Elles avaient tout pour réussir, mais elles ont perdu la première bataille, celle des grandes plateformes. À l'aube de ces années 2020, la France et l'Europe peuvent-elles encore rattraper leur retard face aux États-Unis et si oui, avec quelles technologies ? Plusieurs projets de pointe pourraient y contribuer. Celui du futur processeur européen, d'abord, dans le cadre de l'European Processor Initiative (EPI), pilotée par Atos.
« Le calcul haute performance est fondamental dans beaucoup de secteurs, que ce soit la santé, le climat, l'industrie, ou la défense et la sécurité. Atos est leader européen en la matière », affirme Sophie Proust, CTO Monde d'Atos. Dans le domaine du logiciel, ensuite, l'Europe est également présente, assure-t-elle, tout comme dans celui des données. Tout l'enjeu est de pouvoir les échanger de manière sécurisée... Une problématique qui est au cœur du projet de cloud européen Gaia-X, dont Atos est l'un des membres fondateurs. « C'est la maîtrise de toutes ces technologies qui va nous permettre de garantir la souveraineté », estime la responsable du spécialiste tricolore de la transformation digitale.
« En tant qu'expert comptable, je dois garantir à mes clients que les données que j'ai à disposition ne s'évaporent pas. Dans la guerre économique qui arrive, ce serait bien que Gaia-X aille au bout et que nous ayons un véritable cloud souverain européen pour garantir les données françaises », appuie de son côté Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables qui a publié en janvier ses « 50 propositions pour la relance rapide de l'économie ».
Pour lui, la souveraineté et la relance passent par la consommation des technologies, françaises et européennes, pour préserver l'emploi. « La souveraineté, c'est l'emploi », créé au niveau local plutôt qu'offshore, acquiesce de son côté Kévin Polizzi, directeur général de Jaguar Network -un opérateur de services télécoms et de cloud présent à Marseille, Nantes, Lyon ou encore à Paris, qui a fait le choix d'un partenaire industriel hexagonal il y a deux ans en faisant entrer dans son capital le groupe Iliad, et dont la technologie se trouve aujourd'hui embarquée dans la nouvelle freebox destinée aux professionnels.
En 2020, 52 entreprises tech accueillies sur Euronext
Surtout, dans cette compétition mondiale, où les cerveaux -et leur fuite- font partie des enjeux clés, le nerf de la guerre reste l'argent... « Certes, nous partons avec du retard par rapport aux Gafa, mais ce n'est pas pour cela que les prochaines technologies et innovations ne pourront pas rester dans une Europe souveraine. C'est un peu le rôle qu'on donne à la Bourse », avance Anthony Attia, directeur général groupe des marchés primaires et du post-marché Euronext Paris.
L'état des lieux de notre écosystème de financement ? « En France, nous avons beaucoup de chance car avec les différents projets autour de Bpifrance, nous sommes très bien placés en Europe pour amorcer, initier et incuber » les startups, considère ce responsable de la principale place boursière de la zone euro. Après l'amorçage, place aux fonds de venture capital et de private equity. « L'année dernière, malgré la crise Covid, avec l'accélération de la digitalisation, il y a eu un record de 40 milliards d'euros de capital investis sur la tech européenne par les fonds de VC et de private equity », un chiffre en progression comparé aux années précédentes. En outre, « on a vu des méga-rounds, autrement dit des tours de financement de 100 à 250 millions d'euros », souligne-t-il.
Si la levée est une étape cruciale dans le parcours d'une startup, l'exit (sortie du capital) l'est aussi. Permettant aux fonds de faire du profit et de réallouer l'argent auprès de nouvelles entreprises, il peut être réalisé soit par une introduction en Bourse, soit par un rachat industriel. Or, « les 'trade sales' qui sont faits par Google, Amazon, etc. sont certainement bons pour le déploiement de la technologie, mais c'est la fuite de l'innovation et de la propriété intellectuelle », analyse Anthony Attia. « Chez Euronext, nous sommes donc là pour nous assurer que les exits se passent notamment en Bourse, quand les sociétés sont prêtes et qu'elles ont atteint la bonne taille ».
Bonne nouvelle, « nous avons développé des compartiments technologiques très florissants qui arrivent à capturer tant des PME que des licornes ou des décacornes (ndrl : startups valorisées à plus de 10 milliards d'euros). En 2020, nous avons accueilli 52 entreprises tech sur Euronext, dont dix à Paris. La croissance de ces entreprises a été financée à hauteur de 3 milliards d'euros », indique le directeur général groupe des marchés primaires et du post-marché Euronext Paris.
Le Spac pour garder les entreprises en Europe
Reste que ces performances sont encore loin derrière celles du Nasdaq, qui a enregistré l'an dernier une envolée des montants des IPO. « Il y a encore beaucoup de travail à faire pour attirer des investissements et pour s'assurer non seulement que les fonds VC et les fonds de pré-IPO soient au rendez-vous, mais aussi des investisseurs institutionnels, qui traditionnellement ont un appétit moindre en Europe qu'aux États-Unis, pour accompagner la croissance des entreprises », avance Anthony Attia.
Un autre instrument pourrait lui aussi accélérer le financement des pépites de la tech en croissance : le Special purpose acquisition company (Spac). Ces sociétés dédiées uniquement à des acquisitions ont le vent en poupe - non plus seulement outre-Atlantique, où elles existent depuis longtemps, mais aussi désormais sur le Vieux continent.
« Le Spac est un fonds qui lève des investissements sur la réputation de ses sponsors et sur un projet d'acquisition. Le fonds devra en général retourner les investissements de ceux qui y ont participé s'il n'exécute pas sa stratégie au bout de deux ans par exemple. Ce sont des ponts entre les marchés privés et boursiers », précise-t-il.
« C'est une bonne innovation. Nous arrivons à attirer, notamment sur Euronext Amsterdam, l'essentiel des projets Spac en Europe ». Et de conclure : « Le Spac est un véhicule financier qui fait partie de l'arsenal pour garder nos entreprises en Europe ». Autant d'outils dans la palette financière pour aider à faire accoucher des géants européens... et ainsi mieux peser sur la scène technologique mondiale de demain.
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ReVOIR LA TABLE RONDE
Dans un contexte de course mondiale aux technologies, quelle est la place de la France et de l'Europe ?
Quels atouts et faiblesses, comment accélérer notamment sur les principaux enjeux technologiques de la décennie à venir qui sont l'intelligence artificielle, les deeptech, la blockhain et les technologies quantiques ?
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