Comment l'Espagne veut faire avancer l'Europe

Dans l'entretien exclusif qu'elle a accordé à La Tribune, Elena Salgado, ministre espagnole de l'Economie et des Finances, explique comment son pays compte profiter de la présidence européenne pour faire avancer les dossiers urgents : soutien à l'économie, harmonisation fiscale, taxe carbone européenne, etc... Comme chaque lundi, latribune.fr vous permet d'accéder à la version intégrale de cette interview.

La Tribune : L'Espagne veut faire de la coordination des politiques économiques des 27 la priorité de sa présidence de l'UE. Qu'espère-t-elle concrètement?

Elena Salagado : Il y a un précédent encourageant: la coordination d'urgence dans les politiques face à la crise, sous l'impulsion du président Sarkozy et de la Commission. Elle s'est traduite dans le domaine financier par la possibilité d'octroyer des garanties publiques ou de recapitaliser les entités : auparavant, de telles mesures auraient été subordonnées à un long processus d'autorisation préalable de la Commission européenne. De même, nous avons pu décider rapidement d'accorder des aides publiques à certains secteurs prioritaires, comme l'automobile. Il faut continuer à avancer dans cette coordination. Par exemple dans le domaine de l'énergie : face à la Russie, il serait souhaitable qu'il y ait un seul interlocuteur européen, ce qui suppose une coordination préalable de nos politiques énergétiques. Nous pouvons également envisager de coordonner au niveau européen certaines politiques de futur, notamment en matière de recherche, dans des domaines aussi variés que l'économie verte ou les véhicules électriques. D'autant que lorsque nous parlons d'assurer la compétitivité internationale de l'Europe, désormais il faut penser non seulement aux Etats-Unis mais aussi aux pays de l'autre côté de la planète, comme la Chine, l'Inde ou la Corée.

L'un des premiers tests de cette coordination sera le retrait progressif des mesures de soutien budgétaires. Comment y procéder alors que la reprise n'est pas encore au rendez-vous partout ?

E.S. : Les modalités concrètes de la crise dans les différents pays, comme les mesures de relance qu'ils ont prises, sont liées à leurs modèles de croissance respectifs: si l'Allemagne, pays exportateur par excellence, a vu se réduire son PIB, c'est parce que ses ventes à l'étranger se sont réduites. Et les mesures dont elles avaient besoin étaient donc liées à l'appui au secteur extérieur. Mais elle sait qu'elle pourra sortir de la crise avec le même modèle qui était le sien auparavant. C'est pourquoi elle a pu, dans le secteur industriel, adopter des mesures temporaires de réduction du nombre d'heures travaillées. Elle savait que la plupart des travailleurs retrouveraient ensuite leur emploi au sein de leur entreprise. Le cas de l'Espagne est différent : avec l'écroulement de la construction, beaucoup de travailleurs ont perdu leur emploi dans ce secteur, et nombre d'entre eux ne retrouveront pas de travail dans la construction, Mais il est clair que nombre d'entre eux ne retrouveront pas de travail dans la construction, même s'il existe en Espagne un grand potentiel en matière de réhabilitation du secteur immobilier, avec un parc de logements très ancien. Dans l'UE, il y a avant tout une différence entre les pays qui pourront sortir de la crise avec le même modèle qu'auparavant et ceux qui ne le pourront pas.

Obama a-t-il eu raison de mettre en ?uvre un impôt sur les établissements financiers pour compenser les aides publiques reçues ?

E.S. : Je crois que c'est une mesure qui a tout son sens... dans le pays où elle est envisagée. Les aides publiques à la banque y ont été énormes. En Espagne, ce n'est pas le cas : nous nous sommes contentés d'octroyer des garanties au secteur financier, avec un taux de rémunération tel qu'ils rapportent en fait déjà, en termes nets, de l'argent à l'Etat. Le FROB, notre Fonds public de Restructuration Bancaire, dispose de 90 milliards d'euros, mais les aides qui lui ont été jusqu'ici demandées par les caisses d'épargne en voie de fusion ne dépassent pas les 10 milliards d'euros. Il est donc difficile de généraliser dans ce domaine avec des situations de départ aussi différentes.

Croyez-vous à une plus grande convergence des politiques fiscales au sein de l'Union Européenne ?

E.S. : Si l'on met en ?uvre de nouveaux impôts, il serait souhaitable, de manière générale, qu'ils soient coordonnés. Dans le secteur financier par exemple, il faudrait qu'ils soient le plus homogènes possible entre les 27 pour être effectifs. Certaines mesures comme la taxe Tobin n'ont d'ailleurs de sens que si elles sont globales.

Craignez-vous l'émergence d'un dumping fiscal?

E. S. : Evidemment. Mais nous bataillons pour que le niveau de transparence fiscale soit uniforme au sein de l'UE : nous espérons que le paquet de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale puisse être approuvé durant notre présidence. Mais ce qui serait contradictoire, c'est d'adopter en même temps dans les différents pays des mesures fiscales nouvelles qui aillent en sens contraire de cette harmonisation, ce qui stimulerait à long terme l'évasion fiscale. Tous les efforts d'harmonisation fiscale au sein de l'UE ont jusqu'ici été vains, et ont finis par être abandonnés. Mettons-nous au moins d'accord sur les objectifs. Par exemple en matière d'économie «verte»: si la Commission présente une proposition d'impôt sur l'énergie, nous devons tous nous mettre d'accord sur le fait qu'il doive viser à lutter contre le changement climatique.

L'Union s'est fixé en novembre dernier de nouveaux objectifs pour 2020. Quel sera la contribution de l'Espagne à cette stratégie ?

E.S. : La Stratégie 2020 doit être basée sur trois axes : une économie durable du point de vue économique, sociale et environnemental. Economique avec une combinaison de finances publiques équilibrées et de meilleure compétitivité. Sociale avec une capacité de création d'emplois de qualité. Et environnemental avec la lutte contre le changement climatique. Pour l'Espagne, il est important que l'Europe, dans sa recherche d'une plus grande compétitivité, n'abandonne pas pour autant son modèle social, et cela malgré des perspectives démographiques qui se traduiront par un coût plus élevé des prestations sociales.

La Stratégie 2020 n'est-elle pas malgré tout très semblable à l'Agenda de Lisbonne, qui a finalement échoué dans ses objectifs ?

E.S. : La grande différence n'est pas dans les contenus mais bien dans ce que nous avons appris depuis 2000: par exemple, la crise nous a démontré que dans toute stratégie de futur, il importe d'inclure des règles claires pour le secteur financier.

L'échec de l'Agenda de Lisbonne ne prouve-t-il pas qu'il faut prévoir des sanctions pour que les objectifs deviennent réalité.

E. S : Je ne comprends pas le débat qui a surgi à ce sujet. N'oublions pas que nous avons construit le Marché Unique sur la base de mesures de rétorsion de la Commission lorsque les règles qu'il impliquait n'étaient pas respectées. Cela ne signifie certes pas que nous allons automatiquement sanctionner ceux qui n'atteignent pas les objectifs de la Stratégie 2020. Mais il faut s'assurer que chacun travaille réellement en faveur des objectifs fixés de commun accord. Cela ne veut pas dire forcément des mesures coercitives : rendre publique une liste des pays avec le degré de réalisation des engagements qu'ils ont acceptés, cela a aussi son importance. Je crois par ailleurs que l'Agenda de Lisbonne établissait trop de priorités à la fois, et au même niveau : la Stratégie 2020 doit être plus sélective, et se concentrer davantage sur certains objectifs déterminés.

A quoi attribuez-vous le caractère cyclothymique du marché de l'emploi en Espagne, qui crée davantage d'emplois que les autres en époque de boom et en détruit davantage en époque de crise ? En raison du poids de la construction ?

E.S. : Oui, mas pas seulement. Cela fait maintenant 25 ans que 40% de notre population active oscille entre le chômage et les emplois temporaires. Nous n'avons réussi qu'une seule fois dans notre histoire récente, en 2007, à descendre sous le cap des 8% de chômeurs. C'est une situation qui complique énormément la formation de ces travailleurs, et limite leur capacité de reclassement au sein de nouveaux secteurs. En outre, le fait que la plupart de nos entreprises soient de taille réduite renforce le problème : une petite entreprise dispose en général de moins d'instruments pour former ses travailleurs. Ce n'est pas un hasard si durant la crise le chômage a proportionnellement moins augmenté au sein des entreprises de plus grande taille. C'est pourquoi l'application du modèle allemand de réduction temporaire du nombre d'heures de travail ne peut pas se généraliser en Espagne, vu qu'il ne peut s'appliquer qu'à des travailleurs bénéficiant d'un contrat fixe et qui peuvent être réembauchés par la même entreprise après la crise. Ce n'est évidemment pas le cas pour des secteurs d'un grands poids dans notre pays comme la construction ou le tourisme saisonnier. Ce sont des secteurs, en outre, qui n'exigent qu'un faible niveau de qualification professionnelle à leurs travailleurs, ce qui ne les encourage pas à améliorer leur niveau de formation, et complique d'autant leur reclassement. C'est pourquoi je regrette que le débat sur la réforme du marché du travail en Espagne se concentre essentiellement sur le coût du licenciement. Le fonds du problème va bien au-delà : c'est notre modèle productif, qui constitue la cause, et non la conséquence, du nombre élevé d'emplois temporaires.

Commentaire 1
à écrit le 25/01/2010 à 11:42
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Le ministaire français (ou un de ses representants) chargé des problèmes européens pourrait-il commenter ou emettre un avis sur ce genre d' article? Quel est l'avis national sur ces sujets importants aussi chez nous? Ou en est-on avec l'europe, nos...

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