Energie : le bouclier tarifaire n'a pas permis de redistribuer les surprofits, selon la Cour des comptes

Dans un rapport publié ce vendredi, la Cour des comptes affirme que les mesures d’aide mises en place en 2022 et 2023 pour faire face à la flambée des prix de l'électricité n’ont pas permis de capter les marges importantes de certains acteurs de marché. Résultat : les consommateurs ont dû (et doivent toujours) « supporter » des tarifs « de plus en plus éloignés des coûts de production », selon la juridiction financière. Or, le futur cadre de régulation des prix proposé par le gouvernement repose sur le même principe de captation des rentes par l’Etat, lequel n’aurait donc pas fonctionné pendant la crise.
Marine Godelier
La Cour des comptes adressait ses conclusions dans un épais rapport publié ce vendredi.
La Cour des comptes adressait ses conclusions dans un épais rapport publié ce vendredi. (Crédits : Reuters)

Le bouclier tarifaire sur l'énergie, mis en place par le gouvernement fin 2021 pour limiter l'envolée des factures des consommateurs pendant la crise, a-t-il été efficace ? Pas totalement, estime la Cour des comptes : l'ensemble des mesures, qui ont coûté près de 72 milliards d'euros à l'Etat (dont 36 milliards d'euros nets), auraient pu être mieux aiguillées. C'est l'une des conclusions dressées par la juridiction financière dans un épais rapport publié ce vendredi.

Sur l'électricité notamment, si les dispositifs d'aide ont permis aux particuliers de bénéficier de prix plus bas que la plupart de leurs voisins européens, elles n'ont pas évité « l'arbitrage entre protection du consommateur et préservation du contribuable », note la Cour.

En effet, tandis que des producteurs, fournisseurs et intermédiaires ont pu vendre des mégawattheures aux prix mirobolants du marché, l'Etat avait décidé de ponctionner ces « profits indus », appelés rentes infra-marginales, afin de les redistribuer aux consommateurs via le bouclier tarifaire. Mais selon le rapport, le mécanisme a « préservé des marges bénéficiaires importantes à l'amont du marché de détail » qui ont été « insuffisamment » captées par l'Etat. Les négociants, producteurs et fournisseurs d'électricité ont ainsi enregistré « plus de 30 milliards d'euros de marges bénéficiaires nettes » (avant impôt sur les sociétés) en 2022 et 2023.

Ce qui a conduit « à faire supporter aux consommateurs des prix de plus en plus éloignés des coûts de production » : près de la moitié du tarif payé par les entreprises, et près d'un quart du prix payé par les ménages couvrirait ainsi une rémunération de la production nationale « au-delà de ces coûts » complets, peut-on lire. Globalement, la facture a excédé « de 37 milliards les coûts de production sur 2022 et 2023 », a ainsi précisé vendredi matin Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Contre un rendement prévisionnel de 6 milliards d'euros « au plus » pour le prélèvement des rentes susnommées.

« Si la régulation était efficace, la captation de ces marges par l'Etat auraient dû lui permettre de financer les mesures d'aide [...] pour un montant neutre », a-t-il ajouté.

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« Echec » de l'ARENH

La Cour relève ainsi « l'incapacité des mesures exceptionnelles, et en particulier de la contribution sur les rentes infra-marginales », qui consistaient, donc, à ponctionner les profits des électriciens au-delà d'un certain seuil prédéfini, « à corriger suffisamment les effets de transferts entre les consommateurs et les acteurs du marché de gros ».

Concrètement, cela pourrait s'expliquer par des seuils trop élevés retenus par l'Etat pour la captation des rentes, « supérieurs » aux coûts de production pour certaines filières, en particulier pour le « nucléaire » et le « thermique » (gaz, charbon), selon le document. Et proviendrait également du fait que certaines filières restent exclues du champ de cette contribution, notamment les réservoirs hydrauliques, « pour une perte d'assiette estimée à 4,6 milliards d'euros par la Commission de régulation de l'énergie sur 2022-2023 », précise la Cour.

Résultat : il est « peu probable » que les Français, « qui ont supporté l'essentiel des conséquences d'une facturation largement supérieure aux coûts de production nationaux en 2022, 2023 et probablement 2024 », puissent bénéficier spontanément d'une « situation inverse ». En effet, les marges que l'État n'aura pas su capter « seront définitivement acquises à ces derniers, financés par des prix de détails trop élevés et un creusement des déficits publics ». La Cour propose ainsi au Parlement de « faire évoluer » le « champ » et les « modalités » de calcul de ce prélèvement des rentes en 2024, afin d'en « augmenter le rendement ».

Au global, la juridiction se montre d'ailleurs très critique envers le cadre de régulation du marché de l'électricité, constatant « l'échec, en pratique, de la loi NOME [qui oblige EDF à vendre une partie de sa production à vil prix à ses concurrents va l'ARENH, ndlr] à contenir les effets d'une flambée des prix de gros de l'électricité ».

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Vigilance sur le futur cadre de régulation

Et cela n'augure rien de bon pour la suite. Car le schéma de régulation qui devrait succéder à la loi NOME après 2025, dévoilé en novembre par l'Etat, « s'inspire fortement de la combinaison, mise en œuvre lors de la crise, d'une taxation du revenu des producteurs et d'une baisse administrée des prix de détail ». Autrement dit, du mécanisme de prélèvement des rentes infra-marginales, lequel, donc, n'aurait pas fonctionné. Annoncé en novembre par l'exécutif, ce dispositif consistera, en effet, à capter 50% des revenus d'EDF lorsque l'entreprise vendra sa production nucléaire au-delà de 78-80 euros/MWh, puis ponctionner 90% au-delà de 110 euros/MWh.

Par conséquent, la juridiction financière invite à être « particulièrement vigilant » sur le sujet d'établissement de l'assiette des revenus de la production nucléaire soumis à taxation, mais aussi à « assurer la plus grande transparence possible sur le lien entre la fixation des seuils et taux de taxation et le niveau des coûts complets du parc de production ».

Alors que ces dispositions devaient figurer dans le projet de loi « Souveraineté énergétique » du gouvernement, celui-ci n'est finalement plus à l'ordre du jour, et le mécanisme pourrait finalement passer par le futur projet de loi de finances. Une chose est sûre : quel que soit le véhicule législatif, le sujet sera suivi de près.

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Des aides pas assez ciblées, au détriment des finances publiques...et du climat

Dans son rapport, la Cour des comptes relève un autre problème : le bouclier tarifaire n'a pas suffisamment visé les ménages dans le besoin. Pour l'essentiel (à 90%), les mesures d'aide aux particuliers face à la flambée des prix du gaz, de l'électricité et du carburant n'ont pas été ciblées en fonction des « revenus » ou des « capacités d'absorption de ce choc des bénéficiaires », note en effet le rapport.

En conséquence, celles-ci ont « réduit les incitations à une moindre consommation de produits énergétiques », y compris polluants, souligne la Cour des comptes. Ce qui a « augmenté les émissions de CO2 liées aux transports », « atténué le signal-prix de rareté apparu sur les marchés européens du gaz et du pétrole » et entraîné un « effort budgétaire [...] particulièrement lourd », peut-on lire.

La remise à la pompe introduite en avril 2022, par exemple, a représenté une subvention équivalente à plus de 60 euros par tonne de CO2 émise sur le carburant, ce qui a « accru toutes choses égales par ailleurs l'empreinte carbone des automobilistes ». Et plus précisément de 48 à 93 kilogrammes, selon le Conseil d'analyse économiste, en réduisant les tarifs de 10,8% en moyenne par rapport aux évolutions des cours du marché.

Or, écrit la Cour, ce phénomène est d'autant plus problématique que « la consommation de gaz et de carburants pétroliers est aujourd'hui sous-tarifée au regard du contenu en carbone de ces produits ». Plutôt que de subventionner massivement ces hydrocarbures, celle-ci appelle donc à privilégier l'utilisation de chèques énergie, à destination des consommateurs les plus vulnérables. Une préconisation qui promet de relancer le débat sur l'accompagnement social de la transition écologique.

Marine Godelier

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Commentaires 7
à écrit le 21/03/2024 à 20:01
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Si c'était HOLLANDE qui avait 1 % de l'incompétence de ce gouvernement, tous les médias hurleraient et se rouleraient de douleur...

à écrit le 15/03/2024 à 14:24
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Et silence sur le prix européen de l'énergie, voulu par L'Union Européenne pour avantager l'Allemagne avec la complicité des dirigeants français , sans rapport aucun avec le coût de production des centrales nucléaires françaises ? Il n'y aura que le...

à écrit le 15/03/2024 à 11:57
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Le vrai nerf de la guerre du sujet : qui payent les 200 milliards nécessaire pour les epr et rénovations diverses du réseau électrique français ? : le contribuable qui ne représente que 47 % des foyers -53% par le truchement du quotient familial ne ...

le 15/03/2024 à 21:50
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TOUT le monde paie des "impôts" même les touristes qui viennent visiter notre pays. L'IR c'est peu en somme collectée vs les quatre TVA, la CSG, la TICPE. Vous achetez du pain = TVA, le plein de votre mobylette (pas assez riche pour une voiture) TICP...

à écrit le 15/03/2024 à 11:51
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des super-profits ca n EXISTE PAS, pas plus que des super-pertes!!!!! Allez prendre des cours de comptabilite, d'analyse financiere et de controle de gestion....au passage, personne n'a demande la redistribution des super pertes de EDF suite aux mago...

le 16/03/2024 à 9:32
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A qui s'adresse cet "Allez prendre des cours..."? A la Cour des comptes? ou à Bercy? Plus généralement, cessez donc de renvoyer les français à leurs supposées incompétences en économie, ne voyant dans cette incompréhension que des problèmes technique...

à écrit le 15/03/2024 à 11:34
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Est-ce vraiment si surprenant? Ce pays fabrique des "nigauds" nourris aux rentes de situation depuis des décennies, pour ensuite chercher à cloner un certain programme éducatif américain (No child left behind de 2001) qui ne pri­vi­lé­gie plus la com...

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