Éoliennes : les moulins de la discorde

À chaque projet de mise en place d’un parc éolien terrestre ou offshore, les mêmes arguments pour ou contre reviennent. Sans nuances. Et si l’éolien était l’une des manifestations toujours plus importantes de l’archipélisation française ? (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
(Crédits : Unsplash)

« Good idea but not in my backyard ! » Littéralement, « bonne idée mais pas dans mon arrière-cour » ou « pas chez moi ». Une expression américaine qui illustre à merveille les débats français autour de la question des éoliennes. À chaque endroit où des projets de ce type sont mis en place, apparaît ce que les géographes nomment le syndrome « NIMBY ». Comme si ce que l'éolien charriait avec lui était inévitablement serti d'interrogations, de rejet catégorique ou d'adhésion démesurée. Comme si, au fond, dans cette aventure de la transition énergétique, le chemin était toujours semé d'embûches. Au premier rang de celles-ci, les contradictions humaines couplées d'une forme de peur de l'avenir.

« Les éoliennes sont utiles pour l'avenir. Le mix énergétique est la seule solution viable si l'on veut que nos enfants ou petits-enfants puissent vivre aussi bien que nous » ; « Ces éoliennes sont un non-sens écologique total. Le département de l'Yonne a déjà payé son tribut. Le paysage est défiguré et la biodiversité locale est menacée par ces géants monstres hideux » ; « S'est-on un jour posé la question du bilan écologique des éoliennes ? »...

Des messages comme ceux-ci, oscillant entre le pour et le contre, entre la détestation et l'amour, il y en a eu presque un millier sur le registre dématérialisé d'enquête publique qui a été mis à disposition des habitants de la commune de Massangis (Yonne, 89) au sujet d'un nouveau parc de dix éoliennes en cours d'instruction par les pouvoirs publics. Pour justement tenter de sonder les cœurs et les esprits autour de ce projet, la préfecture de l'Yonne a eu recours à une grande enquête publique. Dans cette commune de cinq cents habitants, située dans la vallée du Serein, les éoliennes sont un sujet épineux. Très épineux. Et pour cause, plusieurs projets ont d'ores et déjà vu le jour en 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022 et ces moulins des temps modernes suscitent la défiance d'une grande partie de la population. Au final, c'est le préfet de l'Yonne qui décidera ou non de l'implantation de ce nouveau parc, mais clairement au-delà de l'opposition du conseil municipal de Massangis et de la communauté de communes concernées, ce qui ressort des contributions laissées lors de l'enquête publique, que la Revue T a pu consulter en détail, est une opposition largement majoritaire. Ce village de l'Yonne n'est pas le seul à avoir ces débats, ces anicroches et ces désaccords autour de l'éolien. Cela surgit partout en France. Dans les terres ou pour l'éolien offshore. Dans le registre du débat public qui s'est tenu en 2021 et 2022 autour du projet envisagé au large de l'Île d'Oléron en région Nouvelle-Aquitaine, ou autour de celui qui a vu le jour en 2022 au large de Saint-Nazaire. Espacées d'environ 1 km, les 80 éoliennes du projet offshore ont été implantées sur le banc rocheux de Guérande et ont, elles aussi, suscité de nombreuses réprobations. Venant des pêcheurs et des défenseurs de la faune et de la flore maritimes, mais aussi plus globalement des riverains qui ont dénoncé « l'enlaidissement du paysage ».

Comme une antienne. À chaque nouvelle perspective d'érection d'un parc éolien, les mêmes arguments, et les mêmes craintes. L'urgence climatique contre l'inutilité et l'enlaidissement du paysage.

Tout pour l'indépendance énergétique

Du côté de l'urgence climatique, l'idée-force d'une énergie qui avec l'énergie solaire est la plus économique et qu'elle permettra de faire baisser inexorablement le prix de l'électricité. Une baisse des coûts rendue possible notamment grâce au travail de milliers de techniciens et ingénieurs et au retour d'expériences de plus de 250 000 grandes éoliennes en fonctionnement à travers le monde. L'autre argument qui revient souvent du côté des tenants de l'énergie éolienne est celui du retard français. Ce fut notamment le cas lors de l'inauguration du parc en mer de Saint-Nazaire. Avant l'avènement de ces éoliennes, la France ne comptait que quelques petites éoliennes en mer, Saint-Nazaire étant le premier véritable parc. En comparaison, il y en a 2 000 au Royaume-Uni, 1 500 en Allemagne et 559 au Danemark, selon des chiffres de Windeurope. « La France n'a pas fait un travail très fin de planification de ses façades maritimes pour dire : "Je veux développer l'éolien offshore et voilà précisément où je veux mettre mes parcs. Et j'organise une concertation pour ces zones-là" », déclarait d'ailleurs Michel Gioria, délégué général de France énergie éolienne, association porte-parole de l'énergie éolienne en France, lors de l'inauguration du parc de Saint-Nazaire. Avant d'annoncer qu'il fallait en faire émerger d'autres : à Fécamp, à Saint-Brieuc, à Courseulles-sur-Mer ou encore à Dunkerque à l'horizon 2026.

Dernier argument avancé pour soutenir les projets d'éoliennes qui fleurissent un peu partout sur le territoire : l'indépendance énergétique de la France qui pourrait justement s'accentuer grâce à ces énergies renouvelables. Les 8 000 éoliennes existantes permettent de contribuer à 8 % environ du mix énergétique, troisième source d'électricité du pays derrière le nucléaire et l'hydraulique, désormais devant le thermique. L'objectif fixé par le gouvernement d'atteindre le palier de 15 000 moulins modernes en 2050 pourrait donc participer de cette diversification énergétique pour la France.

Les raisons de la discorde

Les 8 000 éoliennes françaises actuelles sont réparties sur 1 380 parcs disséminés, le plus souvent dans de grandes plaines, notamment dans les Hauts-de-France et le Grand Est. Les arguments des opposants sont de trois ordres. La défiguration du paysage, donc. Mais aussi de nombreuses autres nuisances, notamment sonores, mais pas seulement. Si la loi impose une distance minimale d'implantation de 500 mètres des habitations ainsi qu'un seuil sonore ne pouvant excéder 35 décibels, les personnes habitant proche des parcs éoliens se plaignent du bruit très puissant des pales qui tournent à côté de chez elles. Les opposants avancent aussi des raisons qui tiennent à la préservation de la biodiversité qui ne serait pas assurée du fait de la création d'éoliennes. Les oiseaux étant notamment pris au piège des longues pales mais aussi la perturbation de la vie des troupeaux d'élevage. Ainsi, une enquête du journal Médiacités publiée en 2019 après l'installation d'un parc éolien terrestre en Loire-Atlantique s'est intéressée à l'effet que cela pouvait avoir sur les vaches après que celles-ci eurent adopté un comportement étonnant et surtout auraient eu des complications pour le vêlage et dans leur transit qui seraient dues à des courants parasites et des failles d'eau. Le ministère de l'Environnement, à la suite d'une plainte en préfecture d'un couple d'agriculteurs, a débloqué 30 000 euros pour des investigations plus poussées et un arrêté préfectoral a acté un protocole de recherche.

Autre problème posé : une forme de pollution cachée puisque le matériel de fabrication, est selon les opposants, polluant. La durée de vie actuelle d'une éolienne est d'environ trente ans, une fois obsolète, elle est complètement démantelée et ses éléments sont recyclés à 95 %. Une éolienne est faite à 90 % de béton et d'acier, à 10 % de fibres de verre ou de carbone pour les pales. Le problème réside justement dans le traitement de ces pales, difficiles à recycler. Faute de mieux, elles sont brûlées et utilisées comme combustibles dans les cimenteries. Pas encore complètement vertes donc les éoliennes, dont la façon de les faire tenir dans le sol avec des trous très profonds constitue aussi un argument des opposants par rapport à la préservation des sols.

Une question politique

Sujet complexe qui, dans un monde où la nuance n'a que peu de place, conduit à des affrontements épiques et où, surtout, la question est devenue éminemment politique. Pour le gouvernement comme pour ses oppositions, ou même des personnalités hors de la sphère politique. Le gouvernement a fait adopter en première lecture le projet de loi énergies renouvelables qui vise à faciliter les implantations d'éolien et de solaire. L'objectif du texte étant, selon la ministre de la Transition énergétique de « diviser par deux les délais de déploiement ». « Actuellement, il faut en moyenne 5 ans de procédures pour construire un parc solaire, 7 ans pour un parc éolien et 10 ans pour un parc éolien en mer, soit deux fois plus de temps que nos voisins européens », a-t-elle précisé lors du Conseil des ministres du 26 septembre dernier alors qu'elle y présentait le texte. Un projet de loi qui devrait être voté lors du premier trimestre 2023. L'une des mesures centrales de ce texte est de retoquer le droit de veto des maires pour s'opposer à des installations sur leur territoire pour lui substituer une possibilité pour les communes de désigner des zones prioritaires pour l'implantation de projets bas carbone. Par ailleurs, le projet de loi souhaite favoriser l'installation de panneaux photovoltaïque près des autoroutes et des grands axes, ainsi que sur les friches des anciennes décharges et/ou carrières, ou encore grâce à des ombrières sur les parkings extérieurs. Enfin, la loi en cours d'examen prévoit la mobilisation des terrains agricoles.

Les oppositions, et notamment le Rassemblement National, en ont fait un argument de campagne lors de la séquence électorale présidentielle et législative de 2022. Tous les candidats RN lors des législatives portant la lutte contre les éoliennes en étendard comme étant encore une nouvelle façon « pour la France qui va bien d'abîmer la France qui souffre. Celle des territoires et des Gilets jaunes ».

Des mots, des affrontements, des tâtonnements qui racontent en creux un morceau de l'archipel français décrit par Jérôme Fourquet. Cette France faite de positions sédimentées quasi irréconciliables qui rendent le pays de plus en plus difficile à gouverner. Dans La France sous nos yeux, qu'il a coécrit avec Jean-Laurent Cassely, Jérôme Fourquet a poursuivi son enquête. Dans un entretien sur cet ouvrage accordé au journal L'inspiration politique, il déclare notamment : « Dans le cadre de la transition écologique, c'est dans les territoires de la France de l'ombre que sont localisés les moyens de production des énergies renouvelables. Les éoliennes, les fermes de panneaux solaires, des équipements qui ne seront pas sur la côte, ou dans les beaux quartiers. On va les installer dans des endroits où le foncier ne coûte pas cher et où on dira aux gens "Bah, de toute façon, c'est déjà un peu moche chez vous, donc voilà, une éolienne de plus ou de moins" ». Le vent de la discorde éolienne n'a pas fini de souffler.

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T 13

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Commentaires 5
à écrit le 03/04/2023 à 10:16
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l article oublie l argument numero 1 des anti: taper sur les eoliennes permet de favoriser le nucleaire (puisqu il faut generer de l electricite de toute facon). Sur le plan esthetique, je trouve pas une eolienne particulierement laide. en tout cas m...

à écrit le 02/04/2023 à 12:35
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J'avais cru lire qu'il n'y avait que 20% de la surface de notre beau pays en mesure d'accueillir des éoliennes (aérologie favorable, etc). En mer il faut voir, c'est vaste (à 30km, il faut de bonnes jumelles pour dire 'y a des éoliennes qui troublent...

à écrit le 02/04/2023 à 9:21
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Bonjour je constat que souvent le debats et limité et la désinformation importante... Les Éoliennes ne sont pas produite en france , mais a l'étranger (Allemagne). Le rendement electrique est faibles, période de non vents période d'entretiens......

à écrit le 01/04/2023 à 18:12
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Igor Kostin J'ai 3 éoliennes auprès de chez moi. Je ne prétends pas détenir le monopole du bon goût ,mais je trouve ces éoliennes sont plutôt élégantes dans le morne paysage de plaine qui est le mien .C 'est mon mon de vue et je dénie ai...

à écrit le 01/04/2023 à 17:08
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Les éoliennes sont belles et ne déparent pas les paysages, non? Alors pourquoi n'y en a-t-il pas sur le Champ-de-mars, ou à côté du hideux "Sacré cœur"? : il y a pourtant beaucoup de vent à ces endroits, et une grosse demande d'électricité. Ces mag...

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