Facture énergétique : la double peine des ménages ruraux

ANALYSE - La part des passoires thermiques dans les résidences principales est plus importante dans les territoires ruraux. Éloignement géographique, fracture numérique... Leurs habitants ont davantage de difficultés pour accéder aux aides publiques à la rénovation énergétique. Ils sont ainsi plus nombreux à renoncer à se chauffer. C'est le constat que dresse un sondage Ifop, réalisé pour le compte de l'entreprise Hellio, publié ce mercredi.
Juliette Raynal
Selon l'enquête de l'Ifop, 91% des ruraux interrogés sont inquiets quant à l'évolution du prix du gaz et de l'électricité au cours des trois prochains mois.
Selon l'enquête de l'Ifop, 91% des ruraux interrogés sont inquiets quant à l'évolution du prix du gaz et de l'électricité au cours des trois prochains mois. (Crédits : Unsplash License - Serena T)

Il y a cinq ans, le mouvement des Gilets Jaunes mettait en lumière les grandes inégalités des Français face au coût de la mobilité selon leur lieu d'habitation, au détriment des habitants des territoires péri-urbains et ruraux, très dépendants de la voiture. Mais sur le plan énergétique, la mobilité n'est pas la seule préoccupation des ménages français vivant en milieu rural. La question de la facture liée au chauffage nourrit aussi des inquiétudes grandissantes. C'est ce que révèle le sondage Ifop réalisé pour le compte de l'entreprise Hellio et publié ce mercredi à l'occasion du Congrès des maires.

Selon cette enquête, réalisée en ligne du 24 au 30 octobre dernier, 91% des ruraux interrogés sont inquiets quant à l'évolution du prix du gaz et de l'électricité au cours des trois prochains mois, contre 74% pour la moyenne des Français. Soit 17 points d'écart. « C'est une nouveauté. Avant il y avait un sentiment d'incertitude, mais pas d'inquiétude aussi généralisée », estime Pierre Maillard, le PDG d'Hellio, une entreprise spécialisée dans l'efficacité énergétique. Parmi les ruraux interrogés, 84% sont ainsi favorables au retour du bouclier tarifaire sur les prix du gaz, contre 76 % chez l'ensemble des Français.

Des logements individuels plus grands, anciens et mal isolés

Ces inquiétudes plus marquées à la campagne correspondent bel et bien à une réalité. Pour se chauffer, les ménages ruraux sont, en effet, plus exposés à la flambée des prix de l'énergie compte tenu de la taille et de la mauvaise isolation thermique de leur logement. « En milieu rural, l'habitat est plus individuel et la taille du ménage est plus grande qu'en ville. Il est aussi plus ancien », relève Claire Delfosse, professeure de géographie à l'Université de Lyon 2 et directrice du laboratoire d'études rurales. De fait, plus du quart des logements en zones rurales ont été construits avant 1918.

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« Il y a aussi les ménages qui achètent des maisons dans ces territoires parce qu'elles sont moins chères, mais ils ne se rendent pas compte du coût du chauffage et de la mobilité. Certains pensent pouvoir faire des travaux de rénovation eux-mêmes, mais baissent les bras compte tenu de l'ampleur et de la complexité de ces chantiers. Ils vivent alors dans des conditions précaires », expose Claire Delfosse.

« J'ai largement sous-estimé l'importance des travaux à réaliser »

C'est ce qui est arrivé à Guillaume*, qui a récemment fait l'acquisition avec sa compagne d'une maison d'une centaine de mètres carrés dans le département de l'Indre et Loire.

« J'ai largement sous-estimé l'importance des travaux à réaliser. Les murs de la maison étaient simplement faits de parpaings sans aucune isolation. La chaleur s'échappait par les murs et la toiture. L'hiver dernier, nos factures de chauffage ont atteint jusqu'à 300 euros par mois », confie-t-il.

Résultat, la part des passoires thermiques (ces logements classés et F et G au diagnostic de performance énergétique - DPE) dans les résidences principales est plus importante en zone rurale que la moyenne française. Selon les dernières données de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), publiées lundi 20 novembre, la part des passoires thermiques dans les zones rurales atteint 20,6% au 1er janvier 2023, contre 15,7% en moyenne sur l'ensemble des résidences principales de France métropolitaine. Seule l'agglomération parisienne affiche un taux supérieur (21,7%). Un rapport de l'observatoire, publié en juillet 2022, estimait même, selon un travail de modélisation, que plus de 35% des résidences principales étaient des passoires énergétiques dans les départements ruraux de l'Orne, la Creuse, le Cantal et la Nièvre.

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Une part plus importante de chauffage au fioul

Les données publiées par l'ONRE montrent également que 44% des résidences principales se chauffant au fioul et aux gaz liquides, comme le propane et le butane, sont des passoires énergétiques. Or, une part importante des ménages ruraux se chauffent au fioul domestique. « En zone rurale, 29% des résidences principales sont chauffées au fioul ou au propane, contre 9% en zone urbaine », rappelait mi-octobre l'association France gaz liquides, lors d'une conférence de presse.

Non seulement ces combustibles fossiles sont très néfastes pour le climat (et leur verdissement débute à peine), mais ils sont aussi très exposés à la volatilité des prix sur les marchés de gros. En octobre 2022, un pic a été atteint avec un prix supérieur à 1.800 euros les 1.000 litres de fioul domestiques, contre environ 1.000 euros en janvier 2022. Un chèque énergie de 100 à 200 euros a bien été mis en place par le gouvernement pour les ménages les plus modestes, mais celui-ci s'est éteint en avril 2023. Or, même si les prix ont largement chuté depuis octobre 2022, ils demeurent aujourd'hui encore élevés : 1.260 euros en moyenne dans l'Hexagone.

A ces conditions, s'ajoute une difficulté d'accès aux aides à la rénovation énergétique, comme Ma Prime Rénov et les Certificats d'économies d'énergie (CEE), distribuées par l'Agence nationale de l'habitat (Anah). « Il y a un constat réel : les dispositifs ne sont pas assez lisibles. Et, en milieu rural, il y a une vraie difficulté à accéder aux aides. Et ce, plus qu'ailleurs. Nous avons un problème de distance à l'institution. Aujourd'hui, les antennes France Services se situent aux sièges des intercommunalités », regrette Fanny Lacroix, vice-présidente de l'association des maires ruraux de France (AMRF), chargée de la transition écologique.

« Pour notre village, l'antenne la plus proche se situe à Angoulême, soit à une heure de route en voiture alors que beaucoup de personnes sont âgées. Il faudrait des antennes mobiles rattachées aux mairies », abonde Michel*, un habitant de Hiesse, petit village de moins de 300  habitants situé dans le département de la Charente.

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« L'antenne la plus proche se situe à une heure de route »

55% des Français ruraux sondés par l'Ifop sont d'ailleurs mécontents des aides de leurs collectivités face à la hausse des coûts du gaz et de l'électricité alors qu'ils ont habituellement une bonne appréciation de leurs maires. « Ce taux est le résultat d'une confusion entre les aides apportées par l'Etat et celles apportées par les collectivités locales. Les maires n'ont aucun pouvoir sur les aides en matière de rénovation énergétique », rappelle Pierre Maillard.

Cette difficulté d'accès à l'information pour des raisons géographiques, « peut se doubler d'une fracture numérique », pointe Claire Delfosse. Une notion qui désigne à la fois une infrastructure télécom peu développée, mais aussi des difficultés d'usage, bien plus marquées chez les seniors. Or, dans les zones rurales, près de quatre habitants sur dix étaient âgés de 60 ans ou plus en 2018, contre 26% à l'échelle nationale. « En général, ce qui caractérise les espaces ruraux, c'est le non recours aux aides », note la géographe. Ainsi, si d'après le sondage Ifop, ils sont plus nombreux à réaliser des travaux d'isolation que l'ensemble des Français, l'enquête ne dit pas si ces efforts sont soutenus par des aides officielles de l'Etat.

Dans le monde rural, la précarité ne se dit pas

Ces éléments réunis expliquent sans doute pourquoi les ménages ruraux font preuve de plus de sobriété. Le sondage Ifop montre, en effet, que 54% d'entre eux ont déjà renoncé à se chauffer par manque d'argent, contre 42% chez l'ensemble des Français. « C'est une sobriété d'action, pas de principe. Pour ne pas faire exploser leur facture, ces foyers n'ont pas d'autres choix », estime François Kraus, directeur du pôle politique de l'Ifop. Certains feraient ainsi un arbitrage et choisiraient de payer leur carburant pour aller travailler plutôt que de garder le chauffage.

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« La difficulté dans le monde rural, c'est que souvent la pauvreté et la précarité ne se disent pas. Certains habitants ruraux vont se restreindre pour ne pas avoir d'impayés. Ils sont donc plus difficiles à repérer et donc à aider , pointe Claire Delfosse.

« Il y a un sentiment de honte plus fort, abonde François Kraus. Dans ces zones rurales, on s'arrange pour moins consommer afin de ne pas être stigmatisé comme mauvais payeur. (...) La pauvreté est invisibilisée .

Ensembliers solidaires, un nouveau métier

Bien conscient de ces caractéristiques, le collectif Stop exclusion énergétique, qui regroupe une soixantaine d'organisations (associations, entreprises et collectivités), est particulièrement actif dans ces territoires où il déploie ses « ensembliers solidaires ». « Nous avons créé ce nouveau métier. Ce sont des personnes qui accompagnent de bout en bout une famille en situation de précarité énergétique. Elles apportent un accompagnement administratif, financier et technique », explique Gilles Berhault, à la tête du collectif. « Nous travaillons étroitement avec des associations de solidarité. Elle permet d'identifier les personnes et de créer une relation de confiance », décrit-il.

Les Compagnons bâtisseurs figurent parmi les associations membres du collectif. Ils ont  identifié Guillaume, qui avait surestimé les travaux à réaliser dans sa maison en Indre et Loire, lorsque celui-ci est venu s'approvisionner sur une plateforme d'économie circulaire de matériaux de construction. « Nous avons aidé Guillaume à monter un dossier. Le montant total des travaux a été évalué à 28.000 euros. L'intervention devrait permettre de passer le logement de la note F à la note B ou C », estime Matthieu Szczepaniak, coordinateur des Compagnons bâtisseurs en Centre-Val de Loire.

En outre, le ministère de la Transition énergétique vient de débloquer une enveloppe de 15 millions d'euros pour soutenir l'initiative Territoires zéro exclusion énergétique, qui vise à massifier cette approche sur 14 territoires de l'Hexagone d'ici 2026, dont plusieurs en zones rurales, comme Kreiz Breizh en centre Bretagne, les campagnes d'Artois, près d'Arras (Pas-de-Calais) ou encore près du Havre (Seine-Maritime) et dans l'agglomération de Carcassonne (Aude).

Gilles Berhault salue deux autres mesures récentes du gouvernement : le renforcement du dispositif Mon accompagnateur Rénov', un référent gratuit et obligatoire pour les ménages les plus modeste, qui dès 2024 le sera automatiquement pour tous les propriétaires souhaitant réaliser une rénovation énergétique globale (avec des aides variables selon le niveau de revenus), et la prise en charge des travaux jusqu'à 90% pour les familles les plus en difficulté.

Le reste à charge, plus écrasant en zone rurale

Le reste à charge demeure, en effet, le deuxième grand point bloquant des travaux de rénovation énergétique. « En 2024, plus de ménages auront droit à des avances sur les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) de manière à pouvoir payer les acomptes », fait valoir l'entourage de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, tandis qu'un élargissement du prêt à taux zéro à 50.000 euros pour couvrir le reste à charge des travaux est également prévu.

« On peut normalement espérer que les ménages puissent rembourser ce prêt grâce aux économies réalisées par ces travaux », estime-t-on au sein du ministère.

Un logement dont le DPE passerait de G à C, permettrait à la famille occupante de diviser par quatre sa facture énergétique.  « Il y a encore beaucoup de choses à faire, mais les pouvoirs publics n'ont jamais autant fait », reconnaît, aujourd'hui, Gilles Berhault.

* Les prénoms ont été changés.

Juliette Raynal

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Commentaires 17
à écrit le 23/11/2023 à 10:03
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C'était là le ressort des Gilets Jaunes, bien des néo-ruraux et péri-urbains étant des citadins chassés des centres villes par la bulle immobilière entretenue depuis une bonne vingtaine d'année pour permettre aux boomers de louer ou de vendre des pas...

à écrit le 23/11/2023 à 8:56
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Le progrès est devenu trop cher, inaccessible ! Il le sera d'ailleurs pour de moins en moins de monde car il procède non pas de l'organisation du monde mais de sa destruction. Nous n'avons pas le bon niveau technologique, pas assez de progrès dans ...

à écrit le 23/11/2023 à 8:23
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Cet article oublie toutes les péréquation du système français : égalité du tarif de l'électricité (alors que le transport coûte plus cher en campagne qu'en ville), système de ramassage scolaire payé par la collectivité, ordures ménagères, etc... Et...

à écrit le 23/11/2023 à 1:14
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Quatre points. Primo : La transition énergétique est une angoisse obsessionnelle du gouvernement, pas des particuliers qui n'avaient rien demandé. Deuxio : dire qu'on va sauver la planète parce qu'en France madame Michu se ruine pour changer de chaud...

à écrit le 22/11/2023 à 18:36
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Le problème, que cela soit en ville ou à la campagne c'est l'état et ses dettes ! Ils nous ont vendu l'argent gratuit, l'Europe comme solution à tous les maux, la dette payée dans 1000 ans par les générations futures, ect... Faut croire que tout cela...

à écrit le 22/11/2023 à 15:13
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faut peut etre dabors demander aux gros pollueurs mondiaux (transport maritime croisieriste par exemple ) de faire le nécessaire au lieu d'enmerder le pauvres gens via des écolo bobo a tendance socialiste et faire une vrai politique de transition ...

le 22/11/2023 à 16:49
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La tactique consiste à s attaquer à 10 000 000 de particuliers désorganisés plutôt qu' a 100 grosses structures très bien organisées. Il ne faudra pas s'étonner si les gilets jaunes reviennent.

à écrit le 22/11/2023 à 13:20
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Comme le dit Ferrat "il faut savoir ce que l'on veut"... Pour les citadins qui émigrent vers la ruralité, afin d'en bénéficier des avantages, il serait bon qu'ils se renseignent sur les inconvénients. Avant de "à la française" de demander à l'Etat de...

à écrit le 22/11/2023 à 12:29
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Pour les ruraux, youpi, nous avons la solution pour faire face à l'augmentation de la facture énergétique : confier l'un de ses enfants à l'Assistance Publique !!! Plus sérieusement, un bon nombre de maisons rurales et pour de multiples raisons, s...

le 22/11/2023 à 13:13
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quand ont percoit que certain elus se prononce pour que les ministères en france paye un loyer a l'etat encore une arnaque une escroquerie de grande ampleur. les taxes ne leur suffise plus la c'est les ministères mais demain ce sera tous les servi...

à écrit le 22/11/2023 à 12:21
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Isoler son logement avec un coup moyen de 1000 euros du M2 , impossible à financer par les français. On ajoute la voiture à 30 000 e , la TF qui explose , l'inflation du prix des énergies etc... Des salaires en berne et des charges qui augmentent de...

le 22/11/2023 à 12:45
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Le RN aurait-il le remède miracle pour tout solutionner ?

à écrit le 22/11/2023 à 12:09
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Ce ne sont pas les ruraux qui se plaignent de leur sort, ils sont nés à la campagne, y ont toujours vécu, sont adaptés à leur environnement et sont restés parce qu'ils aimaient leur terroir alors que d'autres sont partis pour la ville, le fameux "exo...

à écrit le 22/11/2023 à 12:04
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Nous sommes habitués à moins de confort que les citadins tandis qu'il est normal que ces derniers en aient plu car bien plus manipulés, vivant les uns sur les autres avec cette promiscuité infâme, payant tout plus chers, avec des flics à chaque coin ...

à écrit le 22/11/2023 à 11:54
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On ne vit pas à la campagne comme à la ville et il est beaucoup plus difficile de passer de la ville à la campagne et a fortiori à la montagne. Il faut aimer passer du temps à l'extérieur, le bricolage pour les entretiens nombreux et variés , le j...

à écrit le 22/11/2023 à 10:28
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La vie, c'est dur pour tout le monde. Comme l'économie est basée sur l'énergie, une énergie plus chère, c'est l'assurance d'une vie plus dure. Ce n'est pas une double peine, c'est la vie. Peut-être que les familles rurales devront faire le choix de f...

le 22/11/2023 à 11:52
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mais qui sont les escrocs ceux dont la fonction est de discriminer par des taxes sur le chauffage considéré comme un luxe ou comme encore etre oblige de s'éloigner des centres ville ou meme du centre de paris. que nos dirigeants prefere vendre les...

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