Télécoms : bataille explosive sur le tarif du dégroupage

Orange souhaite que le prix payé par les autres opérateurs pour utiliser son réseau cuivre (ADSL) soit révisé à la hausse par l’Arcep. Mais au grand dam du numéro un français des télécoms, le régulateur n’a toujours pas pris de décision à ce sujet. En face, SFR, Bouygues Telecom et Free mènent un lobbying effréné pour voir ce tarif baisser. Explications.
Pierre Manière
Christel Heydemann, la patronne d'Orange (à gauche), met la pression sur Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep, pour augmenter le prix du dégroupage.
Christel Heydemann, la patronne d'Orange (à gauche), met la pression sur Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep, pour augmenter le prix du dégroupage. (Crédits : Reuters)

Le dossier est une poudrière. La question du prix du dégroupage fait aujourd'hui l'objet de fortes tensions dans le secteur des télécoms. Il s'agit du prix payé par les opérateurs alternatifs à Orange pour emprunter son réseau cuivre, utilisé pour le téléphone et l'ADSL. Ce tarif, qui s'élève à 9,65 euros par ligne et par mois jusqu'en 2023, est déterminé par l'Arcep, le régulateur des télécoms. En février dernier, ce dernier a lancé une consultation publique concernant une possible révision de ce prix. Mais les mois ont passé, et l'Arcep n'a toujours pas tranché.

Cette situation a provoqué la colère d'Orange. L'opérateur historique ne l'a jamais caché : il souhaite rapidement voir ce tarif du dégroupage augmenter de manière significative. Pourquoi ? Parce qu'au regard de l'opérateur historique, l'équation économique du réseau cuivre, dont il a la charge, est intenable. Son état-major rappelle que cette infrastructure se vide de ses abonnés. Ceux-ci troquent souvent leur vieil ADSL contre une connexion à la fibre, beaucoup plus rapide, lorsque cette technologie est disponible. S'il reste encore 16,5 millions de clients sur le réseau cuivre, « la décroissance du parc s'accélère », a indiqué Christel Heydemann, la directrice générale d'Orange, ce mercredi lors d'une audition au Sénat. « Il a baissé de 15% en 2021, et cette tendance se confirme pour 2022 », a-t-elle insisté. Ce qui provoque une importante perte de revenus pour Orange.

« Il y a eu un deal entre Orange et l'Arcep »

En parallèle, « les coûts de maintenance, eux, ne baissent pas proportionnellement », déplore la dirigeante. Orange affirme consacrer environ 500 millions d'euros par an pour entretenir son réseau cuivre, qui date des années 1960. Dans ce contexte, l'opérateur estime légitime d'augmenter le tarif du dégroupage. Cette manne supplémentaire lui permettrait, défend-t-il, de conserver son réseau en bon état de marche, jusqu'à son extinction, prévue en 2030.

Si Orange est si remonté, c'est parce qu'il s'estime floué par l'Arcep. « Fin 2020, il y a eu un deal entre Orange et l'Arcep », a déclaré Christel Heydemann devant les sénateurs. A l'époque, le régulateur avait indiqué qu'il pourrait réviser à la hausse le tarif du dégroupage pour la période 2022-2023 si Orange présentait un plan de fermeture de son réseau cuivre. Dans nos colonnes, Sébastien Soriano, le précédent président de l'Arcep, s'était montré très clair, à ce sujet :

« Si Orange venait avec un plan extrêmement concret et ambitieux de migration accélérée de ses abonnés du cuivre vers la fibre, alors, dans ce cas, il serait juste d'ouvrir la question d'une hausse plus significative de la paire de cuivre, a-t-il précisé. De fait si Orange fermait plus vite son réseau, il y aurait dans ce cas, pour lui, un manque à gagner. »

L'Arcep dément tout accord avec Orange

En présentant son plan de fermeture du réseau cuivre en février dernier, Orange, souligne Christel Heydemann, « a tenu ses engagements ». Mais en retour, « l'Arcep n'a rien fait alors que tout était prévu et annoncé », fustige la dirigeante, qui a indiqué qu'elle préparait des recours contre le régulateur devant le Conseil d'Etat.

Interrogé par La Tribune, l'Arcep, qui fait par ailleurs l'objet de sévères critiques, ne lève pas le voile sur ses ambitions concernant le prix du dégroupage. Mais l'autorité affirme qu'aucun accord n'a été signé avec Orange :

« Une autorité de régulation ne fait pas de 'deal' avec un acteur régulé, explique le gendarme des télécoms. La régulation, ce sont des décisions du régulateur, des obligations ou des engagements pour les acteurs régulés, encadrés par un suivi et un contrôle, dans la perspective d'apporter la meilleure connectivité possible aux Français. »

« La position d'Orange, c'est du bullshit ! »

Ce dossier du tarif du dégroupage préoccupe aussi énormément SFR, Bouygues Telecom et Free. Ces cadors des télécoms se mobilisent depuis des années pour pousser l'Arcep à baisser ce prix. Tous estiment que leurs investissements doivent désormais aller dans la fibre, le réseau d'avenir, et non dans le réseau cuivre. « Il ne faut pas oublier qu'Orange est ultra-dominant dans l'Internet fixe, expliquait à La Tribune, en février 2020, un cadre d'un opérateur. Les autres opérateurs alternatifs sont plus fragiles. Toute augmentation tarifaire se ferait à leur détriment, et limiterait leurs capacités à investir dans les réseaux. »

Même son de cloche pour le dirigeant d'une autre opérateur alternatif. « Il n'a aucune raison de réhausser ce tarif du dégroupage, s'étranglait-il. Il est temps qu'il baisse ! Le sujet, maintenant, c'est la fibre. C'est ce nouveau réseau qui doit profiter de nos investissements. Pas le cuivre. La position d'Orange, c'est du bullshit ! » Les opérateurs et le régulateur n'ont pas fini de croiser le fer à ce sujet.

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 05/12/2022 à 7:08
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Cela fait 25 ans que France Telecom comme Orange est obligé par l'ARCEP, l'ADLC et l'UE d'offrir à perte son réseau ses services et sa R&D àaux milliardaires oligarques Niel, Drahi, Bouygues et BOlloré afin qu'ils puissent investir dans leurs empires...

à écrit le 03/12/2022 à 16:06
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Attention à ne pas faire à Orange ce que l'on a fait à EDF ! Fleuron dans le nucléaire EDF est en faillite financière et technologique. On veut faire payer Orange afin d permettre aux copains de Macron de gagner plus d'argent sur le dos du contr...

à écrit le 03/12/2022 à 13:04
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L'argumentation des opérateurs alternatifs est assez hypocrite : en effet, s'ils migrent eux aussi leurs clients vers le support fibre,de facto ils ne pairont plus la location de la paire de cuivre correspondante. Donc, cette charge devrait baisser d...

à écrit le 02/12/2022 à 18:38
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Ce n'est pas " son réseau" Les Français l'ont payé, donc historiquement c'est le nôtre. En tout cas heureusement qu'il est là, le bon vieux réseau qui a fait ses preuves ! On a négligé son entretien, pour previlegier la fibre mais comme toute techno...

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