Nokia veut tailler à la hache dans ses effectifs de R&D en France

L’équipementier télécoms finlandais a indiqué, ce lundi, qu’il comptait supprimer plus de 1.200 postes dans l’Hexagone. Un véritable séisme pour les salariés du groupe, qui essuient leur quatrième plan social en quatre ans. Cette manœuvre porte un nouveau coup à la souveraineté numérique de la France.
Pierre Manière
Selon les syndicats, 83% des coupes d'effectifs, soient environ 1.000 personnes, concernent la R&D.
Selon les syndicats, 83% des coupes d'effectifs, soient environ 1.000 personnes, concernent la R&D. (Crédits : Sergio Perez)

Dans les années à venir, la France comptera-t-elle encore dans le secteur ultra-stratégique des équipements télécoms et des technologies de communication mobile ? Il est permis d'en douter. Jusqu'en 2016, la France possédait, avec Alcatel-Lucent, un fleuron dans ce domaine. Mais cette pépite a été vendue, avec l'aval du gouvernement - et d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie -, à Nokia. Depuis, le groupe finlandais a multiplié les plans sociaux. Comme La Tribune l'a révélé le 15 juin dernier, Nokia vient d'annoncer une nouvelle vague de suppression de postes en France. Ce sera la quatrième en quatre ans. Ce lundi, la direction en a précisé les contours : pas moins de 1.233 salariés seront poussés vers la sortie.

Dans un communiqué, Nokia, qui emploie encore 5.138 personnes dans l'Hexagone, précise que seul Alcatel-Lucent International, son navire amiral avec 3.640 salariés, est concerné. La direction juge que son « plan de transformation » s'avère « nécessaire pour atteindre un niveau de rentabilité durable et améliorer la productivité sur un marché de plus en plus compétitif, avec une très forte pression sur les coûts ». Au total, l'état-major de Nokia souhaite supprimer 402 postes sur son site de Lannion (Côtes d'Armor), et 832 postes à Paris-Saclay, à Nozay (Essonne). A La Tribune, Nokia affirme vouloir privilégier des départs volontaires. Mais si le compte n'y est pas, le groupe recourra à des licenciements secs. Le ministère de l'Economie et des Finances, qui suit le dossier de près, se montre insatisfait de l'annonce de l'équipementier. « Nokia doit améliorer très significativement son plan social », a réagi Bercy.

« Nokia abandonne la France »

Les syndicats, qui ont appris la nouvelle ce lundi lors d'une réunion extraordinaire du Comité social et économique (CSE), sont effarés par l'ampleur du plan. « C'est un séisme, s'étrangle la CFE-CGC dans un communiqué. En colère, abasourdis, les représentants du personnel n'en reviennent pas. Ce n'est qu'une stratégie à bas coûts qui se met en place, contraire à tous les engagements pris par Nokia en France. »

Si les syndicats sont si choqués, c'est d'une part parce que ces suppressions de postes sont aussi importantes que celles de l'ensemble des trois premiers PSE. Mais aussi parce que ce plan s'attaque pour la première fois aux bijoux de la couronne: la R&D. Selon les représentants du personnel, environ 1.000 salariés sont concernés sur les 2.500 de Nokia dans ce domaine. Ce pôle R&D travaille sur les technologies d'avenir, dont la fameuse 5G, qui commence à être déployée dans le monde. Dans son communiqué, Nokia annonce vouloir « regrouper des activités de R&D afin de supprimer les redondances et améliorer les synergies entre les équipes ». En ciblant ce pôle stratégique, « Nokia abandonne la France », peste Bernard Trémulot, de la CFDT. « Ils tuent le site de Lannion, qui passera sous les 400 personnes, fusille-t-il. C'est une trahison. »

« Nokia se moque du monde »

Ironie de l'histoire : au moment du rachat d'Alcatel-Lucent, Nokia s'était engagé auprès du gouvernement à étoffer ses troupes en R&D pendant quatre ans. A l'époque, Bercy y voyait l'assurance que la France constituait un pays d'avenir pour l'équipementier télécoms. Depuis, Nokia a, il est vrai, embauché 500 ingénieurs et chercheurs, dont beaucoup de jeunes. Mais alors que cet engagement vient tout juste d'arriver à échéance, Nokia s'apprête à tailler dans ce pôle à la hache... Un retournement qui irrite le député LREM Eric Bothorel. « Ainsi Nokia s'apprête à se séparer (entre autre) des ingénieurs R&D récemment recrutés, notamment à Lannion, dézingue ce bon connaisseur des télécoms et du numérique sur Twitter. C'est se moquer du monde pour rester poli. C'est un plan de fin qui ne dit pas son nom, pas un plan de restructuration. »

Un autre point fait jaser les syndicats. D'après eux, la plupart des engagements pris par Nokia il y a quatre ans n'ont pas été respectés. L'un d'entre eux, en particulier, visait à maintenir les troupes d'Alcatel-Lucent International à 4.200 personnes jusqu'à la fin 2017. Cette promesse n'aurait, selon les représentants du personnel, jamais été tenue. Nokia, de son côté, prétend le contraire.

Zones d'ombre

Il existe des zones d'ombre sur ces engagements qui n'ont jamais été précisément dévoilés. Les syndicats souhaitent y avoir accès pour les auditer. Mais Bercy et Nokia refusent de les partager. Le ministère de l'Economie et des Finances argue que ces documents contiennent des informations couvertes par le secret des affaires ou par le secret de la défense nationale. Il y a quelques mois, Olivier Marcé, de la CFE-CGC et membre de l'intersyndicale, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada). Dans un avis, auquel La Tribune a eu accès, celle-ci se montre favorable à une transmission des documents, expurgés des informations sensibles, aux représentants du personnel. Mais Bercy y reste opposé. A en croire les services de Bruno Le Maire, les documents seraient notamment illisibles si toutes les informations sensibles étaient caviardées.

D'après Olivier Marcé, cette position est incompréhensible. « Nous allons saisir le tribunal administratif, affirme-t-il. Bercy n'a peut-être pas envie de créer un conflit avec Nokia. En outre, ces obligations ont été prises sous l'égide d'Emmanuel Macron. Peut-être craignent-ils un retour de bâton et des critiques de l'opposition si les engagements n'ont pas été respectés... »

« Une technologie de souveraineté disparaît »

Ce plan social intervient alors que Nokia rencontre d'importantes difficultés. Il a notamment payé au prix fort certaines erreurs stratégiques, qui ont renchéri le prix de ses équipements 5G par rapport à ceux de ses rivaux Ericsson et Huawei. Symbole de cette mauvaise passe, le PDG de l'équipementier, Rajeev Suri, a rendu son tablier au début du mois de mars.

Ces coupes d'effectifs portent un sérieux coup à la souveraineté numérique de la France. Le pays est en passe de perdre un savoir-faire précieux dans le domaine stratégique des réseaux mobiles. Gilles Babinet, vice-président du Conseil national du numérique (CNNum), ne cache pas son inquiétude. Voilà « une technologie dite de souveraineté qui disparaît, a-t-il lancé sur Twitter. Une fois que c'est éteint, cela ne revient plus. »

Pierre Manière

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Commentaires 17
à écrit le 24/06/2020 à 12:14
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En France on est incapable de construire un simple smartphone ! Souvenez-vous d'Alcatel leader en son temps rachete par Nokia qui aujourd'hui sabre la France. Plus de competences, de tech formes, voila le pays et ses chomeurs en masse.

à écrit le 23/06/2020 à 18:11
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Orange a fait pareil en France alors que c’est la poule aux œufs d’or à 40 milliards de chiffre d’affaires, pour aller perdre l’argent dans la télé le sport la banque

le 23/06/2020 à 18:43
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Depuis quand est-ce qu'Orange est un équipementier télécom ? On nous l'aurait caché? Orange et Nokia , ce sont 2 métiers différents.

à écrit le 23/06/2020 à 13:27
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Il fut un temps où Alcatel était un poids lourd de la téléphonie. Comment en est on arrivé là? A force de stratégies hyper novatrices, de dirigeants incompétents et cupides, de décisions politiques irréfléchies prises par des individus responsables m...

à écrit le 23/06/2020 à 10:04
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La mainmise de la technologie chinoise ds les télécoms sur l'Europe, c'est bien parti. A moins qu'il y ait un sursaut de l'UE pour aider au rapprochement entre les 2 groupes européens sur ce secteur ultra stratégique. Mais, ça paraît bien trop tard...

à écrit le 23/06/2020 à 9:59
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Oui lindustrie des telecoms restructure à marché forcé. Il faut tout faire pour sauvegarder l'emploi et conserver la r&d en France pour la 5g. Nous devons avoir une technologie d'avenir. Nokia fait beaucoup de pse (politique de restructuration us ?)....

le 23/06/2020 à 18:50
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Nokia n'étant pas Français, je ne vois pas comment on peut les forcer à garder la R&D en France. C'est tout le problème de ces boîtes " pseudo Françaises" qui sont sous coupe étrangère. Nous n'avons aucune prise sur leurs stratégies et leurs arbitrag...

à écrit le 23/06/2020 à 9:32
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Nokia n’en finit pas de se restructurer en licenciant à tout va, mais pour aller où dans sa recherche éperdue du patient zéro de la rentabilité. Les chinois eux ont l’argent de l’état pour se maintenir, quoi qu’il en coûte.

à écrit le 23/06/2020 à 6:26
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nokia a racheté Alcatel avec se soutien de m macron voila ce que c'est la macronie une déconstruction de la France soutenue par les verts et rien que du chômage en perspective le reste ne sont que des promesse et après trois de pouvoir rien ne ...

le 23/06/2020 à 9:00
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c'était quoi l'alternative ? la disparition pure ou simple ? une nationalisation au frais du contribuable ? expliquez nous

le 23/06/2020 à 12:43
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2015 : Après Le ministre de l’Économie Emmanuel Macron a estimé mardi que le projet de rapprochement entre Nokia et son concurrent Alcatel-Lucent était un "message rassurant" pour les salariés et permettra de créer "le grand champion européen" fac...

le 23/06/2020 à 12:47
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@raoul " une nationalisation au frais du contribuable ?" Pourquoi pas, avec des salariés eux-mêmes contribuables qui travaillent et cotisent pour diverses caisses ,comme ta retraite tu devrais être satisfait, non ,tu préfères des chômeurs appar...

à écrit le 23/06/2020 à 0:32
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Le numérique, c'est fait par des enfants qui manipulent des métaux lourds et polluants. Il faut l'interdire et le taxer. Retour a la gravure sur marbre.

à écrit le 22/06/2020 à 19:54
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Comment a fait cette multinationale pour se planter autant ? Pour passer de premier et meilleur constructeur de téléphones portables, leur avance était impressionnante, à multinationale en crise perpétuelle. Une belle enquête à mener tiens.

le 22/06/2020 à 23:48
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Nokia a été racheté par une société américaine. Les USA rachètent nos entreprises une par une avec leur monnaie de singe, même à perte, pour empêcher l'Europe de les doubler. La France se laisse couler et renforce ainsi le leadership de l'Allemagne, ...

le 23/06/2020 à 8:52
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"pour empêcher l'Europe de les doubler" LOL ! IL faudrait quand même être un minimum lucide hein, dumping fiscal, dumping social l'Europe était peut être en mesure de doubler les états unis à son début, et encore, en partant d'un continent en...

le 23/06/2020 à 12:54
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la seule est unique raison est de vendre l'entreprise pas le gestion et encore moins le production ou la création de nouveau produits. tout ceci ils s'en tape seul le profit de la revente voir Alsthom vendu par les memes

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