Prix régulés de l'électricité : pourquoi il est trop tôt pour dire que les factures des particuliers vont baisser

Alors que l’Elysée se félicite d’avoir remporté une « victoire importante » sur le dossier explosif de la réforme du marché de l’électricité, rien n’indique aujourd’hui que les factures des consommateurs particuliers vont baisser. Selon certains observateurs, l’inverse risque même de se produire, alors que le cadre de régulation qui existe aujourd’hui oblige EDF à vendre une partie de sa production à prix cassés. Explications.
Marine Godelier
(Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

La réforme du marché européen de l'électricité va-t-elle alléger les factures des ménages ? C'est en tout cas ce que sous-entend l'Elysée, qui se félicite d'un « nouvel outil pour protéger les consommateurs », après avoir décroché mardi un accord des Etats membres sur la régulation des prix du nucléaire (qui compte pour 70% du mix électrique du pays). Examiné par les eurodéputés depuis jeudi, le texte permettrait en effet à l'Hexagone de bénéficier dans les prochaines années de tarifs attractifs, en échappant aux cours exorbitants du marché, eux-mêmes dopés par les prix du gaz.

Et pour cause, celui-ci autoriserait la signature de contrats à prix garantis par l'Etat français (appelés CfD) avec l'exploitant du parc atomique, EDF, afin d'encadrer les tarifs de l'électricité issue des centrales existantes. Les pouvoirs publics pourraient ainsi soutenir financièrement l'énergéticien quand les prix de marché sont trop bas...mais aussi ponctionner une partie de ses marges quand les prix s'avèrent largement supérieurs aux coûts de production, comme c'est le cas aujourd'hui, de manière à les redistribuer aux clients finaux.

Seulement voilà : selon plusieurs observateurs, la mise en œuvre concrète reste pour le moins floue, et n'éloignerait pas le spectre d'une hausse des mensualités pour les particuliers.

Lire aussiLes Vingt-Sept s'accordent enfin sur la réforme du marché européen de l'électricité

« Pas de recette magique »

Car en réalité, il existe déjà aujourd'hui un mécanisme de régulation du nucléaire qui, s'il est loin d'être parfait, est censé préserver en partie les consommateurs de la flambée des prix du marché : l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Concrètement, ce dispositif permet aux opérateurs autres qu'EDF de lui acheter un certain volume à un prix cassé, à 42 euros du mégawattheure (MWh). En 2022, 68% de la production totale d'EDF a ainsi été vendue à ce prix...ce qui n'a pas suffi à protéger les ménages de la flambée des cours sur le marché liée, entre autres, à la guerre en Ukraine, obligeant l'Etat à dégainer son fameux bouclier tarifaire.

« Cela montre bien qu'il n'y a pas de recette magique », affirme à La Tribune un analyste de marché.

D'autant que l'idée d'un nouveau tarif encadré à 42 euros/MWh seulement semble définitivement enterrée : alors que l'ARENH expire en 2025, plus personne ne nie que son remplaçant devra garantir un prix de vente bien supérieur à EDF. Au moins égal, en tout cas, à ses coûts de production, lesquels ont monté en flèche ces dernières années. Notamment parce qu'il faut désormais y intégrer les frais du Grand Carénage, ce vaste programme pour prolonger au maximum les installations existantes estimé à 100 milliards d'euros (75 milliards d'investissements et 25 milliards pour l'exploitation).

« On doit s'attendre à une augmentation des factures, car l'ARENH à 42 euros/MWh ne tient plus du tout la route », souligne l'économiste Jacques Percebois, qui siégeait à la fameuse Commission Champsaur de 2009, à l'origine de l'instauration de ce mécanisme.

« Avec un montant à 42 euros le MWh, ça fait longtemps que les gouvernements font croire que l'énergie est moins chère que ce qu'elle est en réalité », abonde un fournisseur d'énergie.

Il y a quelques semaines, le gouvernement a d'ailleurs missionné la CRE (Commission de régulation de l'énergie) pour qu'elle calcule les « coûts réels » du nucléaire en France, qu'elle a finalement estimés autour de 60 euros/MWh. « Cela veut dire qu'on ne peut plus descendre en-dessous ! », précise Jacques Percebois.

Lire aussiPourquoi EDF et le gendarme de l'énergie s'écharpent sur les vrais coûts du nucléaire

Des coûts de production supérieurs au niveau de l'ARENH

Cependant, la hausse du prix garanti par l'Etat (de 42 euros/MWh à environ 60 euros, donc) pourrait aller de pair avec une augmentation du volume d'électricité cédée à ce tarif. Mais ce scénario risque bien de déplaire à EDF, qui espère vendre une bonne partie de sa production sur le marché, ou dans le cadre de contrats de gré à gré avec des clients finaux, sans encadrement de l'Etat.

Par ailleurs, la Commission européenne, généralement frileuse à l'idée qu'un acteur en quasi-monopole bénéficie d'une garantie financière de l'Etat en cas de chute des prix de marché, promet de veiller au grain. « Les CfD [...] doivent être conçus de manière à garantir que la répartition des revenus entre les entreprises ne crée pas de distorsions indues de la concurrence et des échanges sur le marché intérieur », peut-on d'ailleurs lire dans le texte approuvé par les Vingt-Sept ce mardi.

« En fait, il manque le principal. On ne connaît ni les niveaux de prix, ni les modalités concrètes, ni si les CfD seront construits de manière à ce qu'EDF soit payé au même prix pour chaque MWh produit... », pointe Emeric de Vigan, vice-président chargé des marchés électricité chez Kpler. « Pourra-t-on mettre tout le nucléaire historique sous CfD ? En l'état, la question reste entièrement en suspens, et la Commission fera attention aux éventuelles distorsions de concurrence », ajoute Jacques Percebois.

Dans ces conditions, le gouvernement pourrait même abandonner l'idée des CfD, au moins dans un premier temps, et leur préférer la mise en place d'un simple prix plafond pour la vente d'une partie de la production d'EDF. « Mais ce serait réintroduire une forme d'ARENH », estime Jacques Percebois. Pour sûr, si la France se targue d'avoir remporté une « victoire importante » avec le compromis trouvé mardi, les inconnues restent encore très nombreuses.

Lire aussiNucléaire : EDF en discussion avec 8 pays européens pour vendre ses EPR

Marine Godelier

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Commentaires 19
à écrit le 20/10/2023 à 23:08
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A la lumière des commentaires qui précèdent, je frémis à l'idée que je ne pourrai pas même déchiffrer la facture EDF; combien cela me coûtera-t-il de visualiser LINKY?

à écrit le 20/10/2023 à 16:01
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Pour moi le niveau de l'arnaque économique est monstrueuse !!!! car le plus fort est que des centrales vont être construites avec nos impôts, pour alimenter un faux marché qui ne fonctionne pas sans ruiner edf et du coup les citoyens et les entrepri...

à écrit le 20/10/2023 à 12:34
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@BIOMAN. Vous avez très bien résumé l'état du patient 👍👏CQFD.

à écrit le 20/10/2023 à 12:23
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Rappelons qu'edf appartient à l'état, donc la meilleure idée serait de laisser EDF gérer ses affaires et gagner de l'argent, que le gvt pourra redistribuer ensuite...

le 20/10/2023 à 20:52
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Cela dépend car si on veut favoriser notre industrie (ce qui permet également d'augmenter les recettes de l'état) il est préférable d'avoir un cout du MWh le plus bas possible, sans creuser la tombe d'EDF évidemment. C'est un équilibre à trouver, à p...

à écrit le 20/10/2023 à 11:48
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La facure va augmenter certes mais cet argent ira pour EDF et non pour les opérateurs alternatifs inutiles. Par ailleurs elle ne sera plus dépendante du marché de l'électricité Européen très volatil ces derniers temps. ps : le mécanisme de régulatio...

le 20/10/2023 à 15:59
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La facture va passer à 60 a70 € du MW /h contre 30€ il y a une dizaine d'années, ou est notre état stratege

le 20/10/2023 à 20:49
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30 €/Mwh c'était sans compter le refinancement de la dette d'EDF payé par le contribuable, car à ce tarif là impossible qu'EDF soit rentable.

à écrit le 20/10/2023 à 10:46
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Vos articles Tribune me font penser de plus en plus aux chaînes infos Françaises: "accord inespéré à Bruxelles" et aujourd'hui "est-ce que les consommateurs vont voir leur facture électricité baisser "? Du reste le bon titre aurait été quel prix de ...

à écrit le 20/10/2023 à 10:15
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Il manque un aspect à cet article : qui y gagne et qui y perd. Les fournisseurs alternatifs y perdent un avantage indû (ils ne produisent pas mais bénéficient de l'ARENH aujourd'hui, et pas demain). EDF récupère l'avantage lié au fait de produire l'...

à écrit le 20/10/2023 à 9:21
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Comment les ménages peuvent-ils faire un budget prévisionnel avec des prix aussi erratiques, à savoir que l'électricité au fin fond du Laos ou du Cambodge reste à des prix dérisoires pour des infrastructures en pleine forêt. Ici on se fait plutôt cou...

à écrit le 20/10/2023 à 7:57
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evidemment que ca va pas baisser, y a un argument imparable, le transit energetique tolerant donc de gauche, c'est a dire qu'apres avoir coule edf pour le racheter gratuitement ( mais sans etre poursuivi pour manipulation de cours, c'est tres curieux...

le 20/10/2023 à 8:25
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"churchill" , vos propos sont déconnectés des réalités économiques mais également du monde politique. Est-il besoin de vous rappeler les déficits cumulés d'EDF ? Est-il besoin de vous rappeler le coût des opérations décennales s'agissant les actu...

le 20/10/2023 à 9:14
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La retraite à la sncf est à 64 ans comme le privé.. @ Churchill quine connaît rien des dossiers. Je suis cheminot agent de maitrise en maintenance 46 ans donc concernée par la réforme de 2018 …mais j ai pas votre salaire le mien plafonne à 2067€ As...

le 20/10/2023 à 9:14
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La retraite à la sncf est à 64 ans comme le privé.. @ Churchill quine connaît rien des dossiers. Je suis cheminot agent de maitrise en maintenance 46 ans donc concernée par la réforme de 2018 …mais j ai pas votre salaire le mien plafonne à 2067€ As...

le 20/10/2023 à 9:16
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La retraite à la sncf est à 64 ans comme le privé.. @ Churchill qui ne connaît rien des dossiers notamment Sncf . Je suis cheminote agente de maitrise en maintenance 46 ans donc concernée par la réforme de 2018 …mais j ai pas votre salaire le mien p...

le 20/10/2023 à 9:16
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La retraite à la sncf est à 64 ans comme le privé.. @ Churchill qui ne connaît rien des dossiers notamment Sncf . Je suis cheminote agente de maitrise en maintenance 46 ans donc concernée par la réforme de 2018 …mais j ai pas votre salaire le mien p...

le 20/10/2023 à 9:44
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@reponse de Bioman Inutile de faire des commentaires réalistes face la logorrhée de chiurchill sur la "bienveillance tolérante de Gauche!" Tous les "psychos" qui se sont penchés sur le cas "churchill" se sont cassés les dents!

à écrit le 20/10/2023 à 7:08
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Parce que notre classe dirigeante ne veut pas que les factures baissent mais pas qu'elles montent trop non plus.

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