Fibre, mobile  : la crise du Covid-19 menace les déploiements

Outre l’attribution des fréquences 5G, qui a été reportée, le grand chantier de déploiement de la fibre tourne au ralenti, faisant peser un risque sur la pérennité de la filière.
Pierre Manière
Depuis le début de l'épidémie et du confinement, le chantier du déploiement de la fibre a fortement ralenti.
Depuis le début de l'épidémie et du confinement, le chantier du déploiement de la fibre a fortement ralenti. (Crédits : Alessandro Bianchi)

Le secteur des télécoms est économiquement moins impacté que d'autres par l'épidémie de coronavirus. Les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free peuvent toujours compter sur la manne des abonnements Internet fixe et de téléphonie mobile. Pour autant, le Covid-19 vient bousculer les colossaux plans de déploiements des réseaux, aussi cruciaux pour le secteur que pour l'économie française au sens large.

En premier lieu, 2020 devait être l'année du lancement de la 5G, la nouvelle génération de communication mobile, dans l'Hexagone. Aujourd'hui, difficile de savoir si cette ambition sera une réalité. Au début du mois, l'Arcep, le régulateur des télécoms, a confirmé que la vente des fréquences 5G aux opérateurs serait reportée. Initialement, cette attribution devait débuter il y a tout juste une semaine, le 21 avril. Aujourd'hui, Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, a deux scénarios dans sa besace. « Le premier serait de pouvoir conduire les enchères à la fin du mois de juillet, et le deuxième, ce serait en septembre », a-t-il récemment déclaré. L'arbitrage dépendra, dit-il, de « la vitesse de sortie de confinement ».

En attendant, les opérateurs sont pieds et mains liés. Ce retard pourrait s'avérer handicapant. La 5G fait l'objet d'une course de vitesse à travers le globe. Et ce pour des raisons de compétitivité économique. Contrairement aux générations précédentes, la 5G n'est pas qu'une technologie destinée aux particuliers. Elle est surtout présentée comme un moyen de doper l'activité des entreprises dans tous les secteurs d'activité. Capable de prendre en charge les objets connectés de manière massive, la 5G est perçue comme un levier puissant pour les industriels désireux d'optimiser leurs processus de production, de gérer plus finement leurs actifs, tout en déployant de nouveaux services.

En matière d'Internet fixe, c'est le déploiement de la fibre qui inquiète. Ce gigantesque chantier s'est retrouvé, un temps, presque paralysé par l'épidémie. Au point de susciter une très forte inquiétude de la filière. A côté des grands opérateurs nationaux, celle-ci compte une cascade d'entreprises plus ou moins grandes. Toutes sont essentielles pour préserver le rythme élevé des déploiements. Mais toutes n'ont pas la surface financière pour passer la crise sans casse. Or, si une partie de cette filière, qu'il a fallu des années à organiser, devait mettre la clé sous porte, toute machine industrielle pourrait se gripper.

Au début du mois, Etienne Dugas, le président d'InfraNum, qui fédère les industriels impliqués dans le chantier de la fibre, a tiré la sonnette d'alarme. Dans nos colonnes, il a appelé le gouvernement à l'aide, jugeant indispensable de maintenir l'activité du déploiement de cette technologie à au moins 30% pendant la crise. D'après lui, cela  permettra à de nombreuses PME de survivre, puis de relancer la machine industrielle plus vite une fois l'épidémie passée.

Le 22 avril dernier, l'exécutif a répondu à cet appel dans une lettre aux collectivités :

« Sans reprise rapide des déploiements, la capacité de rebond de la filière serait amoindrie, de même que notre capacité collective à répondre au besoin de connectivité numérique des Français, ont écrit les ministres Jacqueline Gourault, Julien Denormandie et Cédric O, respectivement en charge de la Cohésion des territoires, de la Ville et du Logement, et du Numérique. Depuis le 16 mars dernier, le gouvernement a pris plusieurs initiatives réglementaires spécifiques pour soutenir les entreprises du secteur des communications électroniques, au-delà des mesures générales de soutien dont elles bénéficient également. »

Surtout, les ministres appellent les collectivités et élus locaux à délivrer aux acteurs de la fibre « les autorisations nécessaires aux chantiers de déploiement des infrastructures ». Depuis le début de la crise et du confinement, certaines entreprises éprouvent de grandes difficultés à décrocher ces sésames, sans lesquels ils ne peuvent envoyer leurs équipes sur le terrain.

Echange d'amabilités entre l'Arcep et les opérateurs

En parallèle, Sébastien Soriano a récemment appelé les quatre grands opérateurs nationaux à tout faire pour soutenir la filière.

« Nous devons saluer de très nombreuses initiatives prises par les opérateurs - en tout cas une partie d'entre eux - qui font des avances de trésorerie à des tissus de PME et à leurs sous-traitants, a-t-il déclaré la semaine dernière, lors d'une audition au Sénat. Je voudrais éviter que la reprise [du déploiement des réseaux, et notamment de la fibre] soit retardée parce qu'on n'a pas soutenu tout cet écosystème. »

Entre les lignes, Sébastien Soriano glisse un joli tacle à SFR, puisque c'est le seul des quatre grands opérateurs qui n'a pas, à ce jour, annoncé des mesures de soutien à la filière. Au sein du groupe de Patrick Drahi, on argue que la situation de l'opérateur est différente de celle des autres, dans la mesure où beaucoup de ses sous-traitants sont des filiales.

Surtout, Sébastien Soriano a sous-entendu que certains opérateurs pourraient profiter de la crise pour justifier des retards de déploiements de réseaux qui n'y sont pas liés. « Nous n'accepterons pas n'importe quel retard, n'importe quel motif, au prétexte de la crise », a-t-il averti. Des propos qui ont hérissé les opérateurs. Dans la foulée, Arthur Dreyfuss, à la tête de la Fédération française des télécoms (FFT) et secrétaire général de SFR, a qualifié les mots du président de l'Arcep d'« insultants » dans un entretien au Figaro.

« Les opérateurs ne sont pas le problème, ils sont la solution, a-t-il enchaîné. Ils ont besoin d'être soutenus, à l'heure où ils permettent à notre économie de tenir debout grâce au télétravail, aux cours en ligne, aux appels à nos proches pour maintenir le lien social, alors que nous sommes confinés. »

Même en temps de crise, les relations entre régulateur et régulés demeurent électriques.

Pierre Manière

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Commentaires 5
à écrit le 29/04/2020 à 13:34
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la bonne excuse pour justifier les retards "habituels"

à écrit le 29/04/2020 à 9:27
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Bravo! Grace à son talent unique pour associer pouvoirs publics, semi-privé et collectivités locales dans un embrouillamini inextricable de promesses ambigues, de statistiques fallacieuses, d'auto-satisfaction et d'alarmes injustifiables, la France r...

le 30/04/2020 à 1:32
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Ne sous-estimez pas les français ! On est suffisamment c... pour réélire Macron et sa clique ultralibérale !

le 30/04/2020 à 12:08
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Réponse à Panoramix : Hélas, ça me semble très peu corrélé à la couleur du gouvernement. Orange et consorts étaient là avant et y seront après, avec quelques agences et comités de plus au niveau de chaque commune, chaque département, chaque région.....

à écrit le 28/04/2020 à 19:01
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Autant pour la 5G qui est de l'irradiation collective c'est un répit de pris autant c'est plus embêtant pour la fibre et de ce fait plutôt que de faire à moitié les deux, abandonner le premier pour se concentrer sur le second serait judicieux. Ma...

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