Quand les Z achèvent le travail des Y

En septembre dernier, au Positive Economy Forum, Emmanuelle Duez a fait une intervention qui génère un buzz formidable sur Internet, avec près de 70000 vues... Son propos ? Analyser à travers le prisme des générations Y et Z le devenir des entreprises. Diagnostic : chaud devant !
Le sujet Y se cogne la tête sur des modèles de leadership, de management, d'organisation, qu'il ne comprend pas, qu'il ne reconnaît pas. Que fait-il ? Il se casse ou débranche la prise. C'est ça le symptôme Y, malgré un taux de chômage incompressible, nous sommes sur une population avec des taux de mouvement (turnovers) en hausse.

Je commence à en avoir assez que l'on parle de la Génération Y. On en dit tout et n'importe quoi. Baptisée chochotte aux États-Unis, poule mouillée en Allemagne, Me-Me Generation en Angleterre, Yotori (pour agneau) au Japon, de Digital Naive ou de génération soumise, le sujet Y cristallise les aigreurs. Ou oserai-je dire la peur de la perte de sa propre jeunesse par ceux qui s'évertuent tant à la critiquer.

Y ou le symptôme d'un monde en mutation

Regardons cette génération avec bienveillance. En réalité, elle est le symptôme d'un changement qui la dépasse largement. La génération Y, c'est la génération « Quoi ? Quoi ? Quoi ? », mais surtout, c'est la première génération mondiale. En effet, pour nous, la terre est plate. Il y a aujourd'hui plus de points communs entre un Africain, un Américain, un Asiatique et un Français de 25 ans qu'avec l'un de nos aînés de 55 ans.

Mondiale donc, mais également la prochaine grande génération. Aujourd'hui, 50 % de la population mondiale a moins de 30 ans. Que l'on nous aime ou pas, peu importe, nos comportements deviendront la norme par le seul effet volumique. Nous sommes aussi la première génération dite postmoderne ; nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère où tous les modèles économiques, politiques, sociétaux, financiers et environnementaux doivent être réinventés. Kofi Annan parle de nous comme des héritiers sans héritages.

Grande, mondiale, postmoderne donc, mais surtout, nous sommes la première génération numérique. Michel Serres parle à ce titre de la troisième révolution anthropologique majeure de l'humanité. Celle qui a changé la face du globe et qui a accouché d'un enfant, la génération Y. Une génération, façonnée par les valeurs de transparence, de transversalité, d'ouverture, de fluidité, d'interconnexion, d'agilité...

Et la vague numérique, en bouleversant les usages, a bouleversé nos manières de faire, en profondeur. Nous sommes la première génération « omnisciente ». Nos cerveaux sont à portée de main, dans nos poches de jeans, à un clic de la connaissance mondiale. Ce « 207e os » dont parle l'amiral Lajous ou cette présomption de compétence dont parle Michel Serre, changent le rapport à l'autorité, au père, au statuaire, à la hiérarchie et donc à l'entreprise.

Finalement, n'est-ce pas cela la génération Y, une génération massive qui arrive dans un monde à réinventer avec un super-pouvoir entre ses mains : le numérique. Aujourd'hui, un clavier suffit pour faire tomber un gouvernement. L'individu n'a jamais été aussi puissant Et si c'était cela le sujet Y : un momentum, un contexte, un pouvoir et des hommes ? Le sujet Y dans les entreprises fait des étincelles ! Il vient d'un monde ou l'agile mange l'inerte. Et aujourd'hui, il entre de manière massive par la base de la pyramide des organisations.

Quand le Y percute l'entreprise

Il arrive dans le royaume où jusqu'à présent c'était le gros qui mangeait le petit. Le sujet Y se cogne la tête sur des modèles de leadership, de management, d'organisation, qu'il ne comprend pas, qu'il ne reconnaît pas. Que fait-il ? Il se casse ou débranche la prise. C'est ça le symptôme Y, malgré un taux de chômage incompressible, nous sommes sur une population avec des taux de mouvement (turnovers) en hausse. On assiste à des compétitions de démission (job out) : « Hey, j'ai démissionné de mon CDI au bout de six mois, qui fait mieux ? » Les adultes, nos parents, ne comprennent pas. Leur réflexe : « C'est quoi cette génération d'enfants "pourris gâtés", qu'on a trop aimés ? Ils ont vu le marché de l'emploi ? Ils croient vraiment qu'autre chose est possible ? »

La réponse est : peut-être. La génération Y porte sur l'entreprise un regard radicalement différent. Elle est en mesure de transformer profondément l'entreprise de l'intérieur. Cette jeunesse fait un pari : faire passer le pourquoi avant le comment, la flexibilité avant la sécurité, l'exemplarité avant le statutaire, l'ambition de s'accomplir avant celle de réussir. Elle juge son épanouissement à travers ses propres yeux et non ceux des autres.

Cette jeune génération sait que personne ne l'attend sur le marché de l'emploi, alors elle rêve d'un autre monde. Elle sait que l'entreprise ne pourra pas lui promettre ce qu'elle a promis à ses parents. Alors elle s'invente une autre épopée et se dit plutôt que d'aller très haut, très vite, très loin : j'irai à côté. Bébé de la précarité, subie ou intégrée, je dessinerai ma vie comme un chapelet avec une série d'expériences professionnelles toutes différentes, « kiffantes », à hautes valeurs ajoutées. Et je me dirai qu'à la fin cela fait sens, et ce sens, ce sera le mien.

Aux Etats-Unis, plus de "freelances" que de CDI

Alors même que les uns commencent à comprendre ce qu'est la génération Y, voici que débarquent les Z... Nous avons interrogé 3000 jeunes de moins de 20 ans pour connaître leur vision de l'entreprise. Nous cherchions à savoir si, comme l'espèrent les chefs d'entreprise et le prédisent Strauss et Moss, les deux spécialistes de l'intergénérationnel, il y aura guerre entre nos générations. Les Z vont-ils terrasser les Y ? Que disent-ils ? Leur réponse tient essentiellement en trois mots : « l'entreprise est dure, cruelle : c'est une jungle. »

La bonne nouvelle ? Cinquante pour cent d'entre eux imaginent dans l'avenir devenir entrepreneurs. C'est-à-dire devenir leurs propres patrons. Avant, l'entreprise faisait l'honneur à un salarié de lui donner un job. Avec la génération Y, on est passé de la subordination à la collaboration. Les jeunes sont dans une relation gagnant-gagnant de court terme : « Montrez-moi ce que vous avez à m'offrir, je vous dirai ensuite si j'ai envie de m'engager. » La génération Z achève la transformation : « Ce n'est pas l'entreprise qui va me faire l'honneur de me donner un travail, c'est moi qui ferai l'honneur à une ou plusieurs entreprises de mettre à disposition mon talent et mes compétences. » Le changement de paradigme est total. Le centre d'emploi n'est plus l'entreprise, c'est le Z. D'ailleurs, aux États-Unis, pour la première fois, il y a plus de travailleurs indépendants que de CDI. C'est une tendance lourde.

Quand on leur demande combien de métiers les Z auront demain, ils répondent l'infini. Ils n'ont pas tort. On prévoit d'ores et déjà que demain les moins de 30 ans pratiqueront environ 13 métiers dans leur vie, la plupart de ces métiers n'existant pas encore aujourd'hui.

Les Z s'interrogent donc, et à juste titre : « Dans un monde régi par l'obsolescence des compétences, à quoi sert de passer un bac + 1000 pour préparer un job qui n'existe pas encore ? À quoi ça sert l'école ? Le diplôme ? » Que signifie dès lors « Bonjour, M. X, 55 ans, Insead... » Plus grand-chose. Le Z sera donc l'entrepreneur de sa propre formation. Demain, l'entreprise qui sera en mesure de le séduire et de le retenir sera une entreprise apprenante. Elle deviendra une école.

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Commentaires 16
à écrit le 29/01/2016 à 16:28
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Oui, ils ne peuvent vivre sans Internet, reste à savoir s'ils auront les capacités et les moyens de le maintenir en état de fonctionner. Peu de gens ont conscience de la complexité et de la fragilité de cette technologie, ils ne veulent plus du modèl...

à écrit le 05/01/2016 à 16:50
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Super analyse. Soixantenaire, mère de famille, toujours en couple qui a suivi son époux sur différents postes salariés, qui a eu des activités salariées par volonté d'indépendance depuis l'âge de 14 ans (non déclarées jusqu'à 18 ans) et encore en a...

à écrit le 23/12/2015 à 20:38
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C'est intéressant de voir comment une situation à priori pas réjouissante est source de "positivisme". Par contre ça me gêne un peu cette opposition avec tout: à demi-mot de l'arrogance vis à vis des "vieux" qui critiquent par peur de vieillir (que l...

à écrit le 19/12/2015 à 2:00
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Une page d'anthologie . A sauvegarder pour la postérité . Il faudrait établir une règle : être jolie et attirante ne donne pas le droit de dire n'importe quoi . Ne parler qu'à bon escient et pour dire des choses incontestables est un devoir .

à écrit le 18/12/2015 à 14:36
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un freelance fait le travail d'un salarié, mais sans droit aucun.

le 18/12/2015 à 16:55
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Toujours mieux que de devoir passer par une societe de service qui sert d'intermediaire et prend une commission.

à écrit le 18/12/2015 à 10:11
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Je fais partie de cette génération Y et je suis dubitatif sur ce que dit l'auteur de cet opinion. Du moins, ce n'est pas ce que je constate autour de moi. La précarité est très souvent subie et les perspectives peu réjouissantes. Oui le travail sal...

à écrit le 17/12/2015 à 14:31
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quoi ça sert l'école ? A apprendre à apprendre et à former un citoyen? what else?

à écrit le 17/12/2015 à 14:21
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Plutôt un bon article avec un point de vue moins caricatural que ce qu'on lit souvent sur la Gen Y et assez réfléchi. Par contre, il faudrait citer des sources sur certains chiffres ou études. A ma connaissance, la dernière étude publiée par WeWork i...

à écrit le 17/12/2015 à 12:41
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Ce que vous dites sans le dire dès le début de votre article, c'est qu'il s'agit d'une génération marquée par l'imprimatur des mondialistes. Votre génération est le fruit du travail consciencieux d'un formatage unique. Non, vous n'êtes pas sans hérit...

à écrit le 17/12/2015 à 8:21
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L'individualisme ne fait pas tout. Quand on veut tout faire à sa façon, il faut aussi en payer le prix. A force de vivre dans le vent, on finit par avoir un destin de feuille morte. La démonstration de l'article montre juste un comportement, une atti...

à écrit le 17/12/2015 à 7:17
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Là encore, un (des) exemple ne sert pas de démonstration : j'ai l'impression que les jeunes dont parle l'auteur sont des gens ayant de la maturité, un niveau socio-culturel relativement élevé , un (des) projet(s) de vie et la réflexion qui va avec , ...

à écrit le 16/12/2015 à 13:06
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Ce n'est pas Yotori mais Yutori. Et ça ne veut pas dire agneau mais ouverture/marge. Et ça a encore moins de rapport avec la génération Y.

à écrit le 15/12/2015 à 17:46
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L'orgueil au service du capital.

à écrit le 15/12/2015 à 10:34
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Bravo ! Très bel article qui porte un regard très juste sur la société d'aujourd'hui.

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