Le gouvernement vide la loi sur la souveraineté énergétique de sa substance

Censé donner le cap énergétique de la France, l'avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique est désormais vidé de sa substance : le volet programmatique, qui fixait notamment des objectifs de déploiement du nucléaire, a tout bonnement été supprimé. Bercy, aux commandes depuis le remaniement, dit vouloir se donner du temps pour trouver un nouveau consensus, notamment auprès de la filière des énergies renouvelables, déçue par la première version du texte. Plusieurs observateurs redoutent, eux, que le gouvernement ne fasse l’impasse sur le débat parlementaire.
L'exécutif justifie cette suppression par les réactions très vives des acteurs des énergies renouvelables à la première version du projet de loi, qui donnait la priorité à l'atome civil dans la production électrique.
L'exécutif justifie cette suppression par les réactions très vives des acteurs des énergies renouvelables à la première version du projet de loi, qui donnait la priorité à l'atome civil dans la production électrique. (Crédits : Reuters)

[Article mis à jour le 17/01/2024 à 19h17]

C'est une nouvelle disparition inquiétante, quelques jours après l'évaporation du ministère de la Transition énergétique : où sont passés les objectifs chiffrés de l'avant-projet de loi « souveraineté énergétique » ? Alors que ce texte, qui devra être présenté en Conseil des ministres « fin janvier-début février », était censé tracer le cap vers une France débarrassée des combustibles fossiles, le titre 1er fixant les objectifs de déploiement des moyens de production décarbonée en 2030 (nucléaire et renouvelables) s'est tout bonnement envolé. Ne restent donc, dans la dernière version, que les volets régulation des prix, protection des consommateurs et régime des barrages hydroélectriques. Autant de sujets annexes ajoutés en cours de route qui éclipsent désormais le nœud du problème : comment passer de 60% d'énergie consommée provenant du pétrole, du charbon et du gaz en France aujourd'hui, à seulement 40% d'ici à 2030 ?

A l'origine pourtant, l'Etat se trouvait dans l'obligation légale de répondre à cette question avant le 31 juillet 2023, en se dotant à cet horizon d'une nouvelle loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC). Une ambition d'ailleurs réaffirmée en novembre 2019 sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, alors même qu'il était prévu à l'époque de tourner progressivement le dos au nucléaire.

« Cette démarche visait à mettre le Parlement au cœur des discussions sur la transition énergétique, en privilégiant une approche politique plutôt qu'exclusivement technique », explique-t-on à la Commission des affaires économiques du Sénat.

Or, non seulement ce rendez-vous n'a pas été honoré à temps, mais les promesses semblent, depuis, tomber les unes après les autres : tandis que l'ex-Première ministre, Elisabeth Borne mais aussi l'ancienne ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, ont récemment assuré qu'il s'agirait de l'un des premiers textes examinés en 2024, difficile de savoir aujourd'hui quand cette loi sera présentée...et même si elle existera bel et bien.

Lire aussiAgnès Pannier-Runacher : « Il faut du nucléaire au-delà des six premiers EPR »

Inquiétudes de l'opposition

Car le projet de loi « souveraineté énergétique » ainsi vidé de sa substance reste à l'ordre du jour, selon Matignon, et suivra donc la navette parlementaire. Et ce, sans que personne ne sache quand les sujets principaux qu'elle devait traiter seront abordés. « Les consultations [avec le Conseil national de la transition écologique et le Conseil économique social et environnemental entre autres, ndlr] ont montré l'intérêt de prendre davantage de temps pour trouver le juste équilibre entre les différents leviers de notre politique énergétique », se contente-t-on d'expliquer au ministère de l'Economie et des Finances, qui a récupéré l'énergie dans son portefeuille après le remaniement de jeudi dernier. Mais la justification peine à convaincre l'opposition.

« Dire que le titre 1er d'un texte n'est pas son objectif principal, c'est se moquer du monde. Pour être un minimum cohérent, il aurait fallu reporter la loi dans son ensemble », réagit auprès de La Tribune le député de Seine-Maritime Gérard Leseul (Socialistes et apparentés).

« Nous attendons ça depuis 2 ans, et le gouvernement sort des brouillons successifs. Présenter un texte non bâclé d'ici à la fin du mois alors qu'on ne sait même pas qui s'occupe de l'énergie aujourd'hui au gouvernement, c'est intenable », ajoute le député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger (LR), président de la Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ayant rendu ses conclusions l'an dernier. « C'est le flou total. On a l'impression que les priorités de ce gouvernement ne sont pas celles du précédent », renchérit le sénateur du Gers Franck Montaugé (groupe Socialiste, Écologiste et Républicain).

« La définition de nos objectifs énergétiques doit être le fruit d'un processus parlementaire, démocratique et ouvert, et non d'une démarche technocratique, en huis clos. C'est la clé pour relever les défis de la décarbonation et de la réindustrialisation », affirme de son côté le sénateur des Vosges Daniel Gremillet (LR), rapporteur de la loi Énergie-Climat de 2019 et président du groupe d'études « Énergie ».

Lire aussiRemaniement : pourquoi Bercy a récupéré l'énergie dans son portefeuille

Loi ou simple décret ?

De son côté, l'exécutif justifie cette suppression par les réactions très vives des acteurs des énergies renouvelables à la première version du projet de loi, qui donnait la priorité à l'atome civil dans la production électrique. De fait, le texte assignait plusieurs objectifs chiffrés relatifs au renouvellement du parc nucléaire et actait la volonté d'engager la France vers huit réacteurs EPR supplémentaires, en plus des six premiers, tout en mettant en sourdine les objectifs liés au déploiement du solaire et de l'éolien. « Les consultations vont recommencer car nous ne sommes pas satisfaits du volet programmatique. Nous voulons [...] trouver un consensus », souligne ainsi l'entourage de Bruno Le Maire.

Une grande inconnue demeure. Le volet programmatique réintègrera-t-il un véhicule législatif ou sera-t-il totalement relayé au niveau réglementaire via la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), dont la publication du décret est envisagée en juillet prochain ? « Cela n'est pas encore acté », reconnaît l'entourage du patron de Bercy. Cela dépendra « des consultations et des enjeux de calendrier et de process législatif », ajoute-t-on encore.

« Il n'y a plus de boussole »

Pour de nombreux observateurs, la décision est en réalité déjà prise. Le gouvernement souhaiterait évacuer ces objectifs programmatiques, notamment ceux liés aux énergies renouvelables, par voie réglementaire par crainte d'un blocage des élus de droite au Parlement.

« Ils croient savoir ce que nous pensons sans même nous demander. Si l'enjeu est d'obtenir la voix de la droite, il faut peut-être qu'ils commencent à rencontrer la droite ! », réagit Raphaël Schellenberger.

Éliminer la totalité des objectifs de programmation énergétique de la loi, y compris ceux liés au nucléaire, permettrait au gouvernement de présenter un texte législatif moins déséquilibré vis-à-vis des énergies renouvelables. Mais un tel scénario, « affaiblirait énormément l'engagement de la France à mener cette transformation profonde. Il faut absolument un débat parlementaire », insiste Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau action climat (RAC), qui se dit « consternée par ce premier acte concret » du nouveau ministre de l'Energie.

« Cela supprime un cap. Il n'y a plus de boussole. C'est très inquiétant pour l'avenir de la planification écologique et de la transition énergétique de la France », conclut-elle.

Lire aussiProjet de loi souveraineté énergétique : pourquoi le gouvernement met les énergies renouvelables en sourdine

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Commentaires 15
à écrit le 18/01/2024 à 10:47
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Logique ! une telle rente que l'on peut donner casi gratis a ses amis ! et en plus on peut augmenter les coûts pour les citoyens et baisser ceux ci pour les fournisseurs amis qui pourrons spéculer sur un faux marché, ou a la fin, edf est endetté, et ...

le 18/01/2024 à 22:03
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Ni queue ni tête

à écrit le 18/01/2024 à 8:48
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Quelle surprise ! Total et Engie ne vont pas se faire sortir du marché de l'électricité comme ça. La relance du parc nucléaire, avec une électricité à un prix ultra compétitif, est un danger mortel pour les fournisseurs d'électricité à base de renouv...

le 18/01/2024 à 22:04
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C'est EDF (renouvelables) qui a raflé tous les contrats de champs éoliens jusqu'à présent...

à écrit le 18/01/2024 à 8:33
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Avec un décret l'exécutif se limite à consulter et à garder la main, faute de trouver un accord au parlement. Les oppositions doivent intégrer cette réalité ou modifier leurs approches.

à écrit le 18/01/2024 à 7:41
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Souveraineté, liberté, indépendance, autonomie... et même épanouissement, vitalité, dynamisme, intelligence, esprit et-c... sont des mots qui sont étrangers aux larbins des marchés financiers et aux marchés financiers eux-mêmes bien entendu. Nos diri...

à écrit le 17/01/2024 à 19:26
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Où sont maintenant les optimistes béats qui ont crû à un projet irréaliste (dès le départ) piloté par un gouvernement enferré dans une stratégie consistant à vouloir mettre la charrue avant les bœufs?🤣 (Encore un mur des réalités qui, lui, ne triche ...

à écrit le 17/01/2024 à 19:10
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France gagne absolument rien de l'Union Européen je sais pas qu'est-ce que la France fait encore dans l'UE.

le 17/01/2024 à 19:18
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Sortir de l'UE et revenir au franc qui ne ferait que dévaluer qui aboutirait à une inflation galopante et des taux d'intérêt sur la dette (en euros) insoutenable. Entre 1981 et 1984 - 4 dévaluations, inflation 14 %, taux d'intérêt 17 %. Quel beau pro...

le 17/01/2024 à 19:19
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Sortir de l'UE et revenir au franc qui ne ferait que dévaluer qui aboutirait à une inflation galopante et des taux d'intérêt sur la dette (en euros) insoutenable. Entre 1981 et 1984 - 4 dévaluations, inflation 14 %, taux d'intérêt 17 %. Quel beau pro...

le 17/01/2024 à 20:45
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Tous les gouvernements de droite comme de gauche ont été condamnés à 14 dévaluations en France entre 1968 et 1993… que perdurait la France seule face à la Chine ou les usa dans le commerce ? Peanuts .. votre désir est daté des années 70..

le 17/01/2024 à 20:45
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Tous les gouvernements de droite comme de gauche ont été condamnés à 14 dévaluations en France entre 1968 et 1993… que perdurait la France seule face à la Chine ou les usa dans le commerce ? Peanuts .. votre désir est daté des années 70..

le 17/01/2024 à 21:23
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On peux comparer le taux de fecondite en 1981-1984 et maintenent les autres chauses devaluation inflation sont bla bla

le 18/01/2024 à 10:49
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la France non, les milliardaires oui !

le 18/01/2024 à 12:21
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@Marc, si on pouvait dévaluer, on aurait pas le déficit catastrophique du commerce extérieur, la France et les français seraient nettement plus riches...

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