La très controversée réforme de la sûreté nucléaire définitivement adoptée par le Sénat

La réforme de la sûreté nucléaire, qui prévoit la création d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, a été adoptée par le Sénat dans la nuit de mardi à mercredi. Un texte vivement contesté, ses détracteurs pointant le risque d'une « désorganisation » du système et d'une perte d'indépendance.
Poussée par l'exécutif, la réforme controversée de la sûreté nucléaire a été définitivement adoptée dans la nuit de mardi à mercredi par un ultime vote favorable du Sénat (photo d'archives).
Poussée par l'exécutif, la réforme controversée de la sûreté nucléaire a été définitivement adoptée dans la nuit de mardi à mercredi par un ultime vote favorable du Sénat (photo d'archives). (Crédits : DR)

C'est bientôt la fin d'un véritable feuilleton dans le secteur du nucléaire français. Poussée par l'exécutif, la réforme controversée de la sûreté nucléaire a été définitivement adoptée dans la nuit de mardi à ce mercredi par un ultime vote favorable du Sénat, après avoir franchi l'obstacle de l'Assemblée au terme d'un parcours chahuté au Parlement.

« Avec ce texte, nous permettons à nos talents de se concentrer sur les enjeux prioritaires de sûreté tout en conservant nos exigences en la matière », s'est réjoui le ministre de l'Industrie Roland Lescure après les votes.

Dans le détail, ce projet de loi prévoit la création en 2025 d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue du rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui emploient respectivement environ 530 et 1.740 agents. Le gouvernement estime que la fin d'un système dual permettra de « fluidifier » le secteur, en pleine relance de l'atome, en réduisant les délais d'expertise et d'autorisation d'installations.

Lire aussiAvenir de la sûreté nucléaire : des débats décisifs et survoltés attendus à l'Assemblée nationale

Le RN change d'avis

Cette fusion a donc été validée sans surprise par les sénateurs, à 233 voix contre 109, achevant l'examen de ce projet de loi gouvernemental. Le suspense avait été levé un peu plus tôt dans la journée par l'adoption large des députés (340 voix contre 173) avec le soutien du camp présidentiel, de la droite et celui, cette fois, du Rassemblement national, qui s'y était opposé le mois dernier en première lecture.

De quoi éteindre les espoirs du camp des opposants, composé des groupes de gauche, qu'ils soient pro ou antinucléaires, et des indépendants de Liot. Sans les voix du RN, le texte n'était passé qu'à un cheveu en première lecture, à 260 voix contre 259.

Et si le député RN Nicolas Dragon a justifié une réforme qui « permettra d'accélérer la construction de nouveaux réacteurs », « même si le texte reste imparfait », ce changement de position n'a pas manqué d'agacer : « C'est catastrophique ou très éclairant sur votre incompétence », a ainsi lancé au RN le député Liot Benjamin Saint-Huile, qualifiant ses membres de « girouettes ».

Lire aussiAvenir de la sûreté nucléaire : des débats décisifs et survoltés attendus à l'Assemblée nationale

Une réforme vivement critiquée

Car selon ses détracteurs, cette réforme risque de provoquer une « désorganisation » du système et jeter le doute sur l'indépendance des décisions de la future entité unique. Ils alertent notamment sur le risque de désorganisation du système, de perte d'indépendance des experts et de transparence à l'égard du public.

Le débat parlementaire « nous a prouvé une fois de plus combien ce projet ne répond à aucune justification technique ou scientifique », a estimé de son côté le député communiste Sébastien Jumel. Le rapporteur à l'Assemblée, Jean-Luc Fugit (Renaissance), a, lui, tenté de convaincre les oppositions des garanties apportées par le texte final. L'autorité unique « sera surveillée comme le lait sur le feu », fait-il valoir, soulignant qu'elle devrait présenter son projet de règlement intérieur aux parlementaires.

Lire aussiNucléaire : la France s'attaque au sujet brûlant des financements internationaux

Un amendement adopté en fin de navette parlementaire prévoit par ailleurs « pour chaque dossier » une distinction entre le personnel chargé de l'expertise et celui chargé d'une décision, l'un des points les plus discutés. Mais « un même agent pourrait intervenir en tant qu'expert sur un dossier une semaine, puis prendre la casquette de décisionnaire la semaine suivante sur un autre », déplore la députée socialiste Anna Pic,

« Je n'ai jamais vu un expert capable de décider et je doute fort de la capacité d'un décideur à développer des expertises pointues », s'est également inquiété le sénateur Raphaël Daubet (Parti radical de gauche). « Changer ainsi de casquette me paraît dangereux ».

Réorganiser la sûreté nucléaire tel que l'envisage le gouvernement français est « une faute politique », estimait début avril Jean-Yves Le Déaut. Cet ancien député socialiste de Meurthe-et-Moselle est l'un des inspirateurs du système actuel. Il craint une « déstabilisation » du système en pleine relance de l'atome « au moment où on en a le plus besoin ». Parmi les autres craintes liées au contenu de la réforme, figure en premier lieu celle d'un appauvrissement de la recherche. Un risque induit par les « conflits d'intérêts » que ne manquerait pas de provoquer la réorganisation.

Les syndicats dans la rue

Le projet, auquel s'opposent nombre d'élus, d'ingénieurs et d'associations, a aussi provoqué l'ire des syndicats des deux entités. Dans la rue pour une huitième fois mardi, les salariés de l'IRSN ont appelé les députés à s'y opposer. « IRSN démantelé, sûreté en danger », « mariage forcé, accident assuré », lisait-on sur les panneaux dans le cortège.

L'intersyndicale a reçu le soutien des trois confédérations des syndicats représentatifs de l'IRSN. Le texte issu de la CMP « fait croire qu'il y a une distinction entre experts et décideurs mais elle n'est pas suffisante », a indiqué Névéna Latil-Querrec (CGT), de l'intersyndicale de l'IRSN.

« Il y aura une personne en charge de l'expertise et une personne en charge de la rédaction de la décision, mais rien dans le texte n'oblige à ce qu'il y ait dans la structure des entités distinctes entre l'expertise technique et la décision, ce qui conduira forcément à une même hiérarchie », avertit la représentante de l'intersyndicale.

(Avec AFP)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 10/04/2024 à 15:53
Signaler
Je pense que c'était la dernière chose à faire même si le gouvernement leur imposait de faire un pourcentage d'économie voire de réduire un tantinet le personnel. Il y a bien davantage d'autorités administratives indépendantes, de comités Théodule et...

à écrit le 10/04/2024 à 11:21
Signaler
Ce ne sont pas les outils qui sont importants mais ceux qui les utilisent. Alors oui en théorie il vaut mieux un bon outil qu'un mauvais mais si par malheur comme le nihilisme néolibéral l'impose trop souvent ce osnt les mauvaises mains qui ont l'out...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.