Logement : quand Ma Prime Rénov' tourne au cauchemar pour les mandataires

ENQUÊTE- Problèmes informatiques, dossiers bloqués, virements suspendus sans aucune raison... Les mandataires, ces entreprises qui financent le dispositif Ma Prime Rénov' en avançant aux propriétaires le montant des subventions accordées pour la rénovation énergétique de leurs logements, font face à un véritable parcours du combattant pour tenter de récupérer la somme auprès de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Ce sont parfois plusieurs millions d'euros qu'ils attendent mettant en péril leur activité. Alors que des actions en justice ont été lancées, ce calvaire pourrait bien se retourner contre les particuliers.
Coline Vazquez
Le montant des aides accordées dans le cadre de Ma Prime Rénov' peut grimper jusqu'à 20.000 euros.
Le montant des aides accordées dans le cadre de Ma Prime Rénov' peut grimper jusqu'à 20.000 euros. (Crédits : Reuters)

Neuf millions d'euros. C'est la somme que Julian Aroun et son associé Basile Denis, cofondateurs de Drapo, attendent désespérément. Lorsqu'ils se sont lancés comme mandataires pour le compte de Ma Prime Rénov' en septembre 2020, ils étaient bien loin d'imaginer un tel parcours du combattant. Sur le papier pourtant, tout paraissait simple. En gérant la partie administrative et financière des dossiers à la place des particuliers, les mandataires permettent à des propriétaires de réaliser leurs travaux de rénovation énergétique en avançant à leur place le montant des subventions. Une fois les travaux effectués, les mandataires récupèrent cette somme, auprès de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), tout en se rémunérant par le biais d'une commission. Une belle promesse, tant pour les particuliers que les mandataires, quand on sait que le montant des primes peut grimper jusqu'à 20.000 euros. Sur le papier en tout cas. Car deux ans et demi plus tard, de nombreux dossiers sont en souffrance avec des paiements qui tardent à être versés.

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En cause, une avalanche de difficultés qui ont commencé dès septembre 2020.

« Au début, il y a eu des problèmes d'effectifs, on nous a expliqué que le dispositif cartonnait, ce qui entraînait des retards de paiement. Puis ça a été des bugs informatiques qui se sont multipliés. Des milliers de dossiers ont tout simplement disparu, des versements nous ont été faits en double ou, à l'inverse, dans certains cas, nous n'avons pas reçu l'argent », raconte Julian Aroun.

Décrivant un dispositif « tentaculaire, complètement "bugué" », il déplore le grand nombre d'intermédiaires, si bien qu'« on a le sentiment que personne n'est réellement au courant de ces problèmes ni ne sait comment les résoudre ». L'associé pointe notamment la responsabilité de Docaposte, société de la branche numérique du Groupe La Poste à qui l'Anah a délégué la gestion des dossiers. Des difficultés sur lesquelles la Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon, a également alerté, le 13 avril dernier devant une commission sénatoriale, soulignant qu'elles étaient « loin d'être résolues ».

Un consentement bien difficile à obtenir

D'autant que, face au grand nombre d'arnaques qui ont touché ma Prime Rénov', l'Anah a décidé d'introduire, en 2021, une nouvelle procédure de contrôle nécessaire au versement de la prime : le recueil du consentement. L'Anah s'adresse par mail ou par téléphone aux particuliers chez qui les travaux ont été réalisés afin de leur demander de répondre à une série de questions sur les travaux en question. Problème, cette prise de contact intervient, dans certains cas, bien après la fin de ces travaux, parfois dix mois plus tard. « Ils appellent en numéro masqué donc les gens ne répondent pas ou pensent que c'est une arnaque. Quant aux mails, il arrive qu'ils tombent directement dans les courriers indésirables. Or, si l'usager ne répond pas ou s'il commet une erreur dans ses réponses, le dossier est annulé et, avec lui, le versement de la prime », déplore Julian Aroun. Consciente de ces difficultés, l'Anah propose désormais une attestation de consentement que le particulier peut remplir et fournir à l'Anah, si et seulement si, les tentatives de contact au préalable n'ont pas abouti.

Autre démarche responsable de bien des blocages, les contrôles des travaux imposés par l'Anah dans certains dossiers, mais qui, comme le consentement, interviennent parfois bien après leur réalisation.

En conséquence, les dossiers bloqués continuent de s'accumuler chez les mandataires. Au sein de Drapo, la société de Julien Aroun et Basile Denis, plus de 1.700 sont dans l'attente d'un versement, certains datant de 2020.

Même constat du côté de Guillaume Gipouloux, directeur général de PHX Support qui détient notamment la société HFR (Helio Finance Réunion) devenue mandataire Ma Prime Rénov' en 2021. Sur les 800 dossiers ouverts depuis son lancement comme mandataire, plus de la moitié sont en attente depuis plus de 90 jours. Au total, « nous attendons quasiment 2 millions d'euros qui devraient nous être payés, et pour lesquels il n'y a aucune raison, ni justification de ce délai »appuie-t-il.

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Des mandataires aux abois

Un trou dans la trésorerie qui n'est pas sans conséquence pour les mandataires. « Nous sommes dans une situation très délicate », confie Julian Aroun dont la startup, créée en 2015, a levé six millions d'euros l'année dernière « auprès d'investisseurs majoritairement institutionnels à un taux très élevé ». Des investisseurs qui commencent à se retirer. « Même si les neuf millions que nous doit l'Anah nous étaient remboursés demain, on aurait quand même perdu de l'argent », soupire-t-il. L'entreprise, qui compte 85 salariés, s'apprête, d'ailleurs, à lancer un plan de licenciement économique qui concernera 30 à 40% de ses effectifs.

Inquiet, Guillaume Gipouloux craint, lui aussi, de devoir se séparer d'une partie de ses salariés si les versements de l'Anah tardent encore à arriver. Au-delà des entreprises spécialisées dans le financement comme Drapo, d'autres mandataires voient leur activité initiale mise en péril. PHX support, maison-mère d'Heliofrance Réunion, est, à l'origine, spécialisée dans la fabrication de solaire thermique français. Devenir mandataire pour Ma Prime Rénov' leur permettait ainsi de déployer la distribution de leurs produits à davantage de foyers en prenant en charge la partie administrative du dossier et en avançant le montant des subventions. Le groupe a donc mobilisé une partie de sa trésorerie pour cette activité. Un choix qui a permis à l'entreprise de réaliser « deux excellentes années en 2021 et 2022 » mais que le dirigeant confie, aujourd'hui, « regretter » car, « désormais on ne peut plus financer ».

Une inquiétude que partage la Capeb, le syndicat patronal de l'artisanat du bâtiment.

« Certains artisans se sont inscrits en tant que mandataire, mais comme le versement des aides a pris beaucoup de retard, les chantiers s'accumulent et ils se retrouvent avec des problèmes de trésorerie. Ils sont parfois obligés de faire des crédits-relais en attendant, ce qui les pénalise économiquement », alerte Denis Morales, vice-président de l'organisation.

Et quand ils essayent d'obtenir une réponse, les mandataires font souvent choux blanc. « Dès le début, on a multiplié les réunions avec l'Anah. À ce jour, elles se comptent par centaines que ça soit en physique, par visioconférence ou par téléphone », souffle Julian Aroun. Comme lui, Guillaume Gipouloux a assisté à des rendez-vous organisés avec l'Anah. Il se souvient de l'un d'eux où « on nous a soutenus que le délai de traitement d'un dossier était de 35 jours. On s'est étranglés en entendant ça. Il y a un manque d'honnêteté et de transparence », dénonce le directeur général de HFR. L'Anah affirme, en effet, que « le délai moyen de traitement d'un dossier MaPrimeRénov' est inférieur à 5 semaines pour une demande de subvention comme pour une demande de paiement ».

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Les particuliers pourraient être sommés de payer

À défaut d'obtenir des réponses de Ma Prime Rénov', les mandataires cherchent donc la solution ailleurs...Auprès des particuliers chez qui se sont déroulés les travaux. Car ce sont bien eux qui pourraient, au final, payer l'addition. Le recueil de consentement constituant la raison du blocage d'une grande majorité de leurs dossiers, les mandataires peuvent exiger des usagers qu'ils remboursent le montant de la prime au motif qu'ils n'ont pas rempli leurs obligations prévues dans le contrat signé en amont de la procédure. Autrement dit, qu'ils n'ont pas répondu à l'Anah pour confirmer avoir accordé leur consentement. Encore faut-il qu'ils aient vu le mail ou répondu à l'appel...

« L'ultime recours serait de demander la prime à l'usager, admet Julian Aroun, mais ce sont des personnes précaires donc ça peut prendre des années et ce n'est pas l'idée de pénaliser ces gens ».

Pour tenter d'obtenir l'attestation de consentement demandée par l'Anah, Drapo a donc entrepris de mobiliser trois personnes chargées, entre autres, de rappeler tous les particuliers concernés pour les inciter à remplir le document en question et à le transmettre à l'établissement public.

« Ça prend énormément de temps, jusqu'à une heure et demie par client. Quand on rappelle les gens après plusieurs mois, pour eux, c'est réglé, leurs travaux ont été faits, ils ne comprennent pas pourquoi on vient encore les solliciter. On est donc obligé de leur faire un peu peur en leur disant qu'ils nous sont redevables sauf s'ils entreprennent la démarche nécessaire », raconte-t-il.

Lors de cette démarche, les particuliers sont également incités à signer une convention d'honoraires avec un avocat, proposé et financé par Drapo, pour qu'il puisse les représenter devant le tribunal administratif, dans l'espoir d'obtenir la somme due par l'Anah.

Depuis un mois, une centaine de dossiers ont déjà été portés par les avocats Drapo devant les tribunaux administratifs concernés. « Mais on en a encore des centaines d'autres qui attendent de l'être », précise Julian Aroun qui espère une réponse dans les prochains mois. Du côté de l'Anah, aucun changement. « Il n'y a eu aucune accélération ni des traitements, ni des paiements », déplore celui qui veut croire qu'une décision favorable du tribunal administratif « fera jurisprudence ». HFR a, lui aussi, opté pour une telle démarche.

Si tous espèrent que la démarche poussera l'Anah à régulariser la situation, qu'arrivera-t-il dans le cas contraire ? Alors que ma Prime Rénov' est destinée aux ménages les moins aisés, le coup de pouce du gouvernement pourrait bien se transformer en cauchemar pour ces derniers s'ils se voyaient réclamer plusieurs milliers d'euros à rembourser aux mandataires.

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Seuls 2% des dossiers en difficulté selon l'Anah

Contactée par La Tribune, l'Anah insiste sur l'« instruction rigoureuse et individualisée » réalisée pour chaque dossier « permettant de s'assurer que la demande d'aide est conforme » et « que l'argent public est donc dépensé à bon escient ». Elle rappelle « le volume important » de dossiers, « jusqu'à 25.000 décisions par semaine (validation d'une demande de subvention ou validation d'un paiement) » et signale le renforcement de son dispositif de lutte contre la fraude à partir de juillet 2022.

Mais, selon l'établissement public, seule « une faible proportion de dossiers se trouve "en difficulté", c'est-à-dire qu'ils présentent une interruption longue ou un blocage au cours de leur parcours », estimant leur nombre « en moyenne » et « en continu » à entre 2.000 et 2.500, soit environ « 2% des 750.000 dossiers déposés par an ». Des dossiers auxquels « l'Anah accorde une attention toute particulière », assure l'organisme, promettant la mise en place, « dès le deuxième semestre 2023 », d'un « dispositif de tri de ces dossiers suivi d'une analyse approfondie des causes de difficulté (...) » ainsi qu'« un circuit spécifique et accéléré pour les dossiers les plus en difficulté (suppression du dossier initial et ouverture d'un nouveau dossier pour l'usager) ». En outre, depuis 2023, il est obligatoire pour les particuliers d'avoir recours à un « Accompagnateur Rénov' » chargé de les assister dans leur projet de travaux de rénovation énergétique afin de « simplifier le parcours ».

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Mais au-delà de la nécessité de débloquer les dossiers en cours, c'est la pérennité même du dispositif qui est mise en péril, alertent les mandataires. « La confiance est rompue, lâche Julian Aroun, amer. On a fait tellement de mal aux acteurs de ce dispositif qui sont nombreux et pourtant indispensables, que tous se retirent ». Depuis fin 2022, Drapo a, en effet, stoppé les financements dans le cadre de Ma Prime Rénov'. De même pour HFX et les autres mandataires contactés par La Tribune. Nul doute, en effet, que l'image de Ma Prime Rénov' a été, sérieusement, écornée. Or, sans ces acteurs pour avancer les subventions aux particuliers, ces derniers pourraient être de moins en moins nombreux à entreprendre des travaux de rénovation énergétique...au détriment des grandes ambitions écologiques de l'exécutif.

Coline Vazquez

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Commentaires 14
à écrit le 05/03/2024 à 16:59
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C’est bien joli de mettre des primes qui aident les personnes mais comme les aides se font attendre les commerciaux qui servent d.assistante sociale ne sont pas payés. Action réaction, on peut pas dire que ce soit le cas de notre pays.

à écrit le 05/03/2024 à 16:59
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C’est bien joli de mettre des primes qui aident les personnes mais comme les aides se font attendre les commerciaux qui servent d.assistante sociale ne sont pas payés. Action réaction, on peut pas dire que ce soit le cas de notre pays.

à écrit le 05/03/2024 à 16:58
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C’est bien joli de mettre des primes qui aident les personnes mais comme les aides se font attendre les commerciaux qui servent d.assistante sociale ne sont payés. Action réaction, on peut pas dire que ce soit le cas de notre pays.

à écrit le 05/03/2024 à 16:57
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C’est bien joli de mettre des primes qui aident les personnes mais comme les aides se font attendre les commerciaux qui servent d.assistante sociale ne sont payés. Action réaction, on peut pas dire que ce soit le cas de notre pays.

à écrit le 20/04/2023 à 11:06
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en soit une profession qui ne sert a rien. je rempli la paperasse a la place de quelqu un et je prend une commission. on devrait supprimer les 2 : la prime renov qui a generer moult arnaques ou travail mal fait et ce type d intermediaires

à écrit le 20/04/2023 à 10:51
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Que font les Agents comptables et gestionnaires de l’Anah ???? Ils se tournent les pouces ??? Ne pas mandater l’argent dû aux entreprises en temps et en heure est un scandale !!!

à écrit le 20/04/2023 à 10:09
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"quand Ma Prime Rénov' tourne au cauchemar pour les mandataires" Un autre cauchemar à venir : Annoncée par Emmanuel Macron en 2021, Ma Prime Adapt’ est une nouvelle aide financière qui s’adresse aux personnes âgées de plus de 70 ans aux revenus m...

à écrit le 20/04/2023 à 8:57
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Entre les promesses et les actes, c'est le grand écart McKroniste... tout dans la pub, rien que la pub ! ;-)

à écrit le 20/04/2023 à 8:40
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Y a-t-il quelque chose où l'état fourre son nez, qui fonctionne correctement ?

à écrit le 20/04/2023 à 8:37
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L anah s est tellement fait escroqué par les artisans ou professionnels véreux qu elle freine les dossiers aujourd’hui et vérifie tous les travaux avant de payer … les français les 1 er a escroquer les autres … le secteur privé vraiment pas honnête …...

à écrit le 20/04/2023 à 8:35
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L anah s est tellement fait escroqué par les artisans ou professionnels véreux qu elle freine les dossiers aujourd’hui et vérifie tous les travaux avant de payer … les français les 1 er a escroquer les autres … le secteur privé vraiment pas honnête …...

à écrit le 20/04/2023 à 7:46
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Haha, l'état stratege socialiste dans toute sa splendeur !! L'état organisateur qui fournit les masques et fait des enquêtes sociales contre la grande distribution qui planquait tout ça dans entrepôts quantiques est a la manœuvre pour la transition ...

le 20/04/2023 à 8:24
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Tout ça à été fait dans la précipitation …mode start up …par des copains à Macron ? en plus Les salariés de l’anah sont de droits privés et cdd max 6 mois - quand il y a trop de dossiers en souffrances l anah sous traite a plusieurs prestataires pay...

le 20/04/2023 à 8:43
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Macron socialiste? Reveillez vous il est plus sarkoziste que social...

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