A Hambourg, Macron va tenter de convaincre Scholz sur la régulation des prix du nucléaire

Alors que le gouvernement français compte présenter d’ici la fin de l’année un projet de loi sur la régulation du parc nucléaire d'EDF, afin de « contrôler » les prix de l’électricité, Berlin se met en travers de son chemin. Explosif, le sujet sera au menu des discussions lors de la rencontre informelle entre Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz, lundi et mardi à Hambourg. En cas d’échec, l’Hexagone préparerait cependant un plan B afin de plafonner les tarifs.
Marine Godelier
« En d'autres termes, l'Allemagne est contre le nucléaire français compétitif »
« En d'autres termes, l'Allemagne est contre le nucléaire français compétitif » (Crédits : Reuters)

Comment convaincre l'Allemagne de laisser la France réguler les prix de son nucléaire, alors que Berlin, qui a choisi d'abandonner l'atome, craint de perdre en compétitivité face à l'Hexagone ? C'est à cette question épineuse que devra répondre Emmanuel Macron lors d'un déplacement à Hambourg lundi et mardi avec une vingtaine de ministres, pour une rencontre informelle avec le chancelier Olaf Scholz. « Il amène pratiquement tout le gouvernement afin d'arrondir les angles sur les blocages franco-allemands, et l'énergie sera au cœur de ces débats », affirme à La Tribune l'eurodéputé Christophe Grudler (Renew, centre), vice-coordinateur de la commission de l'industrie de la recherche et de l'énergie au Parlement européen.

Et pour cause, alors que l'exécutif tricolore entend administrer les prix de son électricité, afin qu'ils soient les plus bas possible pour les consommateurs, son voisin allemand lui fait fermement barrage, redoutant des distorsions de concurrence. Au point que l'Hexagone prépare actuellement un plan B qui consisterait à imposer, au niveau national, un prix plafond à EDF pour la vente de sa production nucléaire, en court-circuitant l'agenda européen.

« Le gouvernement nous a confirmé qu'il prévoit une concertation des parties prenantes, avant la présentation d'un projet de loi au Parlement en décembre. On nous assure qu'il y aura bien une régulation, mais la question, c'est de savoir si elle découlera d'un accord de l'UE ou pas », glisse Frank Roubanovitch, président de l'association de grands consommateurs d'énergie CLEEE.

Un couloir de prix proche des coûts du nucléaire

Paris avait pourtant tout préparé pour qu'un compromis se dessine à Bruxelles. En effet, depuis des mois, l'Elysée porte le projet d'une réforme du marché européen de l'électricité, qui lui permettrait - espère-t-il - d'appliquer des « contrats pour différence » (CfD) au parc nucléaire d'EDF. Concrètement, afin que le groupe ne vende pas ses électrons aux tarifs (exorbitants) du marché, l'exécutif définirait un couloir de prix. Si les cours du marché tombaient en-dessous de cette fourchette, l'Etat compenserait EDF. Mais s'ils lui étaient supérieurs, comme c'est le cas actuellement, EDF devrait rembourser la différence, renonçant à d'éventuelles marges.

Dans cette optique, le gouvernement avait d'ailleurs missionné la CRE (Commission de régulation de l'énergie) pour qu'elle calcule les « coûts réels » du nucléaire en France... avant que les chiffres ne fuitent mystérieusement dans la presse en septembre, au grand dam d'EDF. Commode pour l'Etat, qui cherche justement à justifier l'instauration d'un prix plafond bien inférieur à celui demandé par l'énergéticien, en l'empêchant de vendre à un tarif trop éloigné de ses coûts de production (estimés autour de 60 euros/MWh par la CRE, contre plus de 100 euros/MWh sur les marchés). Dans son rapport, la CRE est d'ailleurs partie du principe que l'intégralité des réacteurs existants seraient régulés par la puissance publique.

Lire aussiPourquoi EDF et le gendarme de l'énergie s'écharpent sur les vrais coûts du nucléaire

Bataille de compétitivité

Seulement voilà : en plus de l'opposition du PDG d'EDF, Luc Rémont, la France doit donc se heurter à celle d'un groupe de pays emmenés par l'Allemagne, réfractaires à l'idée d'une régulation du parc nucléaire par les pouvoirs publics. Au Coreper (Comité des représentants permanents), qui réunit les ambassadeurs des États membres de l'UE, cette minorité de blocage empêche toute avancée sur le dossier, alors même qu'Emmanuel Macron a promis aux Français d'annoncer une reprise du « contrôle du prix de notre électricité » dès le mois d'octobre. « Il s'agit d'un combat antinucléaire, certes, mais surtout de compétitivité ! Ils ont trop peur de conférer un avantage concurrentiel à l'industrie tricolore. Mais ce n'est pas au consommateur français de payer pour les mauvais choix énergétiques de l'Allemagne », lâche Christophe Grudler.

« Berlin n'a plus la chance de pouvoir acheter du gaz russe bon marché, a renoncé au nucléaire, et peine à importer sur le marché chinois. Dans ces conditions le gouvernement craint que les investisseurs étrangers ne s'orientent vers la France plutôt que vers l'Allemagne », analyse l'économiste Jacques Percebois, qui siégeait à la fameuse Commission Champsaur de 2009, à l'origine de l'instauration d'un accès régulé à l'énergie nucléaire (ARENH).

Pourtant, l'Allemagne ne compte pas non plus laisser faire le marché. Et subventionne massivement son industrie, afin de la protéger de la flambée des cours de l'énergie. En effet, le gouvernement propose aux entreprises un bouclier tarifaire jusqu'à la fin de la décennie pour limiter les tarifs de l'électricité à 70 euros/MWh, ciblé sur les branches en compétition internationale, avec une enveloppe de 30 milliards d'euros. « Il préfèrerait que la France soutienne également ses industriels, plutôt que de la laisser bénéficier d'un prix annoncé sur le long terme comme relativement stable », estime Jacques Percebois.

« En fait, l'Allemagne ne dit pas qu'elle s'oppose au nucléaire français, mais qu'elle est contre le fait qu'il soit vendu à un prix inférieur à celui du marché. C'est-à-dire, en d'autres termes, qu'elle est contre le nucléaire français compétitif », ajoute l'économiste.

Lire aussiNucléaire : EDF dévoile son offre à Prague pour construire jusqu'à 4 EPR en République tchèque

Un prix plafond pour EDF

En cas d'échec des négociations, le gouvernement français envisagerait de s'en tenir à un prix plafond au-delà duquel EDF ne pourrait pas aller, sans pour autant instaurer de CfD (donc de prix plancher). « Soit l'Etat récupèrerait la différence entre le prix de marché et ce plafond, soit EDF s'engagerait à ne pas proposer de tarifs au-delà dans ses contrats », précise Jacques Percebois.

Reste à savoir quel en serait le montant. Alors que le chiffre de 120 euros/MWh circulait il y a quelques semaines chez EDF, le rapport de la CRE semble avoir définitivement enterré cette possibilité.

« La logique serait de financer EDF à hauteur de ses coûts, avec un éventuel petit matelas pour investir dans le renouvellement du parc. 70 euros/MWh me paraît être vraiment le maximum, 65 euros/MWh serait plus logique », affirme Frank Roubanovitch.

Mais pour Christophe Grudler, cette solution ne serait « pas satisfaisante ». « Quel message cela enverrait-il à l'Europe ? Il faut continuer les négociations, en montrant patte blanche pour que le sujet avance. Par exemple, en interdisant un prix plancher pour les CfD inférieur aux coûts de production d'EDF, pour éviter des distorsions », glisse l'eurodéputé.

Alors qu'un modèle devra être trouvé d'ici à la fin de l'année, le déplacement d'Emmanuel Macron à Hambourg ne signifie pas pour autant qu'une réponse officielle est imminente : cette rencontre n'entraînera pas de « déclarations finales » ou d'annonces immédiates, a indiqué il y a quelques jours la présidence française. Mais pour sûr, celle-ci donnera le ton avant le « Conseil énergie » des chefs d'Etat de l'UE prévu le 17 octobre prochain, et dont l'issue promet d'être décisive.

Lire aussiPour « contrôler » les prix de l'électricité, Paris veut court-circuiter le calendrier de Bruxelles et d'EDF

Marine Godelier

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Commentaires 22
à écrit le 10/10/2023 à 9:51
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La CRE a fait une évaluation confirdentielle du prix de revient de production du MWh nucléaire d'EDF "avant que les chiffres ne fuitent mystérieusement dans la presse en septembre". Nous vivons dans un pays où ce type de "fuite" est généralisé, ce q...

le 10/10/2023 à 10:43
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C'est d'autant plus frappant que quelques publications sont à l'origine de la quasi-totalité des dites "fuites", sans jamais être inquiétées pour cela.

à écrit le 09/10/2023 à 22:44
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Quelqu'en soit l'issue on peut se féliciter de la prise de conscience et qu'enfin l'électricité soit devenue un sujet majeur pour nos politiciens, car depuis la fermeture de la centrale de Fessenheim c'était le néant, open bar pour les allemands qui ...

le 10/10/2023 à 9:14
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Mr dri, il faut être réaliste!!! Si l'Allemagne ne polluait pas, elle ne pourrait pas faire des excédentS colossaux qui permettent ä Lla France via l'EURO de faire chaque année "le quoi qu'il en coûte" avec un déficit budgétaire de 285 milliards € e...

le 10/10/2023 à 9:28
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Ce que dit Apache est une évidence.

à écrit le 09/10/2023 à 22:40
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Totalement d'accord à un point près : le prix de l'électricité exportée ou importée est fixé par le marché, comme c'était d'ailleurs le cas avant le machin bruxellois.

à écrit le 09/10/2023 à 15:17
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Il y a bcp de démagogie dans l'attitude du gouvernement sur le prix du nucléaire français. Si le PDG d'EDF, qui coule sous ses dettes, dit que le bon prix est de 85 euros/MWh (pas trop loin du prix de l'électricité produite pas le gaz) soutenir qu'on...

le 09/10/2023 à 22:37
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La salaire du PDG d'EDF étant directement lié aux bénéfices réalisés, il est plutôt mal placé pour évaluer objectivement le bon niveau de prix. D'ailleurs il n'a présenté aucune étude détaillée justifiant ses exigences (il avait d'ailleurs commencé p...

le 09/10/2023 à 22:40
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C'est là toute la question : soit EDF vent à quasi prix coutant et conserve sa dette faramineuse, soit EDF vend au prix du marché et les consommateurs (particuliers et industriels) voient leur facture augmenter. Politiquement la première solution est...

à écrit le 09/10/2023 à 14:33
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C’est quand même fou. Quand on est pas compétitif, les allemands se moquent des fainéants du club med et quand on est compétitif, ils disent que c’est pas juste. Dans un cas comme dans l’autre, on doit s’excuser. C’est irrationnel.

à écrit le 09/10/2023 à 14:33
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C’est quand même fou. Quand on est pas compétitif, les allemands se moquent des fainéants du club med et quand on est compétitif, ils disent que c’est pas juste. Dans un cas comme dans l’autre, on doit s’excuser. C’est irrationnel.

à écrit le 09/10/2023 à 14:17
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Pourquoi a t'on l'impression que l'on nous raconte des sornettes quand le nom de McKron est prononcé ? ;-)

à écrit le 09/10/2023 à 13:54
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encore un acte prouvant la trahison de notre président , de notre gouvernement et de nos politiques. Tribunal militaire pour tous ce petit monde et sanction lourde .

à écrit le 09/10/2023 à 13:34
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Notre banquier, qui pratique l'anglais, a-t-il pris des cours dans la langue de Goethe? Parceque, jusqu'à présent, leurs échanges tournaient au dialogue de sourds.

à écrit le 09/10/2023 à 13:07
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indépendance énergétique ou soumission ? pourquoi vouloir un accord avec les Allemands ? ça n'a pas de sens. Le choix est industriel, soit la filière nucléaire est rentable soit non, tout cela doit être modélisé et publié les choix doivent être ...

à écrit le 09/10/2023 à 12:13
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Quand on a vocation à exporter de l’électricité, plus elle est chère, mieux c’est! Comme quoi les évidences échappent à beaucoup.. PS. Rêvons d’un futur où EDF versera de généreux dividendes à l’Etat, désormais seul actionnaire, pour éponger partie d...

à écrit le 09/10/2023 à 10:57
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C'est une vrai démonstration non pas de l'impuissance, mais de la soumission face a l'allemagne. Alors est la question de la dette? car il semble évident que macron joue contre sa population en permettant a ses amis de faire de l'argent sur une tech...

à écrit le 09/10/2023 à 9:40
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Aucune senae dans ça.L'économie française peut pas progresser dans l'UE parce qu'elle est tres dependente de l'economie allemande.France a besoin d'un Frexit plus vite possible pour liberer sa économie.Par exemple les sociétés françaises peuvent pas ...

à écrit le 09/10/2023 à 9:19
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Je sais pas si c'est très pertinent comme stratégie d'annoncer ses intentions, espérons qu'ils se rencontrent pour quelque chose de plus sérieux quand même hein.

à écrit le 09/10/2023 à 8:01
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Que l ´Allemagne assume ces choix.. je comprends même pas qu’ on fasse la carpette devant eux… sinon on demande à la commission de surtaxer le charbon et le lignite vu que c est polluant !!

le 09/10/2023 à 8:12
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Normal c'est l'Allemagne qui dirige l'Europe, nos politiques ont vendu la souveraineté de la France

à écrit le 09/10/2023 à 6:55
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Bonjour, bon avant toute chose , les central atomique sont en fra.ce donc s'est le gouvernement qui définit le prix de vente du kwh electrique de nos central nucléaires.. Que se soit pour les consommateurs français, ou pour les opérateurs extérieu...

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