
Voilà qui ne va pas calmer la défiance des opposants à Linky. Alors que le gouvernement assure qu'il prévoit une « tension moindre » sur le réseau électrique cet hiver, éloignant la menace du tant redouté blackout, un projet de décret montre que ce risque n'est pas définitivement écarté. Effrayé à l'idée de devoir opérer des coupures tournantes si le courant venait à manquer, l'exécutif cherche en effet à modifier la réglementation pour tester unilatéralement la réduction de puissance électrique chez quelque 200.000 Français équipés d'un compteur Linky. Et pour cause, ces derniers permettent, grâce à des ordres envoyés en avance, d'abaisser temporairement le seuil de puissance maximale pouvant être soutirée par un client.
Objectif affiché : « déterminer s'il est possible techniquement de mettre en œuvre une nouvelle mesure hors marché [...] si la disponibilité des moyens de production d'électricité est moindre », peut-on lire dans le document. Et ce, pour « réduire ou éviter le recours au délestage », c'est-à-dire l'organisation de coupures d'électricité localisées et réparties sur le territoire.
« L'idée, c'est que certains clients soient forcés de consommer un peu moins, plutôt que de devoir éteindre complètement la lumière à un endroit », précise une source proche du dossier.
Méthodes « soviétiques »
Concrètement, les ménages en question devront se contenter d'un « seuil de puissance minimal permettant de faire fonctionner les équipements courants peu énergivores », sur une période courant de la date de publication du décret jusqu'au 31 mars 2024. L'expérimentation pourrait avoir lieu un jour ouvré « entre 6h30 et 13h30 et entre 17h30 et 20h30 », pendant une durée maximale de 4 heures, sans aucun recours ni indemnisation possible de la part de l'Etat.
De quoi déclencher l'ire de plusieurs parties prenantes. « Le texte a été préparé sans associer les représentants des consommateurs et les fournisseurs », note-t-on à l'Anode, l'association professionnelle des fournisseurs alternatifs d'électricité et de gaz, qui n'est cependant « pas en désaccord sur le fond ». « Si vous vous chauffez avec une pompe à chaleur (PAC), celle-ci risque de tirer trop fort et donc de faire sauter le courant chez vous ! », affirme un fournisseur d'énergie ayant requis l'anonymat, dénonçant des méthodes « un peu soviétiques ».
Passer la pointe sans encombre
Depuis des mois pourtant, l'exécutif encourage les Français à souscrire volontairement des offres dites « à pointe mobile », qui incitent à diminuer sa consommation d'électricité durant les heures ou jours de pic de consommation, en augmentant les tarifs à ces moments précis. Le ministère de la transition énergétique s'est d'ailleurs félicité, ce jeudi 12 octobre, du succès de ce type d'abonnement, et notamment de l'offre Tempo d'EDF dont « le nombre de clients a doublé en un an ».
Ce projet de décret signifie-t-il qu'une telle stratégie ne suffira pas, malgré l'optimisme affiché ? « La priorité absolue du gouvernement, c'est de passer la pointe sans encombre », embraye un fournisseur.
Interrogé, le ministère de la Transition énergétique se veut pourtant rassurant :
« Ce mécanisme ne serait, de même que les coupures programmées, activé que si tous les autres leviers étaient insuffisants pour éviter un écroulement du réseau électrique. [...] On parle de cas de figure extrêmes, qui ne se sont jusqu'à présent jamais produits, y compris l'hiver dernier, au cours desquels les gestionnaires de réseaux seraient amenés à prendre des mesures de dernier recours pour éviter une coupure d'électricité généralisée (blackout) », souligne un porte-parole.
« La responsabilité politique, c'est de cherche à améliorer les dispositifs en permanence, pour éviter d'être confronté dans l'avenir à une situation de tension », ajoute-t-on dans l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher, précisant que le risque d'un éventuel manque d'électricité ne concerne pas spécifiquement cet hiver.
Une concertation prévue le 12 octobre
Par ailleurs, avant de subir la fameuse baisse de puissance, les foyers concernés seraient mis au courant « par voie postale ». Enfin, le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité, Enedis, devrait « informer les clients résidentiels identifiés comme patients à haut risque vital » de l'expérimentation et ne pas appliquer la limitation de soutirage à leurs points de livraison, précise le projet de décret.
Reste à voir si ce dernier passera en tant que tel. Pour en décider, une réunion de concertation aura lieu ce vendredi, avant que le texte ne soit proposé le 26 octobre lors d'un Conseil supérieur de l'énergie (CSE), une instance de consultation pour tous les textes sur l'énergie. Quelle qu'en soit l'issue, cette opération en sous-marin montre, en tout cas, que la crise n'est pas tout à fait derrière nous.
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