Climat  : Sultan Al Jaber accusé de négocier des contrats pétro-gaziers dans le dos de la COP28

Une enquête de la BBC, publiée ce lundi, révèle que le président émirati de la COP28 aurait utilisé sa fonction pour tenter de négocier des contrats pétroliers et gaziers avec plusieurs représentants de gouvernement. A trois jours à peine de la conférence à Dubaï, ces révélations jettent un nouveau doute sur la capacité des Emirats, grands producteurs de pétrole, à trouver un accord ambitieux sur le climat. Explications.
Mathieu Viviani
Dirigeant de la compagnie nationale de pétroles des Emirats arabes unis, Sultan Al Jaber est régulièrement accusé par les ONG de ne pas être crédible dans son rôle de président de la COP28.
Dirigeant de la compagnie nationale de pétroles des Emirats arabes unis, Sultan Al Jaber est régulièrement accusé par les ONG de ne pas être crédible dans son rôle de président de la COP28. (Crédits : Reuters)

« Je ne peux pas croire que ce soit vrai ». C'est ce qu'a déclaré ce lundi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres suite à une révélation embarrassante sur le président de la COP28 et patron de la compagnie émiratie de pétrole et de gaz. Alors que la 28e Conférence de l'ONU pour le climat démarre ce jeudi à Dubaï, une enquête de la BBC révèle ainsi que Sultan Al Jaber profiterait de sa fonction de président de COP pour faire avancer des affaires pétro-gazières entre les Emirats et plusieurs gouvernements étrangers.

Si rencontrer des officiels fait partie des missions de présidents de COP, l'objet de ces rendez-vous est censé se limiter à un seul et même objectif, à savoir encourager les pays à réduire autant que possible leur empreinte carbone globale. Les informations révélées par la BBC sont d'autant plus détonantes qu'en vertu des règles fixées par l'ONU, les présidences de COP ont l'obligation d'agir avec impartialité et transparence.

Un communiqué de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), publié dans la foulée de ces révélations, a d'ailleurs déclaré à ce sujet : les présidents de COP « doivent également veiller à ce que leurs opinions et convictions personnelles ne compromettent pas ou ne semblent pas compromettre leur rôle et leurs fonctions en tant qu'officier de la CCNUCC. »

Des « points de discussion » problématiques

L'enquête de la BBC s'appuie sur des documents internes aux équipes de la présidence émiratie de la COP28. Ceux-ci ont été obtenus et vérifiés par des journalistes indépendants du Center for Climate Reporting (CCR), qui travaillent avec le média britannique. Un lanceur d'alerte anonyme membre de ce cercle rapproché du cabinet d'Al Jaber, est à l'origine de ces fuites.

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Dans le détail, la BBC a mis la main sur une compilation de 150 pages de briefings en vue de rencontres entre le président de la COP28 et au moins 27 représentants de gouvernement, entre juillet et octobre 2023. Des « points de discussion » sont évoqués avec différents représentants de pays. Notamment un à l'intention de la Chine selon lequel la compagnie pétrolière nationale des Emirats (Adnoc) est « disposée à évaluer conjointement les opportunités internationales de GNL [gaz naturel liquéfié] » au Mozambique, au Canada et en Australie.

La BBC évoque aussi des documents suggérant de transmettre à un ministre colombien « qu'Adnoc "est prêt" à aider la Colombie à développer ses ressources en combustibles fossiles ». D'autres points de discussion avec 13 autres pays, dont l'Égypte et l'Allemagne, suggèrent « de leur dire qu'Adnoc souhaite travailler avec leurs gouvernements pour développer des projets de combustibles fossiles ».

Autre exemple révélé par le média anglais : des briefings « sur des opportunités commerciales de la compagnie nationale d'énergies renouvelables de l'émirat (Masdar) », auraient été mis à l'ordre du jour de réunions avec 20 pays étrangers. On trouve parmi eux le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Brésil, la Chine, l'Arabie saoudite, l'Égypte ou encore le Kenya.

Enquête BBC Sultan Al Jaber

L'équipe émiratie de la COP28 se défend

Dans son article, la BBC rapporte que l'équipe émiratie de la COP28 « n'a pas nié avoir utilisé les réunions de la COP28 pour des négociations commerciales », mais que « les réunions privées sont privées ». Mais peu de temps après ces révélations, le porte-parole de la COP28, interrogé par l'AFP, s'est montré plus ferme : « Les documents évoqués dans l'article de la BBC sont inexacts et n'ont pas été utilisés par la COP28 lors de réunions ». Avant d'ajouter : « Il est extrêmement décevant que la BBC utilise des documents non-vérifiés ».

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Sollicités par le Center for Climate Reporting et la BBC, douze pays concernés par ces « points de discussions » ont répondu que, soit aucune discussion sur ces « activités commerciales » n'avait eu lieu, soit que ces réunions en elles-mêmes ne s'étaient pas déroulées.

Crédibilité entamée

Sans surprise, dans un tweet publié peu après la révélation de ces informations, l'antenne britannique de Greenpeace, a déploré : « C'est exactement le genre de conflit d'intérêts que nous craignions lorsque le PDG d'une compagnie pétrolière a été nommé à ce poste. »

Depuis le départ, la nomination à la présidence de la COP28 d'un patron de compagnie pétrolière fait polémique auprès des ONG, certains décideurs politiques et économiques ou plus globalement l'opinion publique. La plupart dénonce une COP acquise aux lobbies des énergies fossiles et craignent donc un résultat des négociations catastrophiques.

De son côté, le secteur pétro-gazier revendique qu'il fait justement partie de la solution, et que cette COP sera un terrain favorable pour sa mise en œuvre. C'est d'ailleurs l'un des points de négociation les plus sensibles de cette conférence climat : à l'instar de la fin du charbon acté par la COP26 à Glasgow en 2021, de nombreux observateurs attendent de la COP28 un accord similaire pour le pétrole. Reste que les révélations de la BBC entameront sans aucun doute la confiance fragile vis-à-vis des Emirats sur cet enjeu central de l'avenir de la planète.

Mathieu Viviani

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Commentaires 7
à écrit le 29/11/2023 à 16:47
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Évidemment qu'ils cherchent à vendre leur pétrole et gaz! A part ça pour vivre ils produisent quoi?

à écrit le 29/11/2023 à 10:57
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Les petromonarchie ont un double discours : un pour les occidentaux et un pour le monde arabe c est pas nouveau … cela étant. La cop 28 est une mascarade : on y négocie des contrats et pas des solutions pour le climat .. le tout sur le dos de l’ emis...

à écrit le 29/11/2023 à 8:13
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Et alors vous croyiez quoi? que les EAU allaient sacrifier leur richesse sur l'hôtel du changement climatique 🤣. Ces COP ne servent à rien, le monde est avide d'énergie et les ressources fossiles ont de beaux jours devant elles.

le 29/11/2023 à 9:39
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@mamie. Dans les jeux du pouvoir (et des intérêts à dessein) si le cas se présentait à l'inverse, ce serait également une hérésie. De la même manière que nommer un "ancien" banquier à la présidence d'un pays ou le fait de faire garder son poulailler ...

à écrit le 28/11/2023 à 19:43
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Et ça étonne maintenant? 🤣🤣

le 29/11/2023 à 7:28
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Le président international des centrales nucléaires en remplacement de ce monsieur ?

à écrit le 28/11/2023 à 18:49
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Pas une surprise mais c'est bien que ce soit dit. "« Je ne peux pas croire que ce soit vrai »" Hum maladroit cette négation, c'est comme quand notre présidant affirmait"Je ne peux pas dire que les politiciens soient corrompus".

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