Le Roussillon, hier et aujourd'hui

De l'art roman à l'art moderne en Roussillon. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

En juin 1965, une brigade de l'Inspection Générale des Finances vérifia la Trésorerie Générale des Finances de Perpignan. J'en étais.

 Pour le trésorier payeur général, c'était un coup de malchance, les Trésoreries n'étant vérifiées qu'une ou deux fois par siècle par l'Inspection. La vérification se fait à l'improviste. Les inspecteurs se présentent à la sortie des bureaux, la trésorerie est bouclée, aucun employé ne pouvant théoriquement sortir avant la fin de l'arrêté de caisse, qui prendra plusieurs heures. Les congés sont suspendus jusqu'à la fin des contrôles. Le Trésorier prit fort mal l'opération et exprima dès le début mécontentement et insolence. Alors que je faisais un pointage fastidieux, il  me regarda sous le nez et dit ricanant qu'il préférait son métier au mien. Comme dans mon rapport, je proposai la mise en place d'indicateurs pour suivre la rentrée des recettes selon une pratique observée dans d'autres trésoreries, il me répondit qu'il n'était pas un élève de maternelle, dont on comparait les bâtons avec ceux de son voisin. Mes camarades eurent droit à des réponses comparables, et la prétention de ces jeunes inspecteurs fut opposée à celle des conseillers maîtres chenus de la Cour des Comptes qui s'en tenaient au contrôle de la légalité. Malheur à l'imprudent qui, au lieu de se contenter de réponses insipides du type « pris bonne note » mettait en cause un principe. L'affaire remonta au cabinet de Giscard d'Estaing. Le Trésorier dut nous envoyer une lettre d'excuses et, alors qu'il convoitait une Trésorerie de Région, celle de Montpellier, il se retrouva à la Trésorerie d'un département du nord-est.

 Plus que la mauvaise humeur du Trésorier, la chaleur écrasante de ce mois de juin fut dure à supporter. L'hôtel médiocre où nous étions logés, compte-tenu de la modicité de nos frais de mission, n'était pas climatisé. A l'initiative d'un camarade qui était venu en voiture, nous nous installâmes chez l'habitant dans le village de Castelnou, au dessous d'un château féodal. La fraîcheur était au rendez-vous mais pas le silence. A six heures, chaque matin, des paysannes venaient jacasser en catalan sous nos fenêtres et nous réveillaient.

La chaleur, nous la subissions dans les bureaux de la Trésorerie. L'immeuble était ancien et non climatisé. Le chef du service du recouvrement des recettes, que je vérifiais, s'en plaignait amèrement : « Que voulez-vous, monsieur l'inspecteur des Finances, nous n'avons pas eu la chance d'avoir été bombardés comme dans le Nord... » Depuis, il n'y a pas eu de guerre mais la Trésorerie a été reconstruite.

Nous souffrions également de la chaleur, lorsque pour le week-end, nous montions dans les couchettes de seconde du Perpignan-Paris. Les wagons avaient cocoté sous le soleil toute la journée. Il fallait attendre Montpellier, toutes fenêtres ouvertes, pour que la chaleur devienne supportable. Le record de vitesse était une spécialité de la SNCF plus que le confort, même élémentaire, des voyageurs.

Les loisirs étaient rares : diners place de la Loge (l'ancienne bourse maritime) où de jeunes catalans dansaient avec élégance la sardane, et des bains au Canet quand nous ne sortions pas trop tard de la Trésorerie.

A l'époque, Perpignan n'était pas considéré comme une ville touristique. Le palais des rois de Majorque ne se visitait pas, pas plus que l'hôtel de ville gothique, le Castillet ou les vieux hôtels (la Casa Xanxo). Les rues piétonnes étaient inconnues comme les statues de Maillol, originaire de Banyuls. On jetait juste un coup d'œil sur la cathédrale Saint Jean, exemple de gothique méridional.

Au milieu de la mission, vint nous rendre visite un inspecteur général des finances, plus féru en art roman-il était l'auteur d'un guide savant et luxueux sur l'art roman du Roussillon- qu'en finance. Il emmena une journée la brigade à la découverte de quelques sites romans. Ce fut un choc. Le matériau habituel -même pour des bordures de trottoir- fut longtemps le marbre rose ou bleuté. L'utilisation du marbre pour les chapiteaux a pour effet que huit siècles après ils sont dans leur état initial, contrairement à d'autres sites romans, comme Moissac, où l'usure du temps a engendré de fortes dégradations.

 Je voulus voir plus et je proposai à mon épouse de venir me rejoindre en fin de mission, lui donnant rendez-vous au milieu de la France pour la relayer au volant. Il m'est arrivé depuis de retourner sur certains sites, toujours avec le même plaisir.

 Le Roussillon et l'Art Roman

  Le prieuré de Serrabone

Le prieuré est isolé, dans une forêt de chênes liège. Son accès par une route étroite, pentue, tournante est difficile d'accès et en 1965 elle n'était pas complètement goudronnée. Le cadre est enchanteur.

La première merveille est la galerie du cloître surplombant une gorge sauvage et ses chapiteaux. Eclairés par un soleil couchant d'hiver, les animaux fantastiques, mordorés ou ocre, juchés sur leurs colonnes roses, fascinent le visiteur. Il semble que cette symbolique fantastique, qui avait un sens pour les bergers du douzième siècle, s'explique par la proximité d'un art musulman rejetant la représentation des corps.

La seconde merveille est au milieu du vaisseau central la tribune en marbre rose, sa balustrade et ses chapiteaux sculptés. Même richesse décorative, même imagination débordante, des personnages humains se mêlant aux animaux. Même qualité de conservation.

Si vous vous n'avez du temps que pour un seul lieur roman, montez en priorité à Serrabone.

 Abbaye de Saint Michel de Cuxa

 A proximité, dans les champs et des vergers, l'imposante abbaye bénédictine de Saint Michel de Cuxa ne produit pas le même choc. Vendue comme bien national, elle devint une exploitation agricole et une partie des bâtiments fut détruite. Il ne reste plus qu'un clocher, le méridional de trente trois mètres percé de baies jumelées.

L'église a retrouvé un toit et se visite. Elle est considérée comme un spécimen d'art préroman avec ses arcs outrepassés, en fer à cheval dits wisigothiques.

L'histoire du cloitre tient du feuilleton. L'américain George Barnard, qui avait déjà acheté quelques sculptures de Cuxa chez un antiquaire parisien, découvrit l'abbaye à la lecture de l'inventaire de Prosper Mérimée, notre premier inspecteur général  des monuments historiques. C'est l'inconvénient d'avoir des fonctionnaires, surtout s'ils sont compétents. L'architecte américain les achète, en abandonne une partie suite aux réactions de la population, et le reste constitue un des éléments du Cloisters Museum à New-York. Situé au nord de la ville à proximité de l'Hudson, dans un grand parc acheté par Rockefeller, il offre au visiteur français amer un ensemble de cloitres romans fort bien reconstitués.

Les chapiteaux-la moitié- restés en France et dispersés, à Prades et chez des particuliers, ont été remontés. Ils sont de la même qualité que ceux de Serrabone, marbre, même imagination, présence de beaucoup de thèmes animaliers et de feuillages. Quant à la fontaine, elle est dans la salle 204 du Museum of Art de Philadelphie.

Cloître-Cathédrale Sainte Eulalie et Sainte Julie d'Elne

 Elne fut longtemps le siège d'un évêché jusqu'au jour où l'évêque trouva qu'il y avait plus de mouvement et de passage à Perpignan et s'y installa. Les Elnois en sont encore vexés. Pour se protéger des Français-Philippe le Hardi massacra les habitants dans leur cathédrale- des fortifications, dont il subsiste des vestiges, furent construites.

La façade  et ses deux clochers liés par une courtine crénelée est austère. Le côté sud domine la ville et la plaine jusqu'à la mer et les Albères sont visibles. L'intérieur, faiblement éclairé, a subi des modifications successives. La nef centrale, légère et élevée, est remarquable. Des retables baroques, qui célèbrent les deux saintes patronnes, ont été rajoutés

Le cloître des chanoines (douzième siècle) est en marbre rose ou veiné de bleu. Les sculptures, en particulier les chapiteaux, sont d'une qualité comparable à Serrabone et à Saint-Michel de Cuxa. Mais à côté de motifs végétaux et animaux, des scènes et des personnages des Ecritures expressifs, facilement reconnaissables, sont représentés avec un mélange de précision, d'imagination et de naïveté : Annonciation, Visitation, Adoration des Rois Mages, Nativité, Enfance du Christ, Flagellation, Crucifixion, Assomption. Des visions émouvantes de croyants qui ont traversé les siècles. Quelques chapiteaux sont traités dans un style gothique.

Dans un des bâtiments claustraux trône une armoire liturgique (fin 14è) contient une Vierge polychrome allaitante. Il n'en resterait que deux dans le monde.

Le Maître de Cabestany (fin 12è)

 En entrant dans Cabestany, ville limitrophe de Perpignan, une dizaine de milliers d'habitants, on devine que le maire est communiste : grand centre culturel Jean Lurçat et «  Parcours de santé » Dans le cadre d'une politique culturelle active, la municipalité a pris en charge un centre d'art roman consacré à un sculpteur  appelé le maître de Cabestany, du fait  du tympan de l'église Notre Dame des Anges attribué à cet artiste ou à son atelier. Le tympan, qui a été déplacé à l'intérieur de l'église représente une double scène la mort de la Vierge et l'assomption du corps mort de la vierge, avec entre les deux un Saint Thomas incrédule.

Dans le centre attenant, sont présentés cent-vingt moulages de sculptures que l'on attribue à ce  sculpteur itinérant, qui a travaillé principalement dans la région. Ces sculptures, portails, mordillons, tympans et chapiteaux, sont reconnaissables par leur style particulier : mains immenses soulignant le geste, yeux étirés,  pupille mise en évidence  par des trous faits au trépan, front bas et menton quasi inexistant. Les visages sont sereins ou terrifiants et les animaux réalistes ou fantastiques.

Ces moulures  sont plus visibles que les originaux in situ, comme, par exemple le tympan du Boulou ((la Vierge et l'enfant, les rois mages et les trois âges de la vie)

Abbaye bénédictine de Saint-Genis des Fontaines

 Ce qui reste du cloître est en marbre, blanc de Céret, rose de Villefranche et noir des Corbières. Sur les chapiteaux, se mêlent des scènes narratives, des animaux de la faune locale et des motifs végétaux. Mais les trois quarts ont été acquis par un antiquaire parisien et des colonnes sont exposées au musée de Philadelphie.

Le plus intéressant est le linteau en marbre blanc de  Céret. C'est la première sculpture romane datée dans la pierre (1019/20), la date figurant dans deux lignes en latin. Au centre, le Christ est dans une mandorle soutenue par deux anges et encadré de deux groupes de trois personnages debout sur des arcades. Les expressions sont encore naïves.

 Abbaye de Fonfroide, 11è siècle,  (Aude)

 Lors de ma première visite, en compagnie de mon épouse, j'avais emprunté une petite route bordée de pins et d'oliviers bruissante du chant des cigales, qui conduit au fond d'un vallon à l'abbaye. Pour admirer l'ensemble, église, bâtiments conventuels, vignoble et paysage, le mieux est de monter sur la colline. Le lieu était isolé, éloigné du monde, en harmonie avec la règle de Saint Bernard de Clairvaux. Mais avant même la Révolution, la pureté cistercienne des origines avait disparu. Au 18è siècle, l'abbé commendataire aménagea une résidence luxueuse, et après la Révolution, elle fut laissée à l'abandon, au XXe siècle, elle fut restaurée par un propriétaire privée.

La diversité accroit le charme de la visite : cour d'honneur au porche d'entrée élégant fermée par une très belle grille en fer forgé, jardins admirablement entretenus avec une roseraie. En décembre, des roses étaient encore en fleurs et l'arbre à kakis chargé de fruits.

Le cloître a été remanié : chapiteaux aux motifs végétaux, colonnettes en marbre rose ou veiné de gris et de vert et  massifs de fleurs et d'arbustes au milieu. La net étroite élève jusqu'à vingt mètres sa voute en berceau brisé. Les vitraux ont été commandés au vingtième siècle par le propriétaire Gustave Fayet ; cinq représentent une vie de Saint François avec des couleurs acidulées à la Tiffany. Les bâtiments conventuels sont bien conservés.

L'été, la bibliothèque peut se visiter par petit groupe. Cette grande pièce donne l'impression d'être encore habitée. Elle sent bon la cire et l'on s'attend presque à surprendre Odilon Redon jouant du violon, Gustave Fayet au piano et un invité lisant un livre de spiritualité indienne. Puis le regard va vers les deux grands panneaux de Redon et la fresque au dessus de la porte. Elles ont été peintes à la fin de la vie du peintre, lorsqu'il avait « découvert » la couleur. Elles représentent des contemporains, dont des musiciens.

 Autres sites

Il existe bien d'autres sites romans en Roussillon. Par exemple, la chapelle Saint Martin de Fenollar et ses fresques. Si vous aimez les vallons perdus comme Saint Bernard et si vous avez une bonne vue, faites une halte. A l'intérieur, vous verrez ou devinerez les restes d'un décor présentant l'histoire de l'incarnation et un Christ en majesté. Nous sommes à proximité de la voie Domitia et les anciennes voies romaines sont présentées de façon pédagogique dans une salle attenante.

Autre exemple plus spectaculaire, Saint Martin du Canigou. Le site montagneux est admirable, les deux églises romanes d'une grande pureté et les chapiteaux, ceux qui ont pu être récupérés après la dispersion consécutive à  la Révolution, sont là aussi en marbre rose.

 Le Roussillon et les guerres

 Le Roussillon a un long passé de guerres. Territoire frontière, difficile d'accès, convoité par ses puissants voisins, Comté de Barcelone, Aragon,  Castille et France, les guerres y ont laissé des traces : fortifications comme la forteresse de Salses et châteaux conçus pour supporter des sièges comme le Palais des rois de Majorque. Il faudrait ajouter les châteaux cathares (Quéribus) qui ont longtemps résisté aux rois de France et à l'Eglise. Même après le traité des Pyrénées  et le rattachement à la France, la défense resta une préoccupation, comme en témoignent les fortifications de Vauban (Palais des rois de Majorque et château de Collioure)

 Pour atteindre le Roussillon, en venant du Languedoc, il  faut passer sur une étroite bande de terrain, coincée entre les premiers contreforts des Corbières et l'étang de Leucate. Les éléphants d'Hannibal empruntèrent ce passage, comme la voie Domitia et aujourd'hui le chemin de fer et la route nationale. Du train, l'on remarque une impressionnante forteresse faite de pierres ocre et de briques, de hautes murailles et plusieurs tours, la forteresse de Salses.

Conçue comme un verrou, pour empêcher l'entrée des troupes françaises dans le Roussillon, elle remplit  son rôle pendant près de deux siècles, les soldats français échouèrent subissant de lourdes pertes plus souvent qu'ils ne la prirent (une fois) jusqu'en 1659. Elle avait été construite pour résister à la nouvelle artillerie à boulets métalliques,  murailles  épaisses à la base (10 mètres) et parties supérieures est en briques, supposées mieux résister à l'artillerie ennemie. Elle a résisté aussi à sa transformation en prison puis en lieu de garnison pour les troupes françaises. Certes, les ponts levis ont disparu et le logement du gouverneur dans le donjon est vide, mais l'ensemble bien conservé, avec son labyrinthe de galeries reste remarquable, un château féodal pouvant subir un siège pendant plusieurs mois, grâce à un puits toujours visible au milieu de la cour.

 Le Palais des Rois de Majorque, un peu plus au sud, qui domine la plaine de Perpignan avec en arrière-plan le Canigou, avait aussi un caractère militaire. Ce palais-forteresse de style gothique, plus ancien que Salses fait penser au Palais des Papes en Avignon...en beaucoup moins bien.

Comme toutes les forteresses dites  imprenables, elle finit par être prise après un siège de dix mois par les troupes de Louis XIII.

Ayant été longtemps occupé par l'armée française, il faut de l'imagination pour reconstituer  ce qu'a pu être ce palais avec ses traces de culture arabo-hispanique ; quelques croisées d'ogives, des fragments de fresques, des porches de chapelles en marbre rose.

L'été, des concerts se tiennent dans les cours.

 Au vingtième siècle, la guerre et la violence sont revenues sous des formes différentes. Au début de 1939, 500 000 Espagnols fuyant les troupes de Franco passent la frontière, soit plus du double de la population des Pyrénées Orientales. Rien n'avait été prévu pour les accueillir. Il en résulte un grand chaos et beaucoup de souffrances. Cette tragédie eut ses victimes et ses héros, espagnols ou français. Après septembre 1939, la retirada passa au second plan. Depuis une dizaine d'années, ce passé réapparait et donne lieu à la création de lieux de mémoire avec l'appui des collectivités locales.

La maternité suisse d'Elne, c'est  la petite lumière qui perce les ténèbres de la guerre et de la misère, en la personne d'une  jeune fille au beau regard de vingt-quatre ans. En 1939, une protestante, Elisabeth Eidenbenz, fille de pasteur, volontaire durant la guerre civile et collaboratrice du Secours Suisse aux enfants, devient propriétaire du château En Bardou, du nom de l'industriel du papier à cigarettes »Le Nil » qui avait fait construire au début du siècle une grande maison perdue dans les champs surmontée d'un belvédère. Le château ne servait plus qu'à héberger du matériel agricole, il est transformé en quelques semaines en maternité, petite salle d'accouchement et  grandes chambres  bien éclairées par la lumière du jour, cuisine et sanitaires. Elisabeth va dans les camps de plage, où grelottent sous des tentes des femmes enceintes et les ramènent au château. Cinq cent quatre- vingt accouchements seront pratiqués avec l'aide de sage-femme françaises volontaires, jusqu'à la réquisition par les Allemands en 1944  et l'expulsion d'Elisabeth, qui n'eut pas le droit de monter dans un train et partit à pied pour l'Aveyron. A côté des accouchées espagnoles ont été prises en charge des juives et des gitanes poursuivies par la Gestapo, dont les états-civils étaient falsifiés. En plus des nouveau-nés, des sœurs et des frères bénéficièrent des services de la maternité, échappant  à une mort possible.

 Cette histoire, oubliée jusqu'à la moitié des années 1990, fut redécouverte par le nouveau propriétaire du château et en 2005 la ville d'Elne rachète le château. Rénové, il accueille le public. Des Espagnols découvrent que leurs parents ou eux-mêmes sont nés dans cette maternité improvisée. Des Français, dont de nombreux scolaires constatent qu'il y a soixante dix-sept ans, leurs ancêtres ont su partager et pratiquer la solidarité, municipalité en tête. Elisabeth Eidenbenz, qui avait été congédiée par son employeur suisse en 1945 pour non respect de règles, a eu droit à une reconnaissance tardive ; faite « Juste entre les nations » en 2002, décorée en 2007 par la République Française et interviewée (la vidéo, émouvante, est projetée au rez de chaussée. Il était temps, elle meurt en 2011.

 Mémorial du camp de Rivesaltes

Un second lieu de mémoire est le mémorial du camp de Rivesaltes, ouvert il y a un an, à la mémoire des « populations indésirables internées », pas seulement les républicains espagnols, mais aussi des gitans, des juifs, des prisonniers allemands (1945/48), des harkis (1962/64) et même des militaires guinéens rejetés par leur pays. A la suite du concours, organisé par le Conseil Général, l'architecte talentueux et novateur Rudy Riccioti, celui du MUCEM de Marseille, fut choisi. Le parti pris est celui de l'humilité et de la discrétion. Le bâtiment de plus de deux cents mètres, de couleur rouge et ocre, un peu comme la terre roussillonnaise, est enfoncé pour une large part. Il est à peine plus élevé que les baraquements laissés sur le site (4 m) Dès l'entrée, auquel on accède, après un long chemin et une pente douce, le visiteur est coupé du monde, du fait de la rareté des ouvertures sur l'extérieur. Puis il parcourt de longs couloirs et se retrouve dans une grande salle d'exposition, où une scénographie sobre présente non seulement l'histoire des lieux mais celle des réfugiés politiques depuis la première guerre mondiale. Vidéos et tableaux explicatifs sont parfaitement documentés.

Les réfugiés espagnols sont dans un premier temps installés sur des plages (Argelès, Barcarès, Saint Cyprien). L'hiver est glacial. Ils souffrent de la faim et du froid, le sable faisant parfois office de couverture. Des baraquements seront progressivement construits avec leur aide. Des écoles seront ouvertes. Ils seront rejoints par des tsiganes et des juifs étrangers, qui seront envoyés à Drancy avant de rejoindre les camps d'extermination. Plusieurs centaines de mille rentreront en Espagne au cours de l'année 1940. Les autres quitteront progressivement les camps, lorsqu'ils auront pu trouver un emploi et un logement.

Entre 1945 et 1948, dix mille prisonniers allemands occupèrent les centres. Certains moururent de faim en 1945, avant d'aller travailler dans des exploitations agricoles. En 1962, dans la précipitation et la dissimulation, des harkis et leurs familles furent enfermés dans des baraquements tombés en désuétude (fenêtres cassées, toits percés)

Le XXe siècle est celui des grandes migrations, résultant des guerres, civiles ou internationales, comme il est également expliqué. On compte aujourd'hui dans le monde plus de 60 millions, l'Europe n'en accueillant que 10%.

Le Roussillon et l'Art Moderne

 Collioure et le  Fauvisme  sont les points forts de l'art moderne dans le Roussillon. Faute de voir sur place les grandes toiles fauves, imaginez l'été flamboyant 1905, en parcourant sur les quais le chemin du fauvisme » soit vingt reproductions d'Henri Matisse et d'André Derain fixés à même les murs. Puis arrêtez- vous dans le café fréquenté par les peintres où sont exposées les peintures de disciples. Entrez dans Notre Dame des Anges pour admirer le retable baroque. Admirez le jeu des couleurs, le château royal et ses tours, les barques et les bateaux de pêche, la plage jaune et la mer bleue ou verte, le village coloré : un décor de carte postale. Peut-être ne faut-il passer trop de temps et se réserver pour les peintures, par exemple l'admirable Collioure de Derain actuellement exposé à la Fondation Vuitton (collection Tchoukine) car depuis 1905 Collioure a perdu  de son charme. Un petit musée présente quelques peintures modernes (Masson).

 Le second point fort est le musée d'art moderne de Céret. En janvier 1910, le sculpteur Manolo, le peintre  Burty Haviland  et le compositeur Déodat de Séverac s'installent dans cette petite ville pyrénéenne, autrefois fortifiée, proche de l'Espagne. Ils y accueillent  leurs amis de Montmartre à plusieurs reprises, Picasso, Braque, Juan Gris, Herbin. Puis une seconde vague (Masson, Chagall) et durant la seconde guerre mondiale une troisième vague constituée d'artistes fuyant le fascisme. Des œuvres importantes sont réalisées durant leur séjour. Parallèlement, certains artistes s'installent définitivement à Céret.

Grâce aux dons de ces nouveaux venus et principalement de Picasso et de Matisse, 53 et 14 œuvres, une collection est constituée. A l'initiative du peintre Pierre Brune qui sut convaincre la municipalité, un musée est ouvert en 1950 dans un ancien couvent des Carmes. Picasso est à l'honneur avec un portait de la période bleu, (Corina) la nature morte au crâne et au pichet (1942) et une superbe collection de céramiques (coupelles représentant des scènes tauromachiques pleines d'inventivité et de mouvement peintes en noir profond sur fond ocre ou jaune). Sont également fort bien représentés Juan Gris (portrait de Picasso), André Masson, Raoul Dufy, Herbin, Chagall, Manolo, Soutine (Vue sur Céret) Miro. L'atmosphère de l'époque et de la ville et de la région est bien illustrée par les peintures et les photos de Pierre Brune, le premier conservateur du musée, actuellement exposées dans son musée, qui a aussi accueilli d'autres expositions remarquables (Maillol)

Pierre-Yves Cossé

26 décembre 2016

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