
« L'écart entre la mise en œuvre et les engagements affichés par les dirigeants politiques d'Occident sur le climat, est toujours là. C'est préoccupant alors que la COP28 est censée faire un bilan du chemin parcouru depuis l'Accord de Paris en 2015 ». À quelques jours de l'ouverture de la 28è Conférence climat de l'ONU, Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (Iddri), n'y va pas par quatre chemins.
Sébastien Treyer, le directeur général de l'Iddri et autre fin connaisseur des « négo' de la COP », se montre aussi inquiet : « Avec le conflit au Proche-Orient, le multilatéralisme est mis à mal. La logique de bloc contre bloc ressurgit. J'espère que cela n'empêchera pas la COP28 de faire émerger un bon accord. Si ce n'est pas le cas, l'Occident sera à blâmer. »
La semaine dernière, lors d'un point de presse, les deux sherpas de la gouvernance climat ont tenté de présenter les grands enjeux de la prochaine COP, qui se tiendra cette année du 30 novembre au 12 décembre, à Dubaï, aux Emirats arabes-unis. L'occasion d'avoir une vue assez concrète des sujets qui vont réellement compter lors de cette conférence climat.
L'heure du grand bilan
Comme le rappelle Lola Vallejo, cette année le défi est de taille, car c'est l'heure de faire les comptes depuis de l'Accord de Paris de 2015, comme cela avait été décidé à l'époque. Qualifié d'« historique », celui-ci avait acté pour la première fois un objectif global contraignant de limiter l'augmentation de la température planétaire à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.
« Depuis deux ans, s'est mis en place un processus herculéen avec des centaines d'experts qui travaillent en coulisse à ce grand bilan, crucial pour la suite », résume la cadre de l'Iddri. Récemment, ces groupes de travail ont publié un rapport de synthèse technique qui servira de base de travail indispensable pour les négociateurs de la prochaine COP. D'après Lola Vallejo, le document reconnaît bien une situation de « verre à moitié plein » en matière climatique. Dit autrement, celui-ci reconnait des avancées, mais pointe le chemin important encore à parcourir. Un rapport de l'agence ONU Climat, publié cette semaine, a d'ailleurs une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme. D'après celui-ci, les engagements climatiques actuels des pays mènent à 2% de baisse des émissions mondiales en 2030 comparé à l'année 2019. Bien loin des recommandations du GIEC, qui préconisent une réduction de 43% des émissions.
Prise de conscience globale sur l'atténuation des émissions
Pour permettre au monde de ne pas dépasser sa limite climatique, les COP ont défini deux grandes voies à suivre par les gouvernements : l'atténuation des émissions de CO2 et l'adaptation au changement du climat, plus que jamais en cours, avec son lot de catastrophes naturelles plus fortes et fréquentes (inondations, tempêtes, sécheresse, etc).
Sur le volet de l'atténuation des émissions, « les choses vont actuellement dans le bon sens » d'après Lola Vallejo, avec un consensus sur la nécessité de transformer l'ensemble des secteurs de la société. Notamment énergétique, avec un déploiement massif des énergies renouvelables. Autre élément positif : la lutte contre la déforestation et la réduction des émissions autres que le CO2 (comme le méthane, un gaz 25 fois plus réchauffant).
En revanche, le rapport technique réalisé en amont de la COP souligne que « la plupart des efforts d'adaptation observés sont fragmentés, progressifs, sectoriels et inégalement répartis entre les régions ». Il est fort à parier que les pays les plus vulnérables aux effets négatifs du changement climatique mettront la pression sur ce volet durant la COP28.
La fin du pétrole, vraiment ?
C'est le gros point d'interrogation, et de pression, de cette COP28 : après avoir acté la fin du charbon lors de la COP26 à Glasgow, les Etats se mettront-ils d'accord sur la fin du pétrole, énergie en grande partie responsable du dérèglement du climat ? L'Agence internationale de l'énergie (AIE), une institution écoutée par la majorité des décideurs politiques et économiques, a beau répéter que la trajectoire énergétique actuelle est insuffisante pour respecter l'Accord de Paris, rien n'y fait. Les pays riches et industrialisés, encore très dépendants de fossiles, n'ont, pour le moment, donné aucun signe en faveur d'une réduction rapide et contraignante de ces énergies.
« Il y a une grosse pression sur le président de la COP28 cette année, qui pour rappel, est le patron de la compagnie nationale de pétrole émiratie. Cette configuration de la présidence pose donc une vraie question pour les grandes compagnies de pétrole : vont-elles se positionner comme faisant partie de la solution ? », lance à ce sujet la directrice climat de l'Iddri.
Du côté du Sultan Al Jaber, qui préside la COP28, la position est la suivante : réduire la production de pétrole et de gaz, oui, mais progressivement. Le risque étant pour lui de créer un « chaos économique » si les choses vont trop vite. L'Union européenne, elle, défendra bien l'élimination des combustibles fossiles brûlés (sans captage du CO2), avec un pic de leur consommation mondiale estimé durant cette décennie.
Quoi qu'il en soit, le dernier rapport de l'AIE sur les Perspectives énergétiques mondiales est clair : pour atteindre l'objectif, celui-ci préconise une baisse de l'utilisation des combustibles fossiles de 25 % d'ici à 2030 et de 95 % d'ici à 2050. Un triplement de la capacité installée des énergies renouvelables et une réduction de 75 % des émissions de méthane provenant des combustibles fossiles, sont aussi recommandés.
Autre grand sujet qui anime en ce moment les pré-négociations de la COP : les technologies de captage de carbone, largement plébiscitées par les pétroliers pour réduire la voilure de leurs émissions. Une position sur laquelle les ONG environnementales sont vent debout, car celle-ci n'est rien d'autre qu'un prétexte pour gagner du temps, et faire fructifier jusqu'au bout les actifs pétroliers. De nombreux nouveaux projets d'exploitation pétrolière sont d'ailleurs en cours de déploiement. Plus nuancée, la position de l'UE recommande que cette technologie soit réservée aux secteurs pour lesquels il est difficile de se sevrer d'un coup et en totalité.
La finance, nerf de la guerre
Toutes les études et experts le répètent : la transition écologique de l'ensemble de la société nécessite une somme colossale d'argent (on compte en plusieurs milliers de milliards de dollars). Rien qu'en France, un rapport récent de l'économiste Jean-Pisani Ferry estime que cette transformation coûtera environ 66 milliards d'euros par an, jusqu'en 2030. Dont 33 milliards apportées par les finances publiques.
Si les COP ne décident pas des budgets des pays, elles peuvent leur fixer des objectifs à atteindre, de manière contraignante ou non. Le dernier en date concerne l'aide volontaire permettant aux pays les plus vulnérables au changement climatique de s'adapter.
À Copenhague en 2009, les pays riches ont ainsi pris l'engagement suivant : mettre sur la table 100 milliards d'euros de financements publics et privés par an, à partir de l'année 2020 pour soutenir les pays en développement face au changement climatique. Selon l'OCDE, qui comptabilise cette enveloppe, les pays riches ont « probablement » atteint cette promesse en 2022, avec deux années de retard, ce qui a durablement abîmé la confiance au sein des négociations climatiques internationales.
D'après Lola Vallejo, « on peut s'attendre à des avancées sur le sujet pendant la COP28, car il y a des gages de bonne foi de la part des pays développés ». De plus, cet enjeu serait dans les priorités de la présidence émirati de la COP28 qui mobilise ses réseaux financiers sur le sujet. Par ailleurs, de nombreux acteurs de la finance privée, ainsi que des banques publiques de développement (Banque mondiale, Agence française de développement, la banque publique de développement allemande Kfw, etc) et les grands réseaux de villes (comme C40, largement financé par le multimilliardaire américain Michael Bloomberg), travaillent à plus d'ingéniosité en matière de finance climatique. Si les subventions publiques sont absolument nécessaires, les prêts d'argent garantis par des pays riches, à des taux très avantageux, font aussi partie des solutions.
Justice climatique
C'est l'autre versant du volet financier de la COP : la question des pertes et dommages irréversibles subis par les pays les plus touchés par les catastrophes climatiques. Un exemple parlant en date : l'Etat insulaire du Tuvalu dans l'océan Pacifique, qui voit son territoire disparaître un peu plus chaque année, avec la montée des eaux. L'Australie a d'ailleurs accordé à ses 11.000 citoyens l'asile climatique.
Après d'âpres négociations durant le COP27 l'année dernière en Egypte, les pays du Sud ont obtenu la création d'un fonds dédié au financement de ces dommages. Mettre en œuvre ce véhicule financier et l'abonder rapidement en argent frais des pays riches, est un des principaux objectifs de la COP28. Pour les pays pauvres, l'existence de ce fonds est aussi une question de justice climatique. Si un pré-accord a déjà mis sur papier les modalités de fonctionnement du fonds, la COP28 doit graver dans le marbre les choses. « Quels pays paieront ? Qui sont ceux qui en bénéficieront ? Deux questions très importantes qui ne manqueront pas de susciter des débats durant la COP », prévient la directrice de l'Iddri.
Selon plusieurs sources et documents consultés par l'Agence France Presse, McKinsey, plus grand cabinet de conseil au monde, se servirait de son influence dans les préparatifs de la COP28 pour défendre les intérêts de ses clients pétrogaziers, sapant les efforts pour sortir des énergies fossiles. Selon cette enquête de l'AFP publiée la semaine dernière, en coulisses, l'Américain McKinsey & Company aurait fourni aux organisateurs émiratis de la 28e conférence sur le climat des Nations unies des scénarios sur l'avenir du secteur énergétique mondial, qui sont en contradiction avec les objectifs climatiques que le cabinet affiche publiquement. Si les grands cabinets de conseil offrent une expertise nécessaire aux équipes dirigeantes des COP, le degré d'influence révélée dans cette enquête interrogent de nombreux observateurs de la COP28. À commencer par les ONG qui dénoncent depuis des années le lobbying des compagnies gazières et pétrolières. Depuis plusieurs années, de nombreux experts pointent le risque de dépolitisation que peut engendrer l'expertise de ces cabinets sur les politiques publiques liées au climat.Le lobbying de trop ?
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