Télécoms : Bruxelles critique vivement la régulation de l'Arcep sur le tarif du dégroupage

L’Arcep, le gendarme français des télécoms, a ouvert la voie, à partir de l’année prochaine, à une nette augmentation du prix auquel Orange loue son réseau cuivre aux SFR, Bouygues Telecom et Free pour apporter l’ADSL à leurs abonnés. Si la Commission européenne critique ce projet, celui-ci ne devrait, a priori, pas faire l’objet de profondes modifications.
Pierre Manière
Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep.
Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep. (Crédits : D.R)

Sa position était très attendue par tous les opérateurs français. En fin de semaine dernière, la Commission européenne a publié son avis sur l'évolution de la régulation de l'Arcep, le gendarme français des télécoms, en matière d'Internet fixe pour la période 2024-2028. Elle s'est montrée pour le moins critique à l'égard du projet de l'autorité, lequel sera particulièrement structurant, pour le secteur, ces cinq prochaines années. Le sujet est aussi complexe que technique. Mais il est crucial pour l'avenir des télécoms françaises et la compétition entre les acteurs.

Dans sa missive, Bruxelles alerte notamment sur le risque qu'Orange, l'opérateur historique et dominant dans l'Hexagone, bénéficie d'une « rente » liée à une augmentation du prix du dégroupage. C'est-à-dire le tarif payé à la ligne par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom et Free) au leader des télécoms pour accéder à son réseau cuivre et apporter l'ADSL à leurs clients.

« Encourager la migration vers la fibre »

L'Arcep entend, de manière générale, ouvrir la voie à une augmentation du tarif du dégroupage dans les territoires où la fibre est disponible. L'objectif est à la fois d'inciter les abonnés à passer de l'ADSL à la fibre, et du même coup de favoriser la fermeture du réseau cuivre. L'Arcep a toujours été claire : il est temps que les réseaux de fibre, désormais disponibles pour 86% des Français, remplacent le vieux réseau cuivre, par ailleurs bien plus énergivore. Il n'y a pas, à ses yeux, de logique économique à conserver deux coûteux réseaux Internet fixe à l'échelle nationale.

Bruxelles est, fondamentalement, d'accord le gendarme des télécoms. « La commission convient qu'un assouplissement progressif des obligations réglementaires, en particulier de l'obligation de contrôle tarifaire [le prix du dégroupage, Ndlr], imposées au réseau cuivre pourrait encourager la migration vers la fibre optique », écrit-elle.

La grosse colère de Xavier Niel

Mais elle tique sur les modalités selon lesquelles certaines augmentations doivent voir le jour. Le diable est dans les détails. En premier lieu, l'Arcep compte augmenter, au 1er janvier prochain, le prix du dégroupage de 1,23 euros, à 11,27 euros. Ce point ne pose pas de problème à la Commission européenne. Cela dit, l'Arcep prévoit d'ajouter à ce montant une augmentation de 75 centimes d'euros en 2024, puis de 1,50 euros en 2025, pour les territoires où 95% des foyers sont raccordables à la fibre. Ce dispositif fait, en revanche, grincer des dents la commission. « Dans certaines zones, l'augmentation des prix de gros de l'accès cuivre pourrait durer jusqu'à six ans au total », déplore-t-elle. Et ce dans le meilleur des cas, « si Orange n'a pas de retard dans la réalisation de son plan de fermeture technique [définitive, Ndlr] de son réseau de cuivre, d'ici à 2030 », renchérit-elle dans une note de bas de page.

En mars dernier, Xavier Niel, le propriétaire de Free, avait passé un gros coup de gueule à ce sujet. Lors d'une audition au Sénat, le milliardaire avait jugé cette perspective inacceptable. « Nous sommes d'accord pour une hausse du prix du dégroupage - et même une dérégulation - un an avant la fermeture pratique du réseau cuivre, mais pas cinq ans avant », s'est-il énervé. Dans ce cas, a-t-il ajouté, « tout le monde, y compris Orange, va se presser » pour migrer ses abonnés ADSL vers la fibre. « Mais aujourd'hui, ce qu'on nous vend, c'est cinq ans », a râlé le fondateur de Free, fustigeant « une Arcep complètement acquise à Orange, qui se couche devant Orange ». En coulisse, Bouygues Telecom et SFR sont également très remontés.

La Commission européenne considère, comme eux, que cette augmentation du prix du dégroupage doit être mise en place pour une période bien plus courte, « de deux à trois ans avant la fermeture du réseau cuivre ». Elle estime, aussi, que cette hausse ne doit concerner que les territoires où il y a « une concurrence sur les infrastructures entre les fournisseurs de fibre optique ». Sinon, insiste Bruxelles, « la pression concurrentielle exercée par le réseau en fibre pourrait, en particulier dans les zones plus rurales, ne pas suffire à contraindre le comportement d'Orange, en particulier après la fermeture commerciale nationale du réseau cuivre [où il sera impossible de souscrire à un nouvel abonnement à cette technologie, Ndlr] annoncée pour 2026 ».

Enfin, il existe un dernier mécanisme que l'Arcep souhaite mettre en place : il s'agit, pour les territoires qui disposent de la fibre, de permettre à Orange de fixer lui-même le tarif du dégroupage. Deux critères ont été retenus : la zone concernée doit faire l'objet d'une fermeture commerciale du réseau cuivre depuis six mois, et sa fermeture technique doit intervenir dans moins de deux ans. Si les préavis de fermeture technique d'Orange ne sont pas respectés, l'opérateur historique devra « restituer les éventuelles sommes indûment perçues » aux opérateurs alternatifs, rappelle la Commission européenne.

Bruxelles appelle l'Arcep à surveiller Orange

Mais Bruxelles redoute qu'Orange ne joue pas le jeu. Elle appelle l'Arcep à surveiller étroitement les faits et gestes de l'opérateur, et ne pas hésiter à le sanctionner :

« La commission invite instamment l'Arcep à garantir l'application effective du mécanisme de remboursement en adoptant des mesures supplémentaires, telles que le paiement d'intérêts par Orange, précise-t-elle. En outre, la commission incite vivement l'Arcep à empêcher Orange (par exemple en lui infligeant automatiquement des pénalités supplémentaires) de retirer un bénéfice financier de la prolongation du processus de fermeture par le non-respect des délais fixés pour la fermeture technique. »

Ces craintes de Bruxelles visent le cœur du projet de régulation de l'Arcep. Le gendarme des télécoms va-t-il devoir « revoir sa copie », comme s'en félicite un opérateur alternatif ? Interrogé par La Tribune, le régulateur ne souhaite pas, pour le moment, faire de commentaire. Mais si changements il y a, ceux-ci devraient être à la marge. Si la Commission européenne avait voulu retoquer le texte de l'Arcep, explique une source proche du régulateur, elle aurait pu faire basculer la procédure, qui était jusqu'alors en « phase 1 », dit-on dans le jargon bruxellois, en « phase 2 ». Le projet de régulation aurait, alors, fait l'objet d'une enquête approfondie. A ce stade, la position de la commission conforte le projet du gendarme français des télécoms, selon notre source.

L'Arcep devrait camper sur ses positions

Autrement dit : l'Arcep doit désormais seulement « tenir compte des commentaires » de la commission, comme l'explique le Berec, l'organe des régulateurs européens des télécoms, sur son site. Mais rien ne l'oblige à tout chambouler.

La Tribune, un opérateur alternatif défend une autre vision des choses. D'après lui, la position de la Commission européenne ne doit pas être interprétée comme un feu vert. A ses yeux, l'insatisfaction de Bruxelles ne fait guère de doute. Ses critiques sont particulièrement « vives », et l'institution a utilisé « les mots les plus durs dont elle dispose », justifie cet opérateur. Mais il souligne que Bruxelles « n'a pas de pouvoir juridique d'opposition sur les remèdes », dont l'évolution du prix du dégroupage. Il convient que la commission aurait pu aller en « phase 2 » sur ce volet. Mais précise que cette démarche aurait été vaine, puisqu'il n'existe pas, ici et au bout du bout, « de droit de veto ». Cet opérateur prévient, d'emblée, que « l'instance juridique pour s'opposer aux remèdes de l'Arcep est le Conseil d'Etat », après l'adoption finale du texte...

A ce stade, et sous réserve de la décision définitive de son collège, l'Arcep semble, selon nos informations, camper sur ses positions. Au grand dam des SFR, Bouygues Telecom et Free, à qui cette hausse du tarif du dégroupage donne des boutons depuis des mois. « Si l'Arcep ne bouge pas vraiment, ça ne change pas grand-chose », se désole un dirigeant d'un opérateur alternatif. Le régulateur entend, quoi qu'il en soit, adopter son texte d'ici la fin de l'année.

Article publié le 05/12/2023 à 18h24, et modifié le 06/12/2023, à 17h16, avec l'ajout de la position d'un opérateur alternatif.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2023 à 23:47
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Qui a payé le réseau cuivre téléphonique ? À l'époque les PTT étaient une entité étatique avec des fonctionnaires, donc les français ont payé ce réseau cuivre comme l'étude de la fusée postale ! Le nouveau réseau fibre : 3,3 milliards d'euros d'arge...

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