Nucléaire : le gouvernement veut construire « un hub » de recyclage du combustible à La Hague

Confirmant les décisions prises au précédent Conseil de politique nucléaire, les ministres Bruno Le Maire et Roland Lescure ont annoncé la prolongation de la durée de vie des infrastructures actuelles de retraitement des combustibles, situées à La Hague (Manche) et à Marcoule (Gard). Ils ont aussi officialisé le lancement d'études pour construire de nouvelles capacités de retraitement. Une deuxième usine de production de combustibles recyclés dits « Mox » pourrait notamment voir le jour.
Une des quatre piscine de retraitement des combustibles sur le site de La Hague d'Orano.
Une des quatre piscine de retraitement des combustibles sur le site de La Hague d'Orano. (Crédits : STEPHANE MAHE)

C'est un second chantier d'ampleur pour la relance du nucléaire qui s'amorce, après l'annonce début 2022 de la prolongation et du renouvellement des centrales : celui de la gestion de l'aval du cycle, c'est-à-dire des combustibles usés après leur passage en réacteur. En effet, le gouvernement a acté jeudi sa volonté d'investir dans le retraitement et le recyclage de ces matières radioactives, plutôt que de les reléguer toutes comme déchets ultimes. Une décision attendue de pied ferme par la filière, alors que les infrastructures actuelles de retraitement et de recyclage, situées à La Hague (Manche) et à Marcoule (Gard), expireront en 2040.

La durée de vie de ces deux usines va ainsi être étendue au-delà de cette échéance, a annoncé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, aux côtés de son ministre de l'Industrie et de l'Energie Roland Lescure, depuis le site historique du Cotentin, qui emploie quelque 5.700 collaborateurs du groupe Orano.

Vers une deuxième usine de combustibles Mox ?

Ce n'est pas tout. L'exécutif va aussi lancer une étude pour construire une nouvelle usine de retraitement des combustibles usés sur le site de La Hague d'ici à 2045-2050, ainsi que des études pour construire une nouvelle usine de fabrication de combustibles recyclés Mox (pour mixed oxyds, fabriqués à partir de plutonium et d'uranium appauvri issus des matières utilisées une première fois en centrale).

« Nous créons ici (...) un hub du recyclage et de retraitement des combustibles nucléaires qui va une fois de plus faire briller la région et le territoire », s'est félicité Roland Lescure.

« La partie visible de l'iceberg, ce sont les six EPR. Mais il y a un deuxième élément clé : avoir la maîtrise de l'intégralité du cycle », a souligné Bruno Le Maire. Ces futures usines visent à « renforcer notre souveraineté et à réduire les importations d'uranium », a-t-il ajouté.

Pour l'heure, les deux ministres se sont refusés à communiquer les montants d'investissements que pourrait nécessiter la construction de ces nouvelles infrastructures. Mais ce type de projet se compte généralement en milliards d'euros. Le calendrier prévisionnel de ces études reste également confidentiel.

La production se redresse à Marcoule

A terme, la France pourrait donc compter deux usines de production de Mox, une première infrastructure étant déjà en fonctionnement sur le site Orano de Marcoule, dans le Gard. Celle-ci s'était toutefois heurtée à des difficultés opérationnelles d'ampleur à partir de 2015, en raison de modifications dans le procédé industriel. Grâce à de lourds investissements, la production s'est peu à peu redressée pour s'établir à 83 tonnes en 2023. Un niveau qui reste toutefois en-deçà des meilleurs crus où la production a pu atteindre 125 tonnes par an. L'industriel français espère passer la barre des 100 tonnes par an à l'horizon 2025.

Pour mémoire, la production de Mox nécessite d'extraire, dans un premier temps, le plutonium issu des combustibles usés (soit 1% de la matière totale), puis de l'associer à de l'uranium appauvri. Chaque année, Orano extrait environ 10 tonnes de plutonium en vue de fabriquer, théoriquement, 100 tonnes de combustible Mox. Ces combustibles recyclés sont ensuite réintroduits dans certains réacteurs nucléaires d'EDF pour produire de l'électricité.

La piste du « multi-recyclage » à l'étude

Par ailleurs, le gouvernement pourrait aller plus loin, en investissant dans le « multi-recyclage ». Et pour cause, la stratégie actuelle, dite de mono-recyclage, engendre un accroissement des Mox, et donc du plutonium sur le sol français. Après un passage en centrale, ceux-ci ne sont pas réutilisés une nouvelle fois car il n'existe pas, aujourd'hui, de procédé industriel à grande échelle pour réaliser cette opération. Des centaines de tonnes de Mox déchargées chaque année restent ainsi entreposées dans les piscines d'Orano pour une durée indéterminée, en attente d'une décision sur leur retraitement, ou non, à un horizon beaucoup plus lointain. C'est d'ailleurs ce Mox « intraitable » qui est responsable de l'engorgement croissant des piscines de La Hague.

Dans le cas du « multirecyclage », même les Mox usés seraient réutilisés. « On les repasserait dans une usine de retraitement pour en extraire à nouveau le plutonium, afin de les repasser une nouvelle fois en centrale. Il y a des ajustements à faire pour que ce plutonium conserve une qualité suffisante, mais des recherches ont démontré que c'était faisable, au moins sur toute la durée de vie d'un futur parc de réacteur EPR2, c'est-à-dire quasiment jusqu'à la fin du siècle », explique François Sudreau, chef du programme cycle nucléaire au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette stratégie permettrait d'économiser environ 40% d'uranium naturel, selon le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), contre environ 20% avec le mono-recyclage.

Des réacteurs à neutrons rapides pour fermer le cycle

Mais pour réellement économiser les matières premières, la seule option possible serait la fermeture du cycle grâce à des réacteurs à neutrons rapides. Concrètement, ce type de machine pourrait exploiter les 330.000 tonnes d'uranium appauvri entreposé en France, mais également le fameux plutonium. Surtout, une telle installation fabriquerait autant de plutonium qu'elle en consomme lors de la fission des atomes pour générer de l'électricité. Par conséquent, il n'y aurait plus besoin d'importer de l'uranium naturel pour faire tourner le parc atomique.

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Commentaire 1
à écrit le 08/03/2024 à 11:19
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La fermeture du cycle grâce à des réacteurs à neutrons rapides doit devenir la priorité pour un pays avec un nombre record de réacteurs: c'est le seul moyen de rendre soutenable la gestions des déchets nucléaires. Cette évidence n'a pas empêché nos...

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