COP28 : un fonds géant pour le climat, le coup de poker politique des Emirats arabes unis

C’est l’une des grandes annonces de cette deuxième journée de la COP28 : les Emirats arabes unis lancent un fonds de 30 milliards de dollars pour le climat. Colossale pour un seul pays, cette enveloppe est globalement bien accueillie, tant les besoins de la finance climat sont immenses. Mais cette stratégie sert aussi les intérêts du pays... Avec le risque de faire passer en arrière-plan la question de la sortie des énergies fossiles. Décryptage.
Mathieu Viviani
A la tribune des chefs d'Etat lors de la COP28 ce vendredi, le président des Emirats arabes unis a annoncé la création d'un fonds géant de 30 milliards de dollars dédié aux « solutions pour le climat ».
A la tribune des chefs d'Etat lors de la COP28 ce vendredi, le président des Emirats arabes unis a annoncé la création d'un fonds géant de 30 milliards de dollars dédié aux « solutions pour le climat ». (Crédits : Reuters)

À l'occasion de la COP28, les Emirats arabes unis sortent le carnet de chèque et ce n'est pas un geste anodin. Leur président, le Cheikh Mohamed ben Zayed al-Nahyane, a ainsi annoncé ce vendredi la création d'un fonds d'investissement privé dédié aux « solutions » pour lutter contre le dérèglement climatique. Une annonce faite à l'occasion d'un sommet réunissant de nombreux dirigeants mondiaux, en parallèle des négociations de la COP28.

« Je suis heureux d'annoncer la création d'un fonds doté de 30 milliards de dollars dédié aux solutions pour le climat », a ainsi déclaré le président des Emirats lors de son discours, ajoutant que l'objectif était d'atteindre les 250 milliards de dollars d'ici 2030. Ce véhicule financier géant doit « faire avancer les efforts internationaux pour créer une finance climat plus juste, avec une emphase sur l'amélioration de l'accès au financement pour les pays du Sud », ont aussi précisé les Emirats, dans un communiqué.

Une enveloppe colossale pour un seul État

Baptisé Altérra, le nouveau fonds émirati sera présidé par Sultan Al Jaber, actuel président de la COP28, et dirigeant de la société pétrolière nationale des Emirats. D'après leur communiqué, les Emirats vont en premier temps flécher 25 milliards de dollars de ce fonds dans la division « Altérra Acceleration », qui oriente les capitaux institutionnels vers des investissements climatiques dits à « fort potentiel pour accélérer la transition ». Les 5 milliards restants abonderont « Altérra Transformation », unité dédiée aux « pays du Sud, où les investissements traditionnels ont fait défaut en raison des risques plus élevés perçus dans ces zones géographiques ».

Lire aussiPétrole contre climat : le choc de la COP28

Hébergé par le gestionnaire de fonds Lunate, basé aux Emirats, le véhicule financier a pour partenaires principaux certains des plus gros gestionnaires d'actifs au monde. On y trouve le fonds de pension américain BlackRock, le gestionnaire d'actifs canadien Brookfield ou encore l'américain TPG. Dans un communiqué publié dans la foulée de l'annonce, BlackRock a précisé la nature de ce partenariat financier : celui-ci doit permettre de flécher deux milliards de dollars dans des fonds hébergés par le gestionnaire de fonds de pension. Notamment, un fonds de dette privée et un fonds dédié aux infrastructures, tous deux axés sur la transition écologique.

Parmi les premiers projets dans lesquels Altérra investira, figure l'installation de centrales solaires et éoliennes en Inde, avec une capacité de 6 gigawatts. Deux autres sites en Afrique et en Amérique latine sont également envisagés. Sans d'autres précisions pour le moment.

Une bonne nouvelle pour la finance climat mais...

Présente à la COP28, Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut français du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), constate qu'une partie de l'argent débloqué ira « pays les moins avancés » et aux « SIDS », soit « le groupe des petites îles en développement ».

Mais selon l'experte, une question centrale demeure : « Est-ce que ces financements seront plus avantageux que les conditions actuellement proposées par les marchés financiers ? Cette question reste ouverte, mais elle est critique pour répondre aux besoins des pays en développement. »

Et d'ajouter que la multiplication des structures de financements pour le climat « n'est pas toujours simple à suivre » pour les pays bénéficiaires.

Politologue et co-auteur du sixième rapport du GIEC, François Gemenne interprète l'annonce de cette manière : « Si on veut voir le côté positif : une partie de cet argent financera la transition dans les pays du Sud, là où la transition manque cruellement d'investissements. Donc c'est absolument nécessaire. » Mais, l'expert met en garde sur le « risque » que les Emirats mobilisent tout cet argent pour « faire oublier la question de la sortie des énergies fossiles... L'avenir nous le dira ».

Lire aussiCOP28 : longtemps oubliées, les énergies fossiles enfin dans la ligne de mire des négociateurs

Les Emirats mobilisent, comme prévu, leur solide réseau financier

Cette initiative, dont le volume financier est spectaculaire, n'est pas une réelle surprise : elle est en fait cohérente avec la stratégie climat des Émirats selon laquelle le secteur privé doit monter en puissance en matière de solutions et financements sur cet enjeu. Ceci, à travers des actions volontaires et sans contraintes. Dans le secteur privé, nombreux sont les décideurs à considérer cette méthode comme plus efficace que celle promue par les instances multilatérales, comme l'ONU.

Ces derniers mois, Sultan al-Jaber avait d'ailleurs plusieurs fois martelé qu'il mobiliserait le puissant réseau financier des Emirats pour faire avancer l'investissement pour le climat. Un mois avant la COP28, lors d'une rencontre avec environ 70 ministres étrangers pour dénouer des points de blocage en vue de la conférence climat, le dirigeant émirati avait déclaré à ce sujet : « Nous devons transformer les institutions financières internationales, créer des marchés du carbone et encourager les investissements privés pour transformer les milliards en milliers de milliards ». Et d'ajouter : « L'inclusivité est un principe fondamental de la COP28. Cela inclut l'ouverture au secteur privé dans des proportions encore jamais vues. »

Lire aussiCOP28 : tripler les capacités des énergies renouvelables d'ici à 2030, un objectif en trompe-l'œil ?

Une démarche à laquelle souscrivent plusieurs grands acteurs de la finance privée, à l'instar de Brian Moynihan, PDG de Bank of America. Lors d'un forum ce vendredi consacré aux entreprises et organisations philanthropiques sur le site de la COP28, le dirigeant a estimé que les fonds publics ne seront « pas suffisants » face aux besoins immenses de la transition écologique.

« Les marchés émergents et les économies en développement auront besoin de 2.400 milliards de dollars par an pour répondre au changement climatique », affirment d'ailleurs les Emirats dans leur communiqué. Un montant qui est cohérent avec les estimations de la plupart des études, qui chiffrent à plusieurs milliers de milliards de dollars par années le coût mondial de la transition écologique.

« Soft power » politique

Le lancement du fonds Altérra peut aussi être interprété comme un pas en faveur du « soft power » politique des Emirats. En tant qu'hôte de cette COP28, le pays cherche aussi à faire grandir son influence dans le concert mondial des pays riches. En tant qu'objectif relativement consensuel, la lutte contre le dérèglement climatique est un espace diplomatique plus simple à occuper en comparaison des autres, où les rapports de force entre Etats sont beaucoup plus ardus.

À titre d'exemple, on peut citer la résolution du conflit entre l'Ukraine et la Russie, ou celui opposant l'Etat d'Israël et le Hamas au Proche-Orient. Cette stratégie d'influence basée sur des moyens financiers colossaux n'est d'ailleurs pas nouvelle dans la région : le Qatar, le Koweït ou encore l'Arabie saoudite l'utilise aussi.

Le fonds « pertes et dommages » loin derrière

Cette annonce intervient un jour après l'officialisation par les Etats parties de la COP d'un fonds dédiés aux « pertes et dommages irréversibles » dont sont victimes les pays vulnérables au changement climatique. La plupart sont situés dans la partie sud du globe (notamment dans le continent africain) et sont pauvres.

Si sa création de ce fonds est historique, son montant demeure, à date, largement insuffisant pour les pays concernés et plusieurs ONG. Dans la foulée de cette annonce, quelques pays ont certes annoncé des premières contributions : 100 millions de dollars pour les Emirats, idem pour l'Allemagne, 10 millions pour le Japon, 17,5 millions pour les Etats-Unis, jusqu'à 40 millions de livres (environ 50 millions de dollars) pour le Royaume-Uni. Mais lorsqu'on prend le total, on remarque que la somme contraste avec les 30 milliards annoncés aujourd'hui par le fonds des Emirats.

Lire aussiClimat : Sultan Al Jaber accusé de négocier des contrats pétro-gaziers dans le dos de la COP28

Ce, alors que les pays en voie de développement, bénéficiaires potentiels du véhicule « pertes et dommages », réclament au moins 100 milliards de dollars par an. Un chiffre comparable aux 100 milliards d'aide annuelle à l'adaptation du Fonds vert pour le climat.

Sans compter que le fonds « pertes et dommages » fait l'objet de critiques de la part des Etats qu'il cible : les contributions financières au véhicule s'y feront sur la base du volontariat des pays donateurs. Il n'y a par ailleurs aucun d'objectif de montant à atteindre, et les sommes seront, à priori, décaissées sous forme de prêts.

Un mode de financement peu adapté aux économies des pays les plus pauvres, dénuées de garanties financières solides. Pourtant les besoins de ces nations sont immenses, un récent rapport des Nations Unies les estimant à près de 387 milliards de dollars par an.

Mathieu Viviani

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 02/12/2023 à 13:32
Signaler
"Faire avancer les efforts internationaux pour créer une finance climat plus juste"? Encore un écran de fumée pour faire diversion, alors que le problème de fond réside toujours, à savoir dans "Les limites de la croissance" (car elle n'est pas éterne...

à écrit le 02/12/2023 à 9:08
Signaler
Bah ils peuvent en mettre 3000 sans problème et ça irait beaucoup mieux déjà.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.