Dans le monde du nucléaire, la date du 11 mars est connue de tous. Elle correspond à l'accident de Fukushima, survenu le 11 mars 2011 au Japon, après qu'un terrible tsunami ait frappé l'archipel. Treize ans plus tard, la date du 11 mars pourrait, de nouveau, marquer l'histoire du nucléaire. Non pas à l'échelle mondiale cette fois-ci, mais de la France. Et pour cause, des débats décisifs et, très probablement houleux, auront lieu ce soir à l'Assemblée nationale. Selon leur issue, ils pourraient acter la fusion entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme du secteur qui prend notamment des décisions sur l'arrêt et le redémarrage des réacteurs, et son bras technique : l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), au sein d'une entité commune : « Tout va se jouer ce soir », reconnaît François Jeffroy, délégué syndical CFDT à l'IRSN, visiblement stressé.
En mars dernier, ce projet de fusion avait été retoqué par le Parlement alors qu'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, avait tenté de le faire voter dans le cadre d'un amendement au projet de loi d'accélération du nucléaire. Un an plus tard, l'exécutif remet le couvert. Or, si le ministre chargé du projet de loi a changé (c'est désormais Roland Lescure qui défendra le texte devant les députés), les oppositions restent, elles, très nombreuses.
L'article 1er du projet de loi, qui porte sur la création même de la future autorité unique, a ainsi été supprimé la semaine dernière lors de l'étude du texte en commission.
Rejet parlementaire au printemps dernier
Pour mémoire, ce projet de réforme controversé a été décidé il y a un peu plus d'un an par l'Elysée, à la surprise quasi générale. L'objectif pour l'exécutif est de créer une autorité unique « plus forte, plus indépendante, plus transparente et plus attractive », afin de faciliter la relance du nucléaire, qui prévoit notamment la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR 2, mais aussi le développement de nouveaux petits réacteurs modulaires. La future nouvelle entité doit ainsi permettre de fluidifier les processus d'examen.
De son côté, l'intersyndicale s'oppose farouchement à cette fusion, qui doit donner naissance à l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection et (ASNR). Comme plusieurs experts et élus, elle redoute une perte d'indépendance et une moindre transparence alors que le projet prévoit de réunir au sein d'une même entité l'étape d'expertise et celle de prise de décision. Deux phases qui sont aujourd'hui clairement séparées et qui font l'objet de publications distinctes.
Une bataille en deux manches
Ce soir, l'examen du texte débutera par deux débats décisifs pour les deux parties. Au menu : un vote sur une motion de rejet du projet de loi déposée par le député Benjamin Saint-Huile (Liot). Si une telle motion est adoptée, cela mettra, de facto, un terme au débat parlementaire. Une étape qui ne semble pas inquiéter le gouvernement. « C'est désormais un parcours législatif assez classique pour un texte », relativise l'entourage de Roland Lescure.
Le second temps fort de la soirée portera sur la réintroduction de l'article 1er du projet de loi. De nombreux amendements portés par les députés de la majorité et LR sont attendus en ce sens. Il s'agit des amendements 331, 152, 156, 198, 220 et 234. « Si la motion de rejet n'est pas adoptée et si l'article 1 est réintroduit, nous aurons perdu la bataille », admet François Jeffroy. L'objectif sera alors de « sauver les meubles », poursuit-il, en faisant voter plusieurs amendements portant sur le statut de la nouvelle autorité, la garantie d'une séparation entre experts et décideurs ou encore sur l'organisation relative à la sécurité des installations nucléaires civiles.
Le gouvernement confiant, la majorité mobilisée
Le gouvernement se montre confiant sur ses chances de remporter cette séquence cruciale. « La majorité est fortement mobilisée et sera très présente en hémicycle à partir de 18 heures. Nous sommes plutôt confiants sur l'avenir du texte », a expliqué l'entourage de Roland Lescure à la presse, en milieu d'après-midi. « Le ministre s'est particulièrement impliqué pour que l'examen de ce texte se déroule dans de bonnes conditions. (..) Dès sa nomination, il a consulté l'ASN et l'IRSN, les syndicats et l'ensemble des groupes parlementaires », fait-on valoir.
Le cabinet du ministre souligne également « les travaux » menés pendant un an, s'appuyant notamment sur le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), « qui ont permis d'aller au bout de l'implication de cette réforme ».
« Nous n'avons pas été entendus »
« Depuis un an, le gouvernement nous a beaucoup vus et écoutés, admet François Jeffroy. Mais nous n'avons pas été entendus », rétorque-t-il, estimant que la plupart des craintes initiales n'avaient pas été éludées. L'intersyndicale, qui espère encore remporter la bataille ce soir, mise sur l'ensemble des partis de gauche, y compris le parti communiste, favorable à la relance du nucléaire. Elle a multiplié les mobilisations au cours des dernières semaines pour alerter l'opinion publique. « Les 8 février et 5 mars derniers, entre 600 et 700 salariés de l'IRSN ont manifesté », pointe le représentant syndical de l'institut, qui emploie quelque 1.700 salariés. « La CFDT de l'ASN avait également appelé à la mobilisation et des syndicats du CEA [Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ndlr] d'EDF et de l'Andra [l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, ndlr] étaient aussi présents », pointe-t-il. Il redoute « une grande déception des salariés qui conduirait à une désorganisation du système », si l'article 1er était réintroduit.
Alors que le texte a été adopté en première lecture au Sénat, les débats en séance publique à l'Assemblée nationale devraient se poursuivre jusqu'à mercredi soir. Le vote solennel est, lui, prévu mardi 19 mars. Une commission mixte paritaire devrait ensuite être convoquée avant l'été. Dans le cas où le projet de loi était voté, l'exécutif table sur une mise en œuvre de la réforme au 1er janvier 2025. Il promet alors un renforcement des moyens de la future autorité et s'engage d'ores et déjà sur « un unique programme budgétaire associé à cette autorité », qui lui confèrera de « meilleures dispositions pour négocier les budgets » ainsi qu'une « meilleure visibilité ».
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