Enquête : la Coupe du monde fait rêver Soweto

Le township symbole de l'Afrique du Sud post-apartheid souhaite profiter à plein de la Coupe du monde pour accélérer sa mue et son développement économique. Mais au-delà du coup de peinture, les problèmes de pauvreté demeurent.

16 juin 1976 à Soweto. Un jeune homme porte à bout de bras un garçon mourant. La police du régime d'apartheid vient d'ouvrir le feu sur les adolescents protestant contre l'enseignement en langue afrikaans. À 12 ans, Hector Pieterson est l'une des premières victimes. Il devient le symbole d'une répression aveugle. L'image a fait le tour du monde. Trente-quatre ans plus tard, Soweto accueille les touristes sur le parvis du musée consacré à la mémoire de ces émeutes. Et pendant le Mondial, l'affluence devrait être à son comble. C'est là, à Soccer City dans le stade en forme de calebasse africaine qui peut héberger jusqu'à 95.000 spectateurs, que se joueront le match d'ouverture et la finale de la Coupe du monde.

À 24 km, au sud-ouest de Johannesburg, la célèbre « Southern Western Township » se prépare donc depuis des mois à célébrer la grand-messe du football. La ville de Johannesburg a investi plus de 40 millions d'euros pour développer les infrastructures. « Nous avions un programme de rénovation sur le long terme, mais le Mondial nous a permis de débloquer des fonds et d'aller beaucoup plus vite », assure Christa Venter, responsable de l'organisation de la Coupe du monde à la mairie de Johannesburg. Le macadam a remplacé des dizaines de kilomètres de routes poussiéreuses et recouvert les nids-de-poule. Les gares ont été rénovées. Le stade d'Orlando, base d'entraînement pour certaines équipes, a été reconstruit et 200.000 arbres ont été plantés pour verdir cette immense banlieue où vit un quart des 4 millions d'habitants de Johannesburg.

Mais le projet le plus audacieux qui bouleverse la vie des résidents, c'est le tout nouveau réseau de bus circulant entre la township et Sandton, le quartier riche du nord de la ville. Le BRT (« Bus Rapid Transit ») représente une véritable révolution là où le régime d'apartheid avait négligé les transports publics pour maintenir les populations noires à l'écart du centre- ville. Et s'il rencontre l'opposition farouche des « minitaxis » collectifs, qui craignent de perdre leur quasi-monopole et ont menacé de recourir à la violence, les cars sont pleins aux heures de pointe. « C'est plus sûr, plus rapide et beaucoup moins cher que les taxis. Ça a changé ma vie pour aller travailler », se réjouit Ernest Makume à un arrêt de bus flambant neuf. Dans la rue Vilakazi, la plus mythique du pays pour être la seule au monde où deux prix Nobel de la paix - Desmond Tutu et Nelson Mandela - ont résidé, Celina Mkhabela regarde passer les visiteurs avec délectation?: « Maintenant, tout est beau et propret. Grâce au Mondial, le quartier ressemble aux banlieues blanches les plus huppées de Johannesburg », se réjouit-elle. En contre-bas, le restaurant Sakhumzi, où l'on vient manger des spécialités locales, a triplé sa superficie. « Notre fréquentation a explosé depuis le mois d'avril, assure Linda Mosia, le manager, et tous nos sous-traitants, aussi originaires de Soweto, en profitent. »

Le grand coup de peinture n'évite pas une certaine standardisation. Les commerçants ambulants ont désormais des cahutes uniformes, abritées par de grands parasols verts. Depuis trois mois, Zandile Malhaba vend devant chez elle des « vuvuzelas », les trompettes en plastique très populaires dans les stades, des drapeaux ou des maillots aux couleurs des Bafana Bafana, l'équipe nationale. « Je rêve depuis longtemps d'avoir une boutique où je vendrais les robes que je dessine et crée à domicile. Peut-être qu'après la Coupe du monde, quand j'aurai vendu tous ces articles aux touristes, ce sera enfin possible », lance-t-elle avec enthousiasme.

Espérant aussi surfer sur le Mondial, des dizaines d'habitants ont rénové leurs anciennes maisons « boîte d'allumettes » pour les transformer en « Bed and Breakfast ». Lebo Malepa a lui créé, il y a près de dix ans, la première auberge de jeunesse de Soweto. Ancien vendeur de souvenirs, le jeune homme a commencé par héberger des chercheurs et des journalistes dans la maison de ses grands-parents. En 2003, il décide de développer sa PME et organise des tours à vélo « pour que les touristes prennent le temps de vivre une expérience différente ». Aujourd'hui, il emploie douze personnes de sa communauté. « Et on devrait même être jusqu'à 30 salariés pendant la compétition. Nous sommes à deux pas du stade », explique-t-il dans un sourire. Comme la plupart de ses collègues, il avoue avoir triplé ses prix?: ses tarifs sont passés de 10 à 30 euros la nuitée dans un dortoir. Et il affiche complet pour la durée du tournoi. Depuis 2007, Soweto possède aussi son premier hôtel quatre étoiles. Un Holiday Inn à la mode township?: îlot de luxe au coeur des quartiers populaires. Dans un immeuble de métal et de béton, sa décoration s'inspire de l'histoire tumultueuse des lieux. Des bidons customisés en guise de tables, des portraits des grands leaders de l'ANC trônent sur les murs des suites et de la réception. « La Coupe du monde, c'est formidable pour Soweto parfois en mal de bonne publicité. Il s'agit de prouver aux réticents ou aux peureux qu'il est possible de venir passer du bon temps ici », clame Rebecca Kambule, responsable marketing du Soweto Hotel. « Nous n'avions jamais eu un tel taux d'occupation en hiver et nous allons héberger de grandes stars. »

« Mais il ne faut pas se leurrer, tempère Thami Mazwai, directeur du Centre de développement des PME à Soweto. Il reste encore de nombreuses poches de pauvreté et le secteur privé investit encore très peu. » Le taux de chômage ici est bien au-dessus de la moyenne nationale qui atteint les 25 % et le développement des entreprises extrêmement lent. Les travaux de Soccer City ont bien permis d'employer 1.300 personnes, majoritairement des ouvriers de Soweto. Mais les syndicats grognent déjà, affirmant qu'aucune de ces créations d'emploi n'est pérenne. À Maponya Mall, l'immense centre commercial sorti de terre il y a trois ans, Charlotte Meje déchante dans son magasin d'optique?: « 2010 ne va pas changer grand-chose. Les loyers sont de plus en plus chers. Aujourd'hui, je n'ai eu que deux clients. Et avec la crise, il y aura beaucoup moins de touristes que prévu. »

Soweto s'embourgeoise

La classe moyenne ne cesse de se développer à Soweto. Les Noirs qui ont réussi après l'apartheid et qui s'étaient installés dans les banlieues nord de Johannesburg, autrefois réservées aux Blancs, reviennent désormais vivre dans leur township. Le niveau de la consommation ne cesse d'augmenter. En 2006, les habitants de Soweto ont dépensé 1,2 milliard d'euros dans l'immense banlieue et la consommation devrait approcher les 1,7 milliard cette année.

 

 

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