Turbine à hydrogène : une première mondiale prometteuse pour la décarbonation de l’industrie

Sur son site situé près de Limoges, Smurfit Kappa, géant irlandais de l'emballage papier et carton et grand émetteur de CO2, a pu faire fonctionner une turbine industrielle classique uniquement grâce à de l'hydrogène décarboné, en lieu et place du gaz naturel. Une première mondiale, selon Engie qui a œuvré à la mise en place de ce procédé aux côtés de Siemens Energy. A terme, c'est tout le parc tricolore qui pourrait être converti.
Juliette Raynal
La turbine à gaz de Siemens Energy a été adaptée pour fonctionner uniquement à partir d'hydrogène.
La turbine à gaz de Siemens Energy a été adaptée pour fonctionner uniquement à partir d'hydrogène. (Crédits : Siemens Energy)

C'est une nouvelle de bon augure pour la décarbonation de l'industrie. A Saillat-sur-Vienne, un petit village d'à peine 800 habitants à l'ouest de Limoges, dans l'usine de Smurfit Kappa, géant irlandais de l'emballage papier et carton, une turbine à gaz, utilisée pour fabriquer de l'électricité, est parvenue à fonctionner uniquement à partir d'hydrogène décarboné, en lieu et place du gaz naturel, émetteur de CO2. Cette démonstration est notamment le fruit de la coopération de l'allemand Siemens Energy et du français Engie, exploitant de la turbine, dans le cadre du projet européen Hyflexpower.

Initié il y a trois ans, ce dispositif consiste à fabriquer sur ce site industriel de l'hydrogène vert par électrolyse de l'eau, à partir du surplus de production d'énergies renouvelables, de stocker ces toutes petites molécules gazeuses, puis de les restituer sous forme d'électricité pour l'industrie. L'objectif est double. D'abord, valoriser de l'électricité produite par des éoliennes ou des panneaux solaires qui aurait été perdue si elle n'avait pas été stockée, car produite en trop grandes quantités par rapport aux besoins de consommation à l'instant T. Et donc, apporter un service de flexibilité au réseau électrique. Ensuite, faire fonctionner une turbine à partir d'un gaz non émetteur de CO2 pour décarboner un procédé industriel néfaste pour le climat.

Une première mondiale

Les équipes d'Engie revendiquent une première mondiale. « C'est la première fois qu'une turbine à gaz fonctionne en étant alimentée à 100% par de l'hydrogène dans un cadre industriel », fait valoir Frank Lacroix, directeur général adjoint d'Engie, chargé des activités Energy Solutions. L'an dernier, la turbine avait fonctionné avec un mélange d'hydrogène (30%) et de gaz naturel (70%). Le tout, « en maîtrisant les émissions d'oxydes d'azote », nocives pour la santé, qui se forment lors de la combustion à haute température de l'hydrogène. Un impératif réglementaire qui requiert toutefois l'injection de très grands volumes d'eau dans la chambre de combustion.

Dans le détail, Siemens Energy a uniquement changé la chambre de combustion d'une turbine classique pour un « coût raisonnable », selon les propos d'Engie. Il s'agit d'adapter le matériel aux spécificités de l'hydrogène, dont la flamme atteint une température plus élevée que celle du gaz naturel et dont la vitesse de propagation est plus rapide.

Le prochain défi consiste à faire fonctionner cette turbine à hydrogène en cogénération, c'est-à-dire en produisant à la fois de l'électricité et de la chaleur. « Nous n'avons pas identifié de problème majeur pour passer à l'étape de la cogénération », assure Gaël Carayon, directeur du projet Hyflexpower chez Engie Solutions, qui vise un déploiement de cette solution à l'horizon 2030. Cette étape de cogénération est déterminante car elle augmenterait significativement le rendement énergétique de ce procédé alors que sa pertinence économique reste encore à démontrer. Et pour cause : transformer à deux reprises des électrons (pour les convertir en hydrogène, puis de nouveau en courant) conduit forcément à des pertes importantes...

Convertir l'ensemble du parc de turbines existantes

L'idée, à terme, serait d'adapter l'ensemble du parc de turbines existantes, qui demeure relativement conséquent dans l'Hexagone. En 2022, les systèmes de cogénération fonctionnant au gaz naturel représentaient une puissance installée de 2,6 GW électriques, selon les chiffres de l'Association technique énergie environnement (ATEE). C'est peu ou prou la puissance de trois tranches nucléaires. Difficile donc d'imaginer que ces installations continuent à reposer sur des énergies fossiles si la France veut tenir ses objectifs climatiques. Une conversion à l'hydrogène permettrait ainsi de leur donner une seconde vie, « sans avoir à faire table rase de cette technologie éprouvée depuis plus de trente ans », souligne-t-on chez Engie.

Selon Engie, la transformation de ces turbines industrielles de quelques dizaines de mégawatts au plus, préfigure aussi la conversion des centrales à gaz qui, elles, produisent de l'électricité pour alimenter directement le réseau national. « La technologie est la même », assure le directeur général adjoint d'Engie. Seule différence : dans ces centrales électriques fonctionnant au gaz naturel, la turbine est beaucoup plus puissante. Elle se compte en centaines de mégawatts.

L'épineuse adaptation des réseaux d'alimentation

Mais l'adaptation des chambres à combustion est loin d'être le plus grand défi technique. C'est d'ailleurs un domaine sur lequel travaillent les industriels depuis plusieurs années. « Alstom était en pointe sur ce sujet et a vendu cette activité à l'italien Ansaldo », relève Ludovic Leroy, ingénieur d'affaires et formateur dans les industries pétro-gazières. Selon lui, le vrai challenge réside surtout dans l'alimentation de ces turbines et centrales en hydrogène et donc dans l'adaptation du réseau de gaz naturel actuel.

En effet, au-delà des questions de sécurité (l'hydrogène étant hautement inflammable), les tuyaux acheminant le gaz naturel n'ont pas été pensés pour transporter de l'hydrogène, dont les molécules sont si petites qu'elles peuvent se diffuser dans la structure métallique et la fragiliser. Le défi est d'autant plus important que la densité énergétique de l'hydrogène est beaucoup plus faible. Il transmet environ quatre fois moins d'énergie que le gaz naturel. « Cela signifie que pour produire la même quantité d'électricité, il faut multiplier par près de quatre le débit d'hydrogène. Or, les tuyauteries n'ont pas été dimensionnées pour ça », pointe l'ingénieur d'affaires. Autrement dit, des investissements colossaux seront vraisemblablement nécessaires.

Juliette Raynal

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Commentaires 7
à écrit le 14/10/2023 à 0:52
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La croissance verte n'existe pas . Il n'y a que les arbres et les plantes qLui font de la "croissance verte" 😄 Le reste converti la nature en déchet..

à écrit le 12/10/2023 à 13:45
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Contrairement aux détracteurs j'y vois plutôt un prototype expérimental et non opérationnel dont les évolutions peuvent déboucher sur des applications industrielles .C'est le propre de la recherche à l'exemple des labo pharmaceutiques qui investissen...

à écrit le 12/10/2023 à 7:59
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Fabriquer de l'H2 en dégradant de électricité avec un très mauvais rendement (Électrolyse voire Pyrolyse mieux) mériterait de repenser l'utilisation de l'électricité pour ces bidules.

à écrit le 11/10/2023 à 21:46
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A quel prix du Mwh?

à écrit le 11/10/2023 à 21:14
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Autre problème. L'hydrogène cela semble génial comme vecteur (au rendement de production près). Sauf qu'il existe des études qui montre qu'en terme de gaz à effet de serre, cela serait pire que le Co2, le méthane et compagnie. Ce n'est pas le H2 en l...

le 17/10/2023 à 1:44
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C'est un hoax. Le dihydrogene ne stocke pas la chaleur. C'est peut-être l'élément le moins susceptible de réchauffer d'atmosphère de l'univers.

à écrit le 11/10/2023 à 20:30
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"non émetteur de CO2 pour décarboner un procédé industriel néfaste pour le climat." c'est le procédé industriel qui est néfaste pour le climat ? La tournure est bizarre (c'est le CO2, le néfaste ?). "sont si petites qu'elles peuvent se diffuser dans...

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