Gaz : le coût d'un divorce entre l'Europe et la Russie

La crise ukrainienne fait à nouveau réfléchir les Européens sur leur approvisionnement en gaz: peut-on vraiment réduire les achats de gaz russe? Quel serait le prix de divorce d'avec Moscou? Par Maïté de Boncourt, chercheuse, Centre Gouvernance européenne et Géopolitique de l’Énergie, IFRI

La nouvelle était attendue: Gazprom relève les prix du gaz pour l'Ukraine à $385.5 pour 1000m3. En 2009, un conflit sur les prix et les impayés entre l'Ukraine et la Russie avait abouti à deux semaines entières d'interruption des livraisons de gaz vers l'Europe, laissant des pays comme la Bulgarie dans le noir pendant près de trois jours. Aujourd'hui l'Europe importe près de 30% de ses achats de gaz de la Russie. Depuis les événements en Ukraine, l'éventualité d'un arrêt des approvisionnements est donc dans tous les esprits.

 Une Europe mieux préparée

L'Europe aujourd'hui est mieux préparée. En réponse à la crise de 2009, la Commission Européenne avait lancé un paquet de textes législatifs pour améliorer la sécurité énergétique : parmi lesquels un règlement sur la sécurité des approvisionnements gaziers ainsi qu'un paquet sur les infrastructures énergétiques. Ces mesures ont permis entre autres l'établissement de procédures d'urgence pour répondre à divers scénario de rupture d'approvisionnement majeur, et la mise en place d'infrastructures permettant de fluidifier les marchés européens, et notamment du stockage.

Nord Stream a permis de réduire la part du gaz russe passant par l'Ukraine

L'idée est qu'une meilleure interconnexion favorise une réponse rapide en cas de crise, et donc la solidarité entre états membres. Paradoxalement, le gazoduc Nord Stream qui relie la Russie à l'Allemagne en contournant non seulement la Biélorussie et l'Ukraine mais aussi la Pologne, Etat membre de l'UE, et qui avait été critiqué pour son manque de solidarité intra-européenne, a permis de réduire la part du gaz russe transitant par l'Ukraine de 80% à 50%. Certes certains pays d'Europe sont plus vulnérables que d'autres, de part leur dépendance aux importations de gaz et la place importante que tient celui-ci dans leur mix énergétique. C'est le cas de l'Europe de l'Est et des pays baltes. Les interconnexions gazières destinées à tirer ces pays de leur isolement du reste du marché européen n'ont pas toutes été mises en place. Mais les stocks de gaz sont relativement bien remplis après un hiver exceptionnellement doux et la coordination est active à Bruxelles.

L'Europe a beaucoup de mal à traiter avec Moscou sur le plan énergétique

La Bulgarie, qui importe plus de 95% de son gaz de Russie et qui fut le pays le plus affecté par la rupture d'approvisionnement de 2009, serait à même de tenir une rupture d'approvisionnements de plus d'un mois. L'Europe sera donc moins sensible à une rupture potentielle des approvisionnements.
La crise actuelle ne sera pourtant pas sans conséquences. Elle révèle une des failles majeures dans la politique européenne de l'énergie jusqu'à aujourd'hui: la difficulté à traiter de sa relation avec Moscou sur le plan énergétique. Non seulement si l'Ukraine s'enlise, une rupture des approvisionnements serait plus sévère et moins facile à résoudre qu'en 2009, mais la situation risque de marquer définitivement au fer rouge le manque de fiabilité perçu de la Russie comme fournisseur de gaz.

Ce qui dérange, c'est l'utilisation par la Russie de l'arme énergétique pour assurer un contrôle sur son proche voisinage, et maintenir un monopole sur les marchés gaziers européens. L'ambition de Gazprom est compréhensible : l'Europe est son principal marché d'exportation. L'intérêt de l'Etat y est lié également puisqu'il tire une partie de sa rente des exportations de gaz, et d'autre part un autre revenu masqué : des prix du gaz bas pour ses consommateurs domestiques, ce qui a une valeur politique non négligeable. Il est donc clairement dans l'intérêt de la Russie de maintenir des contrats de long terme avec ses clients européens qui fixent des volumes, et d'autre part indexent les prix de vente sur le pétrole (ce qui leur avait permis de ne pas subir les fluctuations des prix sur les marchés spot lors de la crise en 2008).

Une optimisation des contrats?

A l'inverse, l'UE veut pouvoir bénéficier du meilleur prix et de la meilleure optimisation possible de ses contrats, ce qui implique un certain degré de flexibilité qui n'est pas légion sur les contrats long terme, et d'autre part sécuriser et libéraliser son marché ; ce qui va à l'encontre de la stratégie de Gazprom d'investir dans des actifs gaziers en Europe.

Enfin l'UE cherche pour ce faire également à harmoniser son voisinage par le biais d'accords d'associations. Les conclusions du conseil européen qui s'est tenu mi mars sont claires, du moins en apparence : il faut renforcer la sécurité d'approvisionnement européenne et notamment réduire la dépendance au gaz russe. Reste à la Commission de trouver un modus vivendi ; la tâche ardue.

Que peut faire l'Europe?

Que peut faire l'Europe ? Si elle choisit de diversifier ses approvisionnements de gaz, elle devra en payer le prix. Les sources d'approvisionnements alternatives qui soient compétitives avec le prix actuel des contrats long terme russes, ne sont pas si évidentes à identifier. Même le Gaz Naturel Liquéfié américain, si on ajoute le coût de transit au coût de production, est tout juste compétitif à l'arrivée et ce seulement sous réserve que les prix de production du gaz de schiste aux Etats Unis n'augmentent pas.

Reste à voir si la mise en place du TTIP (Partenariat Transatlantique du Commerce et du Développement, soit l'accord de libre échange) entre les Etats-Unis et l'UE aura un impact structurant et favoriserait l'Europe comme destinataire du gaz, et ce malgré le fait que l'Asie ait un différentiel de prix plus intéressant pour les exportateurs. L'Europe n'est néanmoins pas assurée d'une évolution des prix du GNL en sa faveur sur le long terme.

 Le pari que Gazprom aura des concurrents

Enfin, les contrats avec les Russes ont déjà été renégociés en faveur des clients européens par le passé, et d'autres renégociations sur les prix sont attendues. Quant aux volumes, ils ne sont pas comparables. Le gaz de schiste en Europe sera probablement une option, mais les estimations actuelles montrent qu'il permettrait tout juste de pallier le déclin des ressources internes déjà en production dans l'UE (mer du Nord etc.).

Certes l'Europe peut tenter de renégocier ses contrats avec les Russes, et notamment les clauses take or pay (des obligations sur les volumes). Ces clauses se sont avérées coûteuses en raison de la demande gazière européenne qui souffre des conséquences de la crise et des politiques énergétiques menées.

Pour ce faire, l'Europe tente de mettre une pression compétitive sur Gazprom en diversifiant ses approvisionnements et par recours à des tribunaux d'arbitrage, qui jusqu'ici ont statué en faveur d'une révision des contrats. Jouer donc sur les prix à la marge.
En adoptant une position ferme, Bruxelles ferait le pari que le rapport de force joue en sa faveur. Gazprom est challengé en Russie par de nouveaux concurrents, et par ailleurs ne devrait pas couper à une prochaine réforme des marchés gaziers qui jouera en sa défaveur mais qui sera nécessaire au maintien des niveaux de productions.

 Un pari coûteux à court terme

Mais l'Europe devrait donc payer à court terme ce pari à plus long terme. Ce n'est visiblement pas ainsi que l'entend le ministre de l'énergie allemand, Sigmar Gabriel. C'est néanmoins un jeu d'équilibriste qui se joue. Certes la Russie a besoin de l'UE comme marché d'export, mais l'UE aura également besoin du gaz Russe, et pas seulement du gaz. La Russie est par ailleurs très présente dans les pays de l'Est et la Turquie, nouveau pays de transit important pour l'UE. Enfin des compagnies européennes ont investi dans le secteur amont en Russie.

Jusqu'ici Bruxelles n'est pas parvenu à aligner les pays européens sur une position, ni à regrouper les compagnies européennes dans une centrale d'achat ; et ce faute d'avoir la compétence légale pour l'imposer. Chaque état membre de l'UE reste aujourd'hui souverain de son mix énergétique et de son approvisionnement.

 Qui paiera?

Les nouvelles mesures de l'UE joueront donc sur d'autres tableaux avec les outils habituels: renforcer la compétition sur le marché intérieur et son intégration encore inachevée, promouvoir l'efficacité énergétique et les autres sources d'énergie, et essayer d'améliorer la performance de ses incitatifs favorisant des projets d'infrastructure, de développement des ressources internes ou encore remettre sur la table les projets de transparence sur les contrats et le partage d'information.

Dans cette ligne, il n'y a pas de solution immédiate que de mettre en place de meilleures conditions de négociation quand les contrats long-terme signés avec la Russie arriveront à terme dans huit à neuf ans, mais ne sera pas sans coût. Cela soulève une autre question : qui paiera ? En attendant, l'UE va devoir porter l'Ukraine à bout de bras.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 27
à écrit le 10/05/2014 à 17:54
Signaler
Autant je suis désespéré à la pensée de ces vies humaines emportées sur l'autel de l'ego putlerien, autant je suis satisfait qu'il nous ait montré son vrai visage, avant que nous ne continuions à "collaborer" avec son "pays" si on peut appeler ça un ...

à écrit le 02/05/2014 à 15:44
Signaler
Perdre u très gros client est aussi un gros problème pour la Russie. Il faut en tenir compte dans les réflexions journalistiques.

à écrit le 08/04/2014 à 17:59
Signaler
Si on n'a pas compris que l'Europe est dirigée par les USA, vous voulez des preuves: la fin du dangereux nucléaire français programmé; le libéralisme adopté comme doctrine,sans aucune protection pour les entreprises françaises; le rachat de sociétés ...

le 10/04/2014 à 10:09
Signaler
C'est la réthorique poutinienne et c'est ridicule tellement c'est shématique. Poutine pose bien plus de problèmes que les Etats-Unis en envahissant la Géorgie, la Crimée, en déstabilisant l'Est, en faisant du chantage à l'énergie, en diffusant des ar...

le 10/04/2014 à 10:09
Signaler
C'est la réthorique poutinienne et c'est ridicule tellement c'est shématique. Poutine pose bien plus de problèmes que les Etats-Unis en envahissant la Géorgie, la Crimée, en déstabilisant l'Est, en faisant du chantage à l'énergie, en diffusant des ar...

le 11/04/2014 à 15:20
Signaler
Vous voilà à découvert... "Mieux vaut les Etats-Unis que Poutine" et rien pour l'Europe! Pour vous l'Europe doit être soumise aux US, à l'OTAN, ben non, on n'en veux plus, trop de conflits. L'OTAN est le plus fort, on est d'accords, mais quand on a ...

le 11/04/2014 à 20:30
Signaler
Vous voilà à découvert... "Mieux vaut les Etats-Unis que Poutine" et rien pour l'Europe! Pour vous l'Europe doit être soumise aux US, à l'OTAN, ben non, on n'en veux plus, trop de conflits. L'OTAN est le plus fort, on est d'accords, mais quand on a ...

le 13/04/2014 à 23:35
Signaler
Gisèle la crise n'a pas été organisée car ce sont les Etats-Unis qui ont été touchés en premier. Elle est partie d'un bon sentiment et loi, rendre des gens modestes propriétaires. Ce sont quelques opérateurs attirés par le gain qui ont déclenché la c...

le 17/04/2014 à 10:05
Signaler
Drôle d'envahissement quand on sait qu'en Crimée les russes ont été accueillis à bras ouverts par la population locale. Des envahissements comme ça on en voudrait plus souvent.

le 19/04/2014 à 3:25
Signaler
@ Jojo : Napoléon ou Hitler ont aussi été accueillis à bras ouverts lors des campagnes de Russie par certaines populations, çà restait une invasion et ne faisait pas l'unanimité. Mais en plus dans le cas de la Russie il y avait un accord de respect d...

à écrit le 08/04/2014 à 4:12
Signaler
Bonne analyse mais il est temps de regarder en détail les technologies à notre disposition qui sont désormais nombreuses et qui ne sont souvent pas si chères. Je vais prendre rapidement 2 ou 3 exemples pas assez diffusés : les éoliennes aéroportées, ...

le 08/04/2014 à 16:08
Signaler
Savez vous que pour protéger l'esthétisme (!) du littoral, il est interdit de placer des panneaux qui serait visible de la mer? Bref, de les orienter vers le Sud ! Bravo les lobbys, cela prive la moitié de la population vivant près de la méditerranée...

le 10/04/2014 à 10:12
Signaler
Désormais on fait des tuiles solaires PV et thermiques dans toutes les marques (Ymeris etc) et encore mieux des tuiles hybrides thermique+PV (Tegasolar, Tractile Solar, Panotron etc). Donc difficile que ce soit refusé c'est souvent plus joli qu'une t...

à écrit le 07/04/2014 à 16:48
Signaler
On oublie que l'efficacité énergétique est rapidement rentable et plus encore dans les pays européens très dépendants du gaz russe, que nous avons un potentiel important grâce aux interconnections qui ne sont pas un investissement très lourd et que l...

le 08/04/2014 à 1:41
Signaler
15% du Gaz est Russe, on vraiment pas "très dépendants". Il peuvent le couper demain, votre maison sera simplement 2° plus fraîche. Oui il faut renforcer sans attendre notre efficacité énergétique, mais je crains que "cette crise" (je mets de guillem...

à écrit le 07/04/2014 à 14:52
Signaler
Les européens ont-ils de l'argent à gaspiller ?

le 07/04/2014 à 16:41
Signaler
En quoi gaspille-t-elle ??? On investit et c'est le FMI et la Banque mondiale qui aident l'Ukraine avec des capitaux internationaux.

le 08/04/2014 à 0:39
Signaler
Vous oubliez les 11 milliards promis par Barroso en le mois dernier ? Sortie de nulle part, ou sortie de la poche des contribuable Européens ? Et serait ce la dernière fois qu'on les aide ?

le 08/04/2014 à 4:39
Signaler
11 millards de l'Europe c'est une promesse, c'est un prêt et ce sera prêté progressivement et sous conditions d'accord avec le FMI donc de mesures drastiques. Les russes pourraient participer à l'aide. 11 milliards sur le budget européen des 28 ce n'...

le 08/04/2014 à 5:59
Signaler
Oh oui ! Avec 25% de chômeurs, l'Espagne tire l'Europe ... vers le gouffre ! Vous en avez d'autres d'aussi drôles ?

le 08/04/2014 à 14:30
Signaler
Bravo pour votre réponse. Franchement on se demande si certains ont la tête sur leurs épaules!!!

le 08/04/2014 à 15:52
Signaler
A courir trop de lièvre à la fois, on en attrape aucun. Sur le papier vous avez pas tords (mais la Russie pouvez très bien jouer ce rôle), néanmoins je ne tiendrai pas ce discours en Europe du sud, où l'investissement n'a jamais été aussi bas. C'est ...

le 12/04/2014 à 0:45
Signaler
Merci de vos commentaires. Il ne faut pas regarder les choses à court terme mais à moyen terme. La Grèce se redresse et pourtant elle était très bas. C'est pareil pour l'Espagne. C'est bénéfique à l'Europe qui est très interconnectée. Les crises n'on...

à écrit le 07/04/2014 à 14:17
Signaler
Un monopole donne toujours un pouvoir démesuré à celui qui le détient !! Il est donc indispensable de diversifier les fournisseurs, même si une partie de l'approvisionnement voit son cout être plus élevé... la capacité de négociation améliorée avec l...

à écrit le 07/04/2014 à 13:32
Signaler
Les russes produisent du gaz en rouble, les americains exportent leur GL en $ .Les russes ont des marges énormes à la baisse que les americains n'ont pas ,d'autant que la Russie est aussi le premier producteur de petrole au monde ainsi que du charbon...

le 07/04/2014 à 16:39
Signaler
Fred le parfait petit troll poutinien qui va vous faire croire que c'est la Crimée qui a envahi la Russie !!! Le rouble ne fixe pas le prix du gaz ni du pétrole vendu en dollar et il est ajusté en fonction des cours comme l'Opep l'a toujours fait aus...

le 02/05/2014 à 15:51
Signaler
A cause de toutes ses fautes d'orthographe et de français; votre commentaire est assez confus. Est-ce que les Russes sont prêts à couper le gaz à l'Europe, au prix d'un appauvrissement considérable de leur population ? Je crois que c'est la dernière ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.