Défaut sur la dette grecque : un remède sans doute pire que le mal

Par Frédéric Gonand, économiste.
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Les propositions de rééchelonnement de la dette grecque gagnent du terrain. Elles sont alimentées par l'Allemagne qui poursuit son action pour réformer la gouvernance économique de la zone euro sur le mode pénitentiel et expiatoire déjà évoqué dans cette chronique le 12 avril dernier.

Quelles qu'en soient les modalités, un défaut souverain en Grèce constituerait une catastrophe économique non seulement pour ce pays mais aussi - et, oserait-on dire, surtout - pour l'ensemble de la zone euro, donc pour la France. Il alourdirait considérablement le coût économique de l'erreur qui, il y a une dizaine d'années, a fait entrer par mégarde ou par aveuglement les pays de la périphérie européenne dans la monnaie unique.

Une comparaison de la situation grecque actuelle avec le défaut sur la dette publique de l'Argentine en 2001 est particulièrement éclairante. Au début des années 2000, l'Argentine connaissait un niveau de dette publique très élevé, une croissance faible et un taux de change réel surévalué avec un "peg" du peso sur le dollar (lien de parité fixe avec une marge de fluctuation étroite). La Grèce de 2009 lui est étrangement comparable, l'appartenance à la zone euro fonctionnant un peu comme un "peg" contraignant. La situation économique de la Grèce en 2009 était même nettement plus dégradée que celle de l'Argentine en 2001, avec un déficit de près de 13% du PIB (contre 6,3%), une dette publique deux fois plus lourde en part de PIB et un déficit public primaire d'environ 8% du PIB (contre 1,4%). Malgré une situation économique qui n'était donc pas si catastrophique en 2001, le défaut sur la dette publique de l'Argentine a déclenché une chute de son PIB de 11% dès 2002, une envolée du chômage à plus de 20% et de l'inflation à environ 40%.

Aujourd'hui, l'Argentine est toujours perçue comme un Etat paria sur les marchés financiers internationaux. Le coût en bien-être du défaut sur sa dette publique a été considérable. Il le reste aujourd'hui encore, dix ans après la crise.

A ce jour, rien de tout cela n'a encore été observé en Grèce, du moins sur une telle ampleur. L'appartenance à la zone euro - avec ce qu'elle implique en termes de conduite lisible de la politique monétaire et de relative stabilité financière - a fonctionné comme un amortisseur efficace pour protéger la Grèce contre les conséquences les plus vénéneuses de la spéculation financière.

Dans ce contexte, l'organisation d'un défaut souverain de la Grèce enverrait un message mortifère aux marchés financiers : celui de l'acceptation par les autorités européennes d'une banqueroute d'un Etat de la zone, bientôt suivi sans doute d'autres défauts souverains de petits Etats.

Organiser un défaut souverain de la Grèce serait le fruit ultime et vénéneux de l'entrée de ce pays dans la zone euro. Il menacerait directement les intérêts européens en transformant l'euro en monnaie peu sûre, voire exotique aux yeux des investisseurs. A court terme, certes, une baisse franche de la valeur de la monnaie européenne apporterait un peu d'oxygène à une industrie française aujourd'hui bien mal en point.

Mais le redressement des primes de risque et du coût du capital pour tous les emprunteurs européens, ainsi que les effets déstabilisateurs pour la périphérie de la zone, pourrait peser lourdement sur le rythme de croissance de nos économies.Un défaut sur la dette grecque fragiliserait l'action menée au G20 en vue d'un cadre stabilisé pour les flux internationaux de capitaux, car il introduirait un élément de risque considérable en Europe. Il semble aussi inopportun d'attiser le risque global sur les marchés financiers au moment même où la notation souveraine des Etats-Unis est remise en question et où les marchés financiers asiatiques restent trop risqués pour capter l'épargne locale.

La seule voie de sortie consiste malheureusement à maintenir sous perfusions intra-européennes massives les économies qui ont rejoint une monnaie unique pour laquelle elles n'étaient pas encore adaptées. Il faut savoir résister à la tentation de l'action punitive et stigmatisante que propose aujourd'hui l'Allemagne. Une démarche plus efficace et plus conforme à nos intérêts bien compris amène plutôt, comme le fait la France depuis de longs mois, à jeter le voile de Noé sur les turpitudes économiques des pays de la périphérie pour panser leurs plaies. Achever ces petits malades ferait courir le risque de recevoir, par ricochet, autant de dangereuses balles perdues.

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Commentaire 1
à écrit le 20/06/2011 à 13:03
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Payer pour la Grèce ? avec quoi et qui ? Seule l'Allemagne à la taille et la santé nécessaire pour sécuriser la dette de la Grèce qui ne cesse quand même de s'enfoncer. Les pertes existent déjà. Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Il n'y a aucun...

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