Télécoms : Orange voit sa propriété du génie civil de plus en plus contestée en France

Orange ferraille depuis des années dans les tribunaux avec plusieurs collectivités locales. L’enjeu de ces passes d’armes : la propriété des fourreaux et des poteaux construits avant la libéralisation des télécoms, et où passent ses réseaux. La balance semble aujourd'hui pencher du côté des collectivités, comme en témoigne un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille défavorable à l'opérateur historique.
Pierre Manière
Les câbles télécoms, qu'ils soient en fibre optique ou en cuivre, sont toujours déployés sous terre grâce à des fourreaux, ou en aérien via des poteaux.
Les câbles télécoms, qu'ils soient en fibre optique ou en cuivre, sont toujours déployés sous terre grâce à des fourreaux, ou en aérien via des poteaux. (Crédits : DR)

Ce bras de fer perdu peut sembler anecdotique. Il pourrait cependant coûter cher à Orange. Lundi dernier, un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille a donné raison à la commune d'Aix-en-Provence dans un vieux conflit avec l'opérateur historique. L'affaire remonte au 23 mars 2017. Ce jour-là, la mairie d'Aix-en-Provence émet 25 « titres de recettes » à l'encontre d'Orange. Ceux-ci concernent l'utilisation des fourreaux et infrastructures de génie civil utilisés par l'opérateur pour déployer ses câbles télécoms dans la commune, et dont cette dernière s'estime propriétaire. La note, salée, s'élève à plus de 557.000 euros.

Orange refuse de payer. Le géant français des télécoms juge que ces infrastructures de génie civil, qui ont été construites avant 1997 et la libéralisation des télécoms françaises, lui appartiennent. Elles font partie, argue l'ancien monopole d'Etat, d'un « transfert global » d'actifs au niveau national, qui a été décidé cette même année au moment de sa privatisation, dans le cadre de l'ouverture du secteur à la concurrence. L'opérateur porte alors l'affaire devant le tribunal administratif de Marseille. En juillet 2019, celui-ci balaye les desiderata d'Aix-en-Provence. Mais le contentieux n'en reste pas là. Dans la foulée, la ville fait appel, et, au grand désarroi d'Orange, donne raison à la commune. Le premier jugement est annulé par la cour administrative d'appel de Marseille. Celle-ci estime, toutefois, que les montants réclamés par Aix-en-Provence ne sont pas justifiés, et ramène à la facture à un peu plus de 76.000 euros.

Cet arrêt constitue « une petite bombe »

Autant dire une paille pour un groupe de l'envergure d'Orange. Mais l'important n'est pas là. Dans son arrêt, la cour reconnaît explicitement la propriété d'Aix-en-Provence sur les infrastructures de génie civil concernées. Elle considère qu'avant 1997, le monopole de l'ex-France Télécom concernait « l'établissement des réseaux, c'est-à-dire des câbles et installations de télécommunication ». Mais cela ne permet « pas de déduire » qu'Orange « serait propriétaire des fourreaux et infrastructures destinés à accueillir ces réseaux », poursuit-elle.

Au-delà de constituer un camouflet pour l'opérateur historique, cette victoire d'Aix-en-Provence s'apparente à « une petite bombe dans le cadre du contentieux sur la propriété des infrastructures de génie civil utilisées par Orange », juge l'avocat Alexandre Archambault, spécialiste du numérique, et ancien directeur des affaires réglementaires de Free. D'abord parce que cet arrêt pourrait faire boule de neige, et inciter d'autres collectivités à réclamer la propriété du génie civil.

La défense d'Orange se fissure

Ensuite, parce que la justice vient, concrètement, fissurer la défense d'Orange sur ce sujet qui mine le secteur depuis un quart de siècle. Interrogé par La Tribune, l'opérateur s'en agace. « Orange est surpris par cette décision qui va à l'encontre de huit ans de jurisprudence établie sur cette question, affirme le numéro un français des télécoms. Ce droit de propriété d'Orange sur les infrastructures de génie civil antérieures à 1997 est d'ailleurs consacré par les juridictions tant civiles (y compris la Cour de cassation) qu'administratives. Elles ont en effet confirmé ce droit y compris face aux opérateurs, mais aussi aux collectivités territoriales qui ne peuvent revendiquer par principe un quelconque droit sur ces infrastructures qui ont été transférées historiquement à Orange sans renverser la charge de la preuve. »

Dans ses conflits avec les collectivités, Orange brandit notamment un arrêt de 2015 de la Cour de cassation. Celui-ci portait sur un contentieux avec la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. Il concernait l'endommagement du génie civil utilisé pour les télécoms suite à des travaux de voirie. La Cour de cassation a alors établi une « présomption de propriété » de l'opérateur historique. D'après la plus haute juridiction judiciaire, le génie civil construit avant 1997 lui appartient, à moins que la collectivité soit en mesure de prouver le contraire, en apportant la preuve qu'elle a assuré le financement et la maîtrise d'ouvrage.

« Le débat est replacé sur le terrain administratif »

Cette décision a constitué « une victoire à la Pyrrhus pour les collectivités », affirme Alexandre Archambault. Pourquoi ? Parce que celles-ci ne sont « pas les championnes des fonds documentaires », rappelle-t-il. Elles peinent, dans les faits, à retrouver les documents qui pourraient prouver leur propriété, si tant est qu'ils existent encore... Dans ce contexte, « l'apport de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille est de replacer le débat sur le terrain administratif, s'agissant ici de l'occupation du domaine public », souligne Alexandre Archambault. Or au yeux du Conseil d'Etat, qui est la plus haute juridiction administrative, « la protection du domaine public est de tous temps un objectif constitutionnel », ajoute l'avocat.

Cela signifie que si Orange, comme il y réfléchit aujourd'hui, décidait d'un pourvoi devant le Conseil d'Etat dans son conflit avec Aix-en-Provence, il risquerait fort de s'y casser les dents. Dans cette hypothèse, l'opérateur pâtirait ensuite d'une décision à l'échelle nationale susceptible de remettre en cause toute sa propriété du génie civil dans le pays bâti avant 1997. En rester là et ne rien faire pourrait, en revanche, être perçu comme un aveu de faiblesse.

La réaction d'Orange est très attendue

En décembre 2015, Orange s'était bien pourvu devant le Conseil d'Etat après avoir perdu en appel son bras de fer avec la ville de Caen sur l'utilisation du génie civil. Mais l'opérateur a finalement fait machine-arrière. Son état-major a préféré « le dialogue »rapportait le site NexInpact, et enterrer la procédure contre un chèque de 4,4 millions d'euros à la collectivité. Dans ce contexte, la réaction d'Orange après sa défaite face à Aix-en-Provence fera l'objet de toute les attentions.

Pierre Manière

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Commentaires 2
à écrit le 23/11/2022 à 14:55
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Ok , donc si orange abandonne la propriété des fourreaux en domaine public qui donc réglera la facture en cas de gaine abîmée desservant 1 particulier sur le domaine public ... actuellement c est transparent pour le client quel que soit l opérateur ....

à écrit le 22/11/2022 à 19:35
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oui oui, et le jour ou ca derouille, on va venir chez orange en leur demandant de ' prendre ses responsabilites', comme disait segolene royal.........ca fait penser a scopelec ou y a pas d'actionnaire voyou, mais le jour ou ca derouille, on demande a...

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