L’IA, ennemie ou alliée de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Le boom de l'utilisation de services reposant sur une intelligence artificielle générative, comme ChatGPT, engendre une hausse considérable de la consommation énergétique. Au-delà de la seule empreinte carbone des modèles d'IA, au demeurant très difficile à calculer en raison d'un manque de transparence, ces derniers peuvent être utilisés pour des applications nuisibles à la planète. Dans d'autres cas, l'IA peut aussi être employée au service de la transition énergétique et plusieurs greentech tricolores s'illustrent déjà dans ce domaine.
Juliette Raynal
En 2027, l'intelligence artificielle pourrait consommer 85 à 134 térawattheures (TWh) d'électricité, soit une consommation équivalente à celle de l'Argentine ou de la Suède
En 2027, l'intelligence artificielle pourrait consommer 85 à 134 térawattheures (TWh) d'électricité, soit une consommation équivalente à celle de l'Argentine ou de la Suède (Crédits : Unsplash License - Karsten Würth)

En 2027, l'intelligence artificielle pourrait consommer 85 à 134 térawattheures (TWh) d'électricité, soit une consommation équivalente à celle de l'Argentine ou de la Suède ! C'est l'une des principales conclusions de l'étude « The growing energy footprint of artificial intelligence », publiée fin 2023 dans la revue scientifique Joule. Même si ces données doivent être prises avec des pincettes selon plusieurs observateurs, elles ont le mérite de souligner l'enjeu croissant de l'empreinte carbone des modèles d'intelligence artificielle à l'heure où les usages des IA génératives ont explosé (ChatGPT compte désormais 180 millions d'utilisateurs actifs) et où, dans le même temps, les géants américains ont cessé de communiquer sur la consommation énergétique de ces modèles algorithmiques.

Absence de transparence

Interrogée sur ce point par le site d'information américain The Verge, Judy Priest, directrice technique de l'innovation et des opérations cloud chez Microsoft, a simplement indiqué que l'entreprise « investit actuellement dans le développement de méthodologies pour quantifier la consommation d'énergie et l'impact carbone de l'IA, tout en travaillant sur les moyens de rendre les grands modèles plus efficaces, tant au niveau de l'entraînement que de de son utilisation... » Meta et Open.AI, l'éditeur de ChatGPT, restent, pour leur part, totalement muets.

L'américain Nvidia, grand fabricant de GPU, ces processeurs graphiques indispensables à l'entraînement des meilleures IA, reste également taiseux sur l'empreinte carbone de ses puces. « Il y a donc un trou dans l'analyse du cycle de vie de l'IA qu'on ne peut pas combler », estime ainsi Sasha Luccioni, responsable climat au sein de la startup canadienne Hugging Face et co-autrice d'une étude sur l'empreinte écologique de l'IA, dans une interview accordée à Radio Canada.

Cette absence de transparence de la part des grandes plateformes est très problématique compte tenu de l'immense popularité des applications reposant sur ces IA génératives, capables de produire du texte et des images à partir de simples demandes en langage courant. Ces IA présentent, une vraie rupture dans l'histoire du numérique en matière de consommation énergétique. En effet, alors que les premiers modèles d'intelligence artificielle spécialisée capables de faire des prédictions, des classifications, ou encore de la reconnaissance de textes, présentaient une consommation proche des outils numériques classiques, celle liée aux modèles d'IA générative est d'une toute autre dimension.

Une requête ChatGPT dix fois plus énergivore qu'une simple recherche

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), une simple recherche sur Google consomme 0,3 wattheure d'électricité, tandis qu'une requête ChatGPT en consomme presque dix fois plus ! Cet immense gap tient à plusieurs facteurs. D'abord, les IA génératives doivent s'entraîner sur des quantités de données bien plus faramineuses que les IA spécialisées. Ensuite, il semblerait que ces IA polyvalentes combinent justement plusieurs étages d'intelligences artificielles expertes, explique Sasha Luccioni à nos confrères du Monde. Ainsi, si ChatGPT était intégré aux 9 milliards de recherches effectuées quotidiennement sur Google, la demande d'électricité mondiale augmenterait de 10 térawattheures par an, estime l'agence.

D'après l'AIE, la consommation d'électricité de l'IA, des crypto-monnaies et des data centers réunis pourrait doubler d'ici à 2026, passant de 460 térawattheures (TWh) en 2022, soit peu ou prou l'équivalent de la consommation électrique en France, à plus de 1.000 TWh. Or, si dans certains pays, comme la France, la production électrique est très décarbonée, à l'échelle de la planète, elle repose encore largement sur les énergies fossiles très émettrices de CO2, principal gaz responsable du réchauffement climatique. Ainsi, en 2022, les énergies fossiles ont encore compté pour un peu plus de 60% de la production mondiale d'électricité, selon les dernières données compilées par le groupe de réflexion Ember.

Des applications qui nuisent à la planète...

Mais, au-delà de sa propre empreinte carbone, la question du champ d'application de l'intelligence artificielle pose aussi question. En 2019, la major pétrolière ExxonMobil avait ainsi annoncé que la plateforme cloud Microsoft Azure, qui s'appuie sur l'IA pour certaines tâches, lui permettrait d'optimiser ses opérations d'extraction et ainsi augmenter sa production de 50.000 barils d'équivalent pétrole par jour. Dans ce cas concret, l'IA de la firme de Redmond est donc directement utilisée pour accélérer la production de combustibles fossiles. Dans un tout autre domaine, le géant chinois de la fast fashion Shein, décrié pour ses impacts environnementaux et sociaux, s'appuie sur des algorithmes d'intelligence artificielle pour développer toujours plus vite de nouvelles références (quelque 7.200 nouveaux vêtements sont, en moyenne, ajoutés chaque jour au catalogue), mais aussi pour doper ses ventes en poussant ses références de manière très ciblée sur les réseaux sociaux.

Toutefois, les modèles d'intelligence artificielle peuvent aussi être utilisés au service de la lutte contre le réchauffement climatique. « L'impact environnemental de l'IA doit aussi être mis en regard de ses potentiels bénéfices », note ainsi le rapport remis par la commission interministérielle sur l'intelligence artificielle générative à Emmanuel Macron, le 14 mars dernier. « Grâce à la capacité d'optimiser des processus complexes, l'IA pourrait permettre de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre dans de nombreux secteurs : énergie, transports, agriculture, logement... », écrivent ses auteurs Anne Bouverot et Philippe Aghion.

...et d'autres au service de la transition écologique

En France, plusieurs greentech se sont d'ailleurs déjà emparées de cette technologie. Deepki, par exemple, utilise l'IA pour mesurer et réduire les consommations énergétiques des bâtiments. Même approche pour la startup Metron, qui cible plus particulièrement l'industrie, le troisième secteur le plus émetteur de CO2 à l'échelle de la planète, après la production d'électricité et les transports. De son côté, Kayrros s'appuie sur l'IA pour détecter les fuites de méthane, deuxième plus important gaz à effet de serre lié à l'activité humaine après le CO2, mais dont le pouvoir de réchauffement est 28 fois plus important sur un horizon de 100 ans.

La jeune pousse Altaroad, elle, utilise l'IA pour aider le secteur du BTP à optimiser la gestion des déchets. « Des entreprises utilisent aussi l'intelligence artificielle pour développer de nouveaux matériaux comme Materrup ou encore Lactips, qui crée un matériel qui remplace le plastique », faisait ainsi valoir Clara Chappaz, présidente de la mission French Tech, lors de l'événement Tech For Future, organisé jeudi dernier par La Tribune.

La France peut-elle devenir « un pionnier de l'IA pour la planète » ? C'est en tout cas ce que préconisent les auteurs du rapport, qui appellent à renforcer la transparence environnementale de l'IA, la recherche dans des modèles à faible impact et l'utilisation de l'IA au service des transitions énergétique et environnementale.

Juliette Raynal

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Commentaires 8
à écrit le 30/03/2024 à 17:11
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Si elle peut résoudre l'instabilité de Velnikov alors je la vénérerai. Pour l'instant c'est elle qui m'vénère !

à écrit le 30/03/2024 à 11:51
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C'est surtout le rabaissement de l'intelligence humaine qui veut se décharger de ses propres erreurs en continuant à en faire ! ;-)

à écrit le 30/03/2024 à 11:50
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C'est surtout le rabaissement de l'intlligence humaine qui veut se décharger de ses propres erreurs en continuant à en faire ! ;-)

à écrit le 30/03/2024 à 11:17
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Quelle question sans interet... La lutte contre le rechauffement est morte depuis longtemps, tout le monde se fiche du rechauffement climatique

le 30/03/2024 à 11:46
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le réchauffement est une absurdité une manipulation il y a des variations du climat que la terre a toujours connu. mais l'homme du 21 iéme siècle souhaite le manipuler pour prélever des richesses a ces semblables voir escroquer ces contemporains et...

le 30/03/2024 à 13:06
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Les changements climatiques ont toujours existé, la terre a connue 7 extinctions de masse dont beaucoup étaient du au climat. On ne fait qu'accélérer l'inévitable. Maintenant faut voir le bon côté, si on éteint la principale espèce virus de la planèt...

à écrit le 30/03/2024 à 11:12
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Derrière l'IA il y a d'énormes datacenters où sont stockés les données et qui sont très consommateurs d'énergies .

à écrit le 30/03/2024 à 9:45
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Tout dépendra de ce que ses propriétaires en feront. Et si un jour une véritable intelligence émerge et bien elle y réfléchira et on en pourra en parler avec elle au moins. Bref nous avons intérêt à l’avènement d'une nouvelle intelligence du fait de ...

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