Il demande aux Européens deux choses. La première : financer sans compter leur indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, tant pour eux-mêmes que pour l'Ukraine. C'est une entreprise titanesque mais la seule, selon lui, susceptible de sortir l'est du continent - et en réalité l'Europe tout entière - du piège que lui tend le président Poutine. La seconde : mettre de l'eau dans le vin de l'orthodoxie budgétaire dans la zone euro car, a-t-il rappelé, les réformes structurelles, c'est très bien, mais à court terme cela déprime un peu plus l'économie et ne permet pas de réduire la dette, au contraire.
Réformer, cela coûte. Au fond, ces deux messages se résument à un seul : la monnaie, c'est de l'argent et l'argent n'est qu'un moyen. À l'intérieur, la monnaie doit servir à créer un sentiment de justice et de progrès propre à garantir l'unité. À l'extérieur, il aide à se soustraire au bellicisme de ses voisins, à financer ses propres menées expansionnistes ou étendre son influence. La paix à l'intérieur, la puissance à l'extérieur, en somme. C'est à cela que sert une monnaie. C'est assez simple.
L'exemple américain
On peut trouver que la société américaine est injuste ou inégalitaire. En attendant, aucun État fédéré ne se trouve sur le point de faire sécession et on continue à venir y chercher fortune. Quant à la domination militaire et à l'hégémonie monétaire américaines, elles sont les deux faces d'une même médaille depuis qu'un jeune ministre des Finances nommé Valéry Giscard d'Estaing a dénoncé l'«exorbitant privilège» du dollar. Rien de tel pour l'euro. La monnaie unique n'a pas cherché à acheter de la puissance européenne, simplement du pouvoir national.
Elle a permis aux nations qui avaient des monnaies fortes de pouvoir exporter plus et à celles qui avaient des monnaies faibles de financer leur déficit à bon compte ; et à tous les peuples de la zone euro de prétendre qu'ils étaient en train de créer quelque chose qui les dépassait... sans le faire. C'est un pacte sans avenir. Tant que la monnaie unique ne sera pas le début, mais le substitut d'un destin commun, elle restera vouée à disparaître.
Certes, les Européens ont commencé après 2010 à s'engager. Au bilan du mécanisme européen de stabilité figure une petite dette commune. Son passif l'oblige vis-à-vis du monde entier. Mais son actif ne finance pas les biens communs qui fondent une communauté de destin. N'y sont inscrits que des droits sur des membres de la communauté (les prêts que le Portugal, l'Irlande, l'Espagne, la Grèce doivent rembourser). Ceux qui veulent croire à la solidité de la monnaie unique particulièrement ceux qui ont participé à sa création - rappellent que les marchés lui font confiance.
« L'euro est une monnaie forte »...
Ont-ils raison ou les investisseurs qui parient sur le papier européen seraient-ils aveugles ? Ni l'un ni l'autre. Les investisseurs parient sur l'histoire passée. Ils ont assisté au psychodrame de 2010-2012 quand finalement les pays souverains d'Europe se sont décidés à s'entre-financer... un peu. Ils ont entendu l'argument massue, le seul en réalité, d'Angela Merkel face à ses députés en 2010 : « La fin de l'euro, c'est la fin de l'Europe.» Et elle est impensable. Au fond, l'euro est gagé sur les deux Guerres mondiales, sur Ypres et Auschwitz. Ce n'est pas une promesse d'avenir, c'est un lourd héritage. Et c'est pour cela qu'il tient.
Mais le jour où le tabou tombera, où les nationalistes montreront leur nez pour de bon, ils n'auront pas besoin de dérouler leurs plans de démantèlement. Les marchés le feront pour eux. Pour que ce moment n'arrive pas, il faudrait que ceux qui siègent actuellement autour de la table du Conseil européen se décident enfin à répondre à la question que leur pose Soros : au fait, à quoi ça sert, l'euro ?
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