Electricité : pourquoi le bouclier tarifaire coûtera plus cher en 2023

Alors même que les prix de marché de l’électricité baissent depuis le début de l’année, le bouclier tarifaire déployé par le gouvernement pour contenir les factures coûtera davantage à l’Etat en 2023 qu’en 2022. Et pour cause, le montant que devraient théoriquement payer les consommateurs cette année est calculé, entre autres, à partir des cours constatés en 2021 et en 2022, période de tous les records. Surtout, l’Etat a transféré une partie de la charge supportée par EDF en 2022 vers les consommateurs. Ce qui accentue la hausse des tarifs par rapport à l’an dernier, et par là même le coût du bouclier.
Marine Godelier
(Crédits : NEIL HALL)

Depuis quelques mois, l'embellie tant attendue semble enfin se produire sur les marchés de l'électricité. Et pour cause, les cours du gaz, qui déterminent en partie le prix auquel se vendent les électrons en Europe, suivent une tendance à la baisse, entraînant dans leur sillage ceux de l'électricité. Surtout, après avoir enchaîné les difficultés en 2022, EDF se montre plus rassurant sur le niveau de production de son parc nucléaire cette année. De quoi, à première vue, permettre d'enclencher une baisse des factures payées par les consommateurs.

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Et pourtant, c'est l'inverse qui se produit : mardi, le gouvernement a annoncé une hausse de 10% du tarif réglementé de vente d'électricité (TRVe), l'offre d'EDF encadrée par les pouvoirs publics à laquelle s'adossent de nombreux fournisseurs. A cela s'ajoute l'augmentation de 15% décidée en février dernier par l'exécutif, malgré l'impact sur le porte-monnaie des clients résidentiels.

Et la raison peut sembler contre-intuitive : malgré l'accalmie constatée depuis le début d'année, l'effort budgétaire pour protéger les consommateurs de la flambée des prix coûtera beaucoup plus cher à l'Etat qu'en 2022. D'où sa volonté d'amoindrir progressivement le bouclier, afin de soulager les finances publiques.

Deux blocs de coûts

Pour le comprendre, il faut se plonger dans la manière dont est déterminé le fameux TRVe, payé directement par 21 millions de foyers (mais aussi indirectement par de nombreux autres, à travers des offres indexées), et sur lequel se base le gouvernement pour geler les prix. Concrètement, celui-ci est suggéré par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui propose chaque année, en février, un montant à appliquer sur les douze prochains mois. Une fois ce tarif calculé, celui-ci n'est donc pas réévalué avant le mois de février suivant, en-dehors des légères modifications en août, liées à aux coûts d'acheminement du courant.

Or, ce TRVe figé ne reflète pas directement les coûts de production de l'électricité. Mais obéit à une formule complexe, construite notamment à travers deux blocs de coûts. Le premier correspond à la part « ARENH », pour Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, un dispositif qui permet aux opérateurs autres qu'EDF de lui acheter un certain volume à prix cassés. En effet, en 2010, la production nucléaire s'élevant à environ 400 TWh par an en France, il a été décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient accéder à prix coûtant à 25% de celle-ci, afin de maintenir une concurrence que certains qualifient d'artificielle. Pour leur permettre de jouer à armes égales avec l'opérateur historique, le plafond a ainsi été fixé à 100 TWh.

« Chaque client d'un fournisseur alternatif lui donne ainsi droit, en théorie, à 67% d'ARENH », soulignait il y a quelques mois à La Tribune Jacques Percebois.

Mais ces dernières années, le nombre de ces commerciaux a explosé, d'ekWateur à Ohm Energy, en passant par Enercoop, Ilek ou encore Octopus Energy. Mécaniquement, le volume d'ARENH requis est donc monté en flèche. Et excède aujourd'hui largement le total disponible ; il a même atteint plus de 160 TWh en 2022, un chiffre qui devrait encore grimper.

Par conséquent, les fournisseurs alternatifs doivent restituer la quantité d'ARENH qui leur est due en principe si celle-ci dépasse le plafond autorisé de 100 TWh. Cette différence, qui se nomme l'« écrêtement », les pousse donc à acheter la production manquante directement sur les marchés, augmentant par là-même leurs coûts d'approvisionnement.

Plus l'écrêtement ARENH est élevé, plus le TRVe gonfle

Et c'est là que le bât blesse : les prix proposés par EDF aux consommateurs et fixés par les pouvoirs publics doivent s'adapter à ces augmentations de coûts. De fait, le TRVe ne se construit pas indépendamment du marché de gros de l'électricité : à chaque fois que la part achetée par les concurrents d'EDF hors ARENH croît, « on revalorise aussi la part indexée au marché de gros dans le TRV », explique Jacques Percebois. C'est le deuxième bloc de coûts, appelé « complément marché ».

« Pour faire en sorte que l'électricien historique ne dispose pas d'un avantage trop fort, le volume d'ARENH demandé par les alternatifs au-delà du plafond autorisé [le fameux écrêtement, ndlr], se répercute sur le TRV, afin qu'il soit contestable par les concurrents d'EDF. En fait, ce ne sont pas les concurrents qui s'adaptent au TRVe, mais le TRVe qui s'adapte à la structure de prix des concurrents » poursuit l'économiste.

Autrement dit, la part du complément marché assumée par les autres fournisseurs, c'est-à-dire la quantité d'électricité qu'ils auront à acheter sur les marchés du fait du manque d'ARENH, se trouve artificiellement répliquée dans le TRVe, et donc dans la facture des consommateurs. Pour parfaire la symétrie, cette part est calculée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur la base des prix spot (établis par les bourses le jour J pour le lendemain) des 24 derniers mois.

Lire aussiQuel sera vraiment l'impact du relèvement du plafond de l'ARENH sur les consommateurs ?

Transfert de charge d'EDF vers le consommateur

Ainsi, le montant du TRVe, calculé en février dernier par la CRE, ne dépend ni directement des coûts de production d'EDF, ni de l'évolution actuelle des cours du marché. Mais plutôt de l'écrêtement ARENH et des cours observés lors des deux années précédentes. Or, sur ces deux segments, l'année 2023 reste celle de tous les records.

Pour le premier, l'écrêtement promet logiquement d'exploser en 2023. Et pour cause, face à l'envolée des cours, le gouvernement avait décidé début 2022 d'augmenter la part d'ARENH à accorder aux fournisseurs alternatifs, passant de 100 à 120 TWh, afin de limiter l'écrêtement et donc la flambée des coûts d'approvisionnement. Ce qui faisait reposer une bonne partie de la charge sur EDF, plutôt que directement sur le budget de l'Etat ou les consommateurs. Mais cette dérogation, baptisée « ARENH+ », n'a pas été reconduite cette année. Ce qui, logiquement, a considérablement tiré à la hausse la part du complément marché. Laquelle a d'ailleurs explosé sur les douze derniers mois, tant 2021 et 2022 ont enregistré des records historiques de prix.

C'est d'ailleurs pour cette raison que la CRE a proposé une hausse de 35% du TRVe en février 2022, au plus fort de la crise de l'énergie...contre +100% en février 2023, pourtant en pleine accalmie.

Des évolutions incertaines

Evidemment, ces montants n'ont pas été ceux retenus par le gouvernement. C'est d'ailleurs le principe même du bouclier tarifaire : ces TRVe théoriques sont en réalité remplacés par un tarif artificiel, gelé à un niveau bien inférieur, grâce à des aides financières de l'Etat. Mais c'est également pour cette raison que l'exécutif a décidé de transférer progressivement la charge sur les consommateurs en 2023, celle-ci étant de plus en plus difficile à absorber par la puissance publique.

De quoi interroger sur la suite, alors que l'écrêtement ARENH continuera probablement d'être très élevé en 2024, gonflant par là même la part du complément marché dans le TRVe. Bien impuissant face à ce phénomène, le gouvernement espère cependant trouver son salut dans une baisse continue des prix de marché sur toute l'année 2023, à partir desquels la CRE calculera, en partie, le tarif qui devrait théoriquement s'appliquer en février prochain. Celui-ci promet néanmoins d'être élevé, puisqu'il se basera à nouveau, entre autres, sur les prix de marché des 24 derniers mois. C'est-à-dire 2023 mais aussi 2022, l'année de tous les records.

Lire aussiBras de fer entre l'Etat et EDF sur les futurs prix de l'électricité

Marine Godelier

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Commentaires 11
à écrit le 25/07/2023 à 18:26
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tout nos dirigeants sont hors sol ..seule gens modeste loyer 50% edf et gdf 35 % ainsi que toute les charges d' un ménage ..assurance ..augmentation alimentation ..++++++++ découvert tout les mois 600 euros ...nos dirigeants ils gaspillent et pilla...

à écrit le 23/07/2023 à 12:23
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Il y a til un plus bel exemple de la non souveraineté de la France ? Rester dans le marché du prix de électricité Européen, pour faire plaisir à Berlin, quand le Portugal et l'Espagne sont sortis ? Sur le papier, nous avons l'électricité la moins ...

le 24/07/2023 à 0:12
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BRAVO....!

à écrit le 23/07/2023 à 10:35
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Les énergies sont le grand jeux des politiciens. Chacun nous raconte sa salade une fois le Président , la Première ministre et les archanges de l'intelligence!!!économique M.Le Maire et l'ex M.Attal aussi connaisseurs du sujet que le comptoir du bist...

à écrit le 21/07/2023 à 22:12
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Je vais le redire une fois. Les prix de l'électricité ne descendront pas à l'avenir car EDF va focaliser ses investissements dans le parc nucléaire français. Macron aura réussi un coup de maître avec l'accord entre les 27 sur la directive "RED III" e...

le 22/07/2023 à 8:36
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faux raisonnement le prix de l'electricite a augmente suite a la destruction du nucleaire allemand et comme l'ordonne bruxelles il remplacera le petrole et alors il faut bascule toute les taxes petroliere sur l'electricite pour que les etats pui...

le 22/07/2023 à 14:16
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@Ludwig. Faux raisonnement? C'est un fait qui dérange, ni plus ni moins!

le 24/07/2023 à 0:10
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Pour votre information, le nucléaire existant , 56 réacteurs à été finance par EDF seule et pas par l ETAT ! Alors que au bout de 20 ans, les abonnés subventionnent toujours le solaire et l eolien : CSPE , TCIPE...des milliards tous les ans

le 24/07/2023 à 10:21
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L’état est redevenu majoritaire et peu imposer ces tarifs. Baisser les prix rendrait le bouclier tarifaire inutile et il couterait plus rien... Quand a l'état et les 70% de taxe sur l'électricité il a pas grand chose a nous reprocher. Qu'il commence ...

à écrit le 21/07/2023 à 18:36
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"De quoi, à première vue, permettre d'enclencher une baisse des factures payées par les consommateurs." J'ai plus d'un demi siècle et les factures d'électricité n'ont jamais baissé... toujours à la hausse !

le 21/07/2023 à 20:12
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"une baisse des factures " ah ah hi hi, il ne faut pas rêver. Le gaz peut (et a déjà perdu des % mois après mois, avant d'en reprendre) mais l'électricité, comment l'espérer ? Y a l'entretien des installations en place, leur modernisation voire destr...

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