, cela change tout. Alors que, selon les bases de l'Insee, l'opérateur avait 11,2 millions de locaux à raccorder, l'opérateur en a désormais, selon les fichiers IPE, 12,7 millions sur le dos ! « Comment voulez-vous qu'on fasse ce million de logements en plus d'ici le 31 décembre ? », s'interroge notre source. Questionné par La Tribune, Orange ne fait pas de commentaire.

L'Arcep, de son côté, comprend les difficultés d'Orange liées au coronavirus, mais balaye son émoi concernant le nouveau référentiel. « Orange est très en retard », juge une source proche du dossier. A la fin du premier trimestre 2020, seuls 8 millions de locaux étaient effectivement raccordables par l'opérateur historique, selon les chiffres de l'Arcep. Le rythme des déploiements d'Orange dans les zones moyennement denses inquiétait déjà l'autorité avant le confinement. Mais surtout, l'Arcep soutient que son nouveau référentiel ne change rien aux engagements d'Orange. Ceux-ci, assure l'autorité, ont toujours porté sur un nombre de communes à couvrir, et certainement pas sur un nombre de locaux gravé dans le marbre. Dans ces conditions, le régulateur argue qu'il pourrait légitimement, à terme, blâmer Orange pour non-respect de ses obligations. Interrogé par La Tribune, l'Arcep se refuse à tout commentaire.

« En cas de contentieux, tout le monde sera perdant »

Il n'empêche que son interprétation fait hurler l'opérateur historique. « Nous nous sommes engagés à faire 92% d'un nombre de prises calculé sur une base Insee », soutient notre source proche de l'opérateur. Laquelle se montre menaçante : d'après elle, l'introduction du nouveau référentiel ayant « un fort impact économique », Orange pourrait s'appuyer sur une disposition lui permettant d'être libéré de ses engagements ! « Dans ce dossier, si nous rentrons dans une bataille juridique, dans du contentieux, tout le monde sera perdant », prévient-elle.

En coulisse, Orange, l'Arcep et le gouvernement négocient durement une solution à l'amiable. La semaine dernière, lors d'une conférence réunissant les industriels de la fibre, Sébastien Soriano, son président, a tapé du poing sur la table. Il a réclamé à Orange, sans citer nommément le groupe, un « geste fort » pour rattraper son retard et lui éviter une mise en demeure, suivie d'éventuelles sanctions. Son souhait :

« Il doit y avoir très rapidement des offres [de fibre, Ndlr] de détail pour les foyers qui sont raccordables à la demande, a-t-il déclaré. Les prises qui sont considérées comme raccordables doivent l'être effectivement pour les utilisateurs. Tant que ce signal fort n'aura pas été envoyé et reçu cinq sur cinq dans un délai rapide par l'Arcep, cela va être extrêmement compliqué pour le régulateur d'être constructif par la suite. »

Des négociations difficiles

De fait, il existe un problème avec les locaux « raccordables à la demande ». Sur le papier, un foyer qui rentre dans cette catégorie peut faire une demande d'accès la fibre, avec un raccordement sous six mois. L'ennui, c'est que l'opérateur d'infrastructures, qui déploie le réseau, ne peut répondre favorablement que si l'opérateur commercial propose effectivement une offre Internet à très haut débit à ce client. Ce qui est loin, dans les faits, d'être souvent le cas. Orange en a conscience. « Nous en discutons avec le régulateur et l'Etat, affirme notre source. Il est évident que cette offre de détail [pour les foyers raccordables à la demande, Ndlr] arrivera un jour. Tout le débat, c'est quand, et dans quelles conditions nous le ferons. Nous devons trouver un point d'équilibre. » Ces prises de bec entre Orange et l'Arcep ne vont pas améliorer leur relation, jalonnée, ces dernières années, de nombreux conflits.

Pierre Manière

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Commentaires 5
à écrit le 30/06/2020 à 17:00
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Aucun opérateur n'a respecté ses engagements tant dans le développement de la 4G (zones blanches) pour les téléphones portables que la fibre pour internet. Par ailleurs, ces mêmes opérateurs sont déjà sur les listes pour la 5G. En terme d'égalité, ...

à écrit le 30/06/2020 à 16:34
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Ces opérateurs téléphoniques se sont créés une voie royale, presque plus de concurrence, ils augmentent à tout va leurs prestations, et que je t'augmente la box, et que je t'augmente la facture internet, et que je t'augmente la durée des communicatio...

à écrit le 30/06/2020 à 16:24
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Les postures anti-Orange de M. Soriano sont fatigantes à la fin. Certes Orange n'est pas un icône, mais tout de même, si cette société n'investissait pas à tour de milliards d'euros depuis 15 - 20 ans, où en serait le paysage télécom de notre pays ?...

à écrit le 29/06/2020 à 18:46
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Dans le monde des telecoms il y a plusieurs blaguounettes. Le fait qu'orange soit en retard en zone moyennement dense pour cause de Covid vient de rentrer dans le panier. Comme s'ils n'étaient pas en retard depuis le début :p (et il n'est pas questio...

à écrit le 29/06/2020 à 17:54
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ca y est, c'est reparti pour un coup de decision independante pourquoi l'arcep ne demande pas a free de faire les investissements en mettant ca a titre quasi gratuit a dispo des concurrents couvrir les grandes villes c'est ca qui interesse les gens...

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