Investisseurs, comment évaluer la vraie valeur d'une entreprise ? Les réponses d'un expert

Les experts du cabinet Detroyat, spécialiste de la valorisation des sociétés, vous ont répondu le jeudi 12 novembre.

Bonjour et bienvenue sur le "tchat". Aujourd'hui nous avons le plaisir d'accueillir Philippe Leroy, Président de Detroyat & Associés, qui répondra à toutes vos questions.

Bonjour. Je suis très heureux de répondre à vos questions et je suis venu accompagné de Florent Myara, qui m'assistera en tant que grand technicien dans mes réponses.

Beghin : Comment la crise financière influence-t-elle la pratique de l'évaluation de l'entreprise ? Parmi les méthodes d'évaluations usuelles, est-ce que certaines sont plus pertinentes, mieux adaptées que d'autres, ou va-t-on vers un nouveau modèle d'évaluation ?

La crise financière a démontré que les modèles qui sont "vrais" dans un environnement "stable" ne l'étaient plus dans un environnement de très grandes turbulences. D'autant que, pendant une très longue période, les entreprises avaient elles-mêmes une visibilté très réduite sur leur carnet d'affaires et leurs prévisions. Dans ce contexte, les modèles classiques ont été en quelque sorte aveugles et dans l'incapacité de donner des réponses précises et surtout opposables aux acteurs qui se posaient des questions.
Les modèles d'évaluation d'entreprise classiquement utilisés aujourd'hui datent d'une vingtaine d'années (ont d'ailleurs été couronnés par un prix Nobel) et ont traversé plusieurs crises sans remise en question fondamentale de leurs pratiques. La crise actuelle, bien qu'ayant surpris par son ampleur, n'a pas à ce jour vu émerger de pratiques alternatives plus satisfaisantes. Revenons néanmoins au bon sens. Il est illusoire de considérer qu'on puisse valoriser un actif sans avoir une connaissance parfaite de ses flux, de ses perspectives et de la probabilité de réussite de ses projets. La théorie de l'évaluation nous indique à quel taux actualiser ces flux, c'est aujourd'hui ce qui est mis à mal par des marchés turbulents, par contre l'analyse méthodique de l'existant d'une société reste une approche indispensable quel que soit l'environnement macro-économique dans lequel on se situe.

jeanjean : Quelle est votre méthode ?

Il n'y a pas de méthode dans l'absolu et surtout toute approche de l'évaluation est réalisée selon un point de vue qui peut être celui du majoritaire, celui du minoritaire, d'un acheteur, d'un vendeur, fiscal, comptable, du marché ou bien d'un échange de gré à gré. Il n'y a donc pas de valeur cardinale, il y a des points de vue et les travaux qui en résultent doivent être rigoureux pour définir de quel point de vue on se place.

Suzon : La crise a vu croître le débat sur la fair value ? Faut-il privilégier selon vous la valeur de marché, la valeur comptable, une valeur moyenne ?

La valeur comptable reste une référence d'évaluation mais ne peut pas résumer à elle seule l'approche retenue. D'autant que la valeur comptable est le résultat d'une démarche dans laquelle le management de la société est lui-même sollicité pour donner des éléments de valorisation au modèle. Dans le cadre des normes comptables actuelles, la valeur comptable représente l'appréciation par le management de la valeur minimale de ses actifs.
Quant à la valeur de marché, ce que la crise a démontré c'est la remise en cause du dogme selon lequel les marchés avaient toujours raison. Elle constitue néanmoins une référence indispensable pour la détermination de la "vraie" valeur, à condition de la replacer et de la comprendre dans une perspective qui écarte toutes les valeurs extrêmes.
Quant à la valeur moyenne, je comprends dans votre question "la moyenne entre plusieurs méthodes" et nous sommes très prudents avec cette appréciation, car il ne sert à rien de faire la moyenne entre des prix qui seraient extrêmes et d'en déduire que la "vraie" valeur se situe au milieu.

Ron Tudju : Les technos sont pas bien valorisées selon moi. Qu?en pensez-vous ?

Je suis d'accord avec vous, elles ne sont pas bien valorisées. La raison en est simple : les facteurs de risque inhérents aux activités "techno" sont eux-mêmes difficilement appréhendables. Que ce soit sur les technologies utilisées par l'entreprise elles-mêmes ou la rapidité avec laquelle les marchés de ces technologies vont se développer.

Koff : Dans l'évaluation d'une entreprise, comment faire pour estimer l'incorporel, le goodwill tant qu'il n'y a pas d'offre de rachat ?

Les éléments incorporels ainsi que le "goodwill", qui sont des agrégats comptables, sont la résultante d'une différence entre une évaluation de l'ensemble des actifs de la société (reconnus et non reconnus à son bilan) et la valeur nette comptable telle qu'elle figure en comptabilité. Par définition, les "goodwill" ont une valeur qui ressort à l'occasion d'une transaction. Ils ne sont pas appréhendés ex ante, mais ressortent d'une analyse ex post du prix payé.

Krach : La crise a vu nombre de sociétés et de banques passer de massives provisions pour dépréciations de titres. Cela signifie t il que ces actifs étaient mal valorisés dans leurs comptes ou bien que leur valeur a changé en raison de la crise ?

La décision de prendre une provision est une décision du management de la société qui fait un choix pour refléter ce qu'il pense être la nouvelle valeur à prendre en compte dans les livres, compte tenu d'un environnement macro-économique qui a évolué.

mgbeghin : Comment peut on trouver une valeur objective dans une marché où il n'y a plus d'échange, comme c'était le cas au plus fort de la crise fin 2008 ?

Il y a toujours une valeur objective, intrinsèque, mais il n'y a pas toujours un marché où l'on peut échanger l'actif à un prix qui fasse du sens par rapport à cette valeur objective. Ce phénomène peut se produire également sur des marchés extrêmement liquides comme celui des changes ou le marché obligataire.

Money : Au sein du CAC 40 quelles sont les sociétés qui valent le plus cher ? Quels sont vos chouchous ? Total, Axa, Vinci ?

Le marché des sociétés liquides permet d'effectuer des comparaisons et de raisonner en valeur relative que ce soit historiquement ou sur un groupe de sociétés comparables (même secteur). En ce sens, il n'est pas difficile de faire soi-même des analyses chiffrées qui permettent de comprendre parmi les sociétés considérées celles qui sont plus chères et celles qui sont moins chères. Le problème de l'investisseur classique est qu'il n'a pas le choix entre être long ou court de titres. En ce sens, il ne peut pas profiter de la valeur relative d'un titre par rapport à l'autre, contrairement aux "hedge funds" qui ont cette possibilité.

Doc : Comment expliquez vous que les agences de notation aient pu attribuer des notes de solidité financière donc de valeur élevées à des produits aussi spéculatifs que les subprimes ? Est-ce que cela ne souligne pas la difficulté à évaluer un produit financier, surtout complexe, et de là ceux qui en détiennent beaucoup ?

D'une façon générale, la période subprime a produit beaucoup d'aveuglement chez de nombreux intervenants qui ont tous été pris dans le mirage de rentabilité élevée sans risque. On peut dire que la quasi-intégralité des modèles de valorisation des titrisations négligeait tout simplement le risque systémique du marché immobilier aux Etats-Unis qui pouvait s'effondrer dans son ensemble. C'est ce que personne n'a voulu voir.

Casimir : Bonjour Monsieur, J'investis beaucoup sur Alternext mais les infos ne sont pas toujours complètes, ce qui m'empêche de valoriser correctement. Qu'en pensez-vous ?

Plus les sociétés sont petites, plus leur "business model" est soumis à des risques et plus les probabilités de réaliser le "business plan" sont complexes à appréhender, sans que cette déficience d'information soit nécessairement liée à une volonté du management de "cacher" ce qu'il se passe. Il s'agit simplement des risques propres à ce marché qu'on peut éventuellement couvrir en diversifiant ses investissements sur ce marché.

Patron : Le talent d'un dirigeant entre-t-il dans l'évaluation d'une entreprise ? Si oui, comment, si non, pourquoi ?

Oui, totalement, bien que ce soit difficilement quantifiable. Cela permettra néanmoins d'avoir une meilleure approche de la compréhension des risques encourus par le "business model".

dubitatif : L?âge du chef d?entreprise peut-il avoir une influence sur la valorisation d?une société ?

Oui si la réussite d'une entreprise est intimement liée à une personne (un fondateur, un dirigeant historique), mais c'est leur responsabilité ultime de mettre en place une succession qui préserve la valeur de l'outil qui leur a été confié.

Paris : Bonjour, actuellement j?ai des parts de Natixis. Pensez-vous qu?elles vont remonter ? En vous remerciant

Comme l'exprimait Pierre Desproges : "La prévision est un art difficile surtout pour ce qui concerne l'avenir"... Cela est valable pour toutes les actions prises individuellement.

dubitatif : Alors que les taux d?intérêt de marché sont historiquement bas, faut-il financer une entreprise à majeure partie par de la dette ?

Les taux d'intérêt sont bas, mais pas les "spreads " de crédit, ni la liquidité abondante. Cela explique le difficile recours à la dette même dans les cas où un levier élevé serait justifié.

Juan Carlos : Y a-t-il une différence dans l´évaluation de la valeur d´une entreprise, selon qu´elle est située en Europe, en Amérique du Nord ou dans un pays émergent ?

Oui, il y a des facteurs de risque pays à prendre en compte, mais le cadre méthodologique général reste applicable.

dubitatif : La bourse n?arrive pas à tenir compte de la valorisation des actifs incorporels (système d?information, brevets, organisation). Pourquoi ?

Parce qu'elle ne dispose pas des informations lui permettant de le faire.

Valette : À la vue d'un bilan, quelle est la méthode ou les méthodes pour évaluer la valeur d'une entreprise ?

L'approche par les comptes donne des informations de nature historique sur la société. Dans la valorisation "intrinsèque" d'une société, nous nous intéressons à sa capacité future de produire des flux financiers. L'information historique donne des renseignements importants sur les grands agrégats comptables de la société (niveau de dette, besoin en fonds de roulement, etc.), mais cette information est insuffisante pour réaliser une modélisation et un jugement sur ce qu'il va se passer.

ido53 : Bonjour Monsieur, Je ne suis qu'un petit investisseur depuis peu, juste avant la crise. Depuis toujours j'ai géré mon épargne en bon père de famille en placement sur des carnets. Cependant, les taux d'intérêts chutant à vue d'oeil, j'ai pensé alors investir en actions. Ma question est essentiellement sur l'un des investissements que j'ai fait entre autre. Juste avant la crise. Il s'agit de l'action Thomson; un des leaders mondial dans son domaine je crois. Pensez-vous que cette entreprise va pouvoir se ressaisir et revenir au-dessus de 3,50 ? à moyen ou long terme. Les financements qu'elle a sollicités sont-ils réalisées ou en bonne voie. Grâce à ses restructurations est-elle une entreprise encore viable? Car, je constate que les conseils que l'on donne un peu partout sont toujours de vendre!!! Merci de votre réponse.

Même réponse qu'à "Paris". La théorie financière (dont certains principes demeurent forts) recommande néanmoins, nous le rappelons, de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.

dubitatif : En 2006 et 2007, les fonds de LBO ont fait beaucoup de bêtises en achetant des sociétés sur des multiples beaucoup trop élevés. Que va-t-il arriver à ces sociétés ?

Beaucoup d'entre elles seront confrontées à un "mur de dette", dont la date importante se situe aux environs de 2014. Il convient ici de distinguer l'entreprise elle-même qui peut être très saine de sa structure holding qui porte la dette. La qualité de ses actifs reste indépendante de la manièrer dont ils ont été financés. Le démontrer sera le challenge des actionnaires et du management pour renégocier les termes et conditions d'endettement.

Yvzs : Comment valorise-t-on dans le contexte actuel les SSII ?

En tant qu'entreprises sous-traitantes, elles ont été exposées à une chute de leur carnet de commandes de la part des gros donneurs d'ordre. Dans un environnement économique plus porteur, les carnets de commandes redeviendront attractifs, ce qui entraînera des variations importantes dans l'appréciation de leur cours de Bourse.

mgbeghin : On dit que le marché a toujours raison. Est ce que l'on peut vraiment faire confiance à la valorisation faite par le marché en voyant année après année des bulles gonfler, suivies de vents de panique entraînant de forte baisses de valeurs et accompagnés d'augmentation de la prime de risque ?

La théorie selon laquelle le marché a toujours raison est l'une des théories particulièrement mise à mal par la crise. On a également beaucoup glosé sur les esprits animaux qui s'emparent des agents économiques à l'occasion de la création de bulles comme de leur dégonflement. Lorsque nous évoquions précédemment les difficultés de la théorie économique pour expliquer les valorisations d'aujourd'hui, nous faisions implicitement référence à ces phénomènes comportementaux qui ouvrent une voie de recherche pour explorer des terrains nouveaux dans l'approche des évaluations des actifs.

harry vee : comment évaluer la valeur d'un hôtel restaurant entre 35 et 50 chambres et un restaurant pouvant accueillir 50 clients ?

Par la qualité de son management, la solidité de son "business plan" en intégrant également des éléments qualitatifs comme son emplacement, son confort, son accueil et la qualité de son service. Un hôtel de 35 chambres vides n'a pas la même valeur qu'un hôtel de 35 chambres pleines. L'analyse des comptes historiques est de toute façon nécessaire pour porter un jugement en "première approche" sur ces points.

Trader72 : Par rapport à la valeur réelle de l'entreprise, quel est le pourcentage de dettes acceptable ?

La valeur de l'actif économique est indépendante de la structure financière de cet actif. Seule une approche empirique actif par actif, en tenant compte de la cyclicité, du taux de croissance et du caractère prévisible de ses flux, permet d'estimer ce pourcentage.

Merci Philippe Leroy, le mot de la fin ?

Merci également pour vos questions intéressantes auxquelles nous espérons avoir répondu de manière à vous donner des éléments de réflexion complémentaires.

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