[Article publié le vendredi 11 décembre 2023 à 07H00 et mis à jour à 14H18]Apéritif, vin, champagne, digestif... Autant de boissons qui ont leur rond de serviette à la table de Noël des Français. Alors que ces derniers commencent - ou terminent déjà pour certains - les préparatifs des fêtes de fin d'année, les achats d'alcool pourraient-ils souffrir d'un contexte inflationniste qui, s'il tend à s'améliorer, demeure bel et bien visible ? Bien loin du record à plus de 10% atteint en octobre 2022, la hausse des prix atteignait toujours 3,4% sur un an en novembre dernier.
« Les consommateurs sont contraints de faire des choix. Or, le vin n'est pas un choix prioritaire, et on le comprend aisément, admet Joël Boueilh, président de la filière vigneron de Coopérateurs de France. Donc la part qui lui est réservée passe parfois au second plan. »
En témoignent d'ailleurs les chiffres de vente sur l'ensemble de l'année. Ceux-ci attestent d'une réelle baisse des achats. Ainsi, au 5 novembre 2023, le nombre de bouteilles de vin ou de cubis vendus en grande distribution (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité et e-commerce) avait chuté de 4,7% sur un an, selon le cabinet NielsenIQ. Et les blancs, rosés et rouges ne sont pas les seuls à connaître cette désaffection. Elle était toutefois moins prononcée pour la bière, moins onéreuse : ses ventes ont diminué de 1,7%, les vins effervescents (champagne, crémants...) : - 2,3%.
« Les ventes de bière ont bénéficié de la coupe du monde de rugby et, comme les vins effervescents, elle affiche un prix plus avantageux pour le consommateur que les spiritueux dont les ventes ont, elles, chuté de 4% », analyse Yannis Chemlal, consultant senior chez NielsenIQ.
Les consommateurs continuent de se faire plaisir pendant les fêtes
Un constat qu'on ne retrouve toutefois pas au moment des fêtes de fin d'année. Avec 18,4 millions d'unités vendues en 2022 sur la semaine entre Noël et Nouvel an, les ventes sont, en effet, restées stables par rapport à 2021, pointe le cabinet d'analyse.
« C'est la deuxième famille alimentaire des PGC FLS [Produit de grande consommation / frais et libre service, ndlr] qui génère le plus de chiffre d'affaires sur la semaine de Noël, soit 129 millions d'euros », indique NielsenIQ.
Pour autant, le panier des consommateurs a évolué du fait de l'inflation, note Patrick Jourdain, président du syndicat des cavistes professionnels (SCP). « Au moment des fêtes, les gens veulent toujours se faire plaisir, mais en faisant attention tout de même à leur portefeuille. On n'observe donc pas de baisse des ventes, mais la clientèle n'achète pas les mêmes vins qu'avant ni ceux dont les prix ont augmenté », explique-t-il.
Des vins mousseux plutôt que du champagne
Même constat du côté de la grande distribution. « Les acheteurs privilégient plutôt une bouteille de crémant entre 6 et 8 euros qu'une bouteille de champagne à minimum 15 euros », atteste Thierry Desouches, porte-parole du groupe Système U, qui assure que les ventes de celui-ci ont chuté de 15 à 20%. « Ils sont davantage à la recherche du bon rapport qualité-prix et il y a donc une nécessité de mettre en valeur des produits plus économiques », poursuit-il.
« On voit les vins mousseux monter en puissance notamment pendant la période des fêtes », acquiesce Yannis Chemlal de NielsenIQ. Selon les chiffres du cabinet, 16 millions de bouteilles se sont vendues en grande distribution en moyenne en décembre 2022, contre 8 millions de champagne. En comparaison, les chiffres de 2021 étaient respectivement de 15,2 millions d'unités pour les premiers et 9,3 millions pour le second. Patrick Jourdain précise néanmoins que, chez les cavistes, le champagne fait toujours partie des produits privilégiés par les clients qui délaissent néanmoins « ceux des grandes marques, car trop chers, au profit de ceux de producteurs ».
La vente en direct séduit davantage
De manière générale, Joël Boueilh constate que les ventes de vin en grande distribution régressent davantage que chez les cavistes. « Dans un supermarché, le client est livré à lui-même et ne va peut-être pas trouver ce qu'il recherche et donc ne rien prendre, alors que si une personne entre chez un caviste, c'est qu'elle a pour objectif d'acheter du vin et elle va rencontrer un vendeur qui va le conseiller », analyse-t-il.
De même, le consommateur privilégie, quand il le peut, l'achat auprès du producteur directement, abonde Jean-Marie Fabre, président du syndicat des vignerons indépendants. Sur la totalité de leur production, la part de vente en direct, au sein même des propriétés ou lors de salons dédiés représente un peu plus de 40% contre 5% pour la grande distribution et 29% auprès des cafés, hôtels, restaurants et cavistes.
« Et ce, pour deux raisons, avance-t-il, affirmant que cela permet au consommateur le plus souvent d'accéder à des prix entre 15 et 25% moins chers, car il n'y a pas d'intermédiaires, ni de coût de transport ».
« Et parce qu'il aura ainsi accès au producteur indépendant, celui qui a élaboré le vin, et donc à plus de transparence », fait-il encore valoir. Appuyant son propos, il assure que la fréquentation des salons organisés par son syndicat a connu une hausse de 12% cet automne, les consommateurs anticipant les fêtes de fin d'année.
Une désaffection croissante pour le vin
Sans compter qu'au-delà de la hausse des prix, le vin souffre d'un phénomène de désaffection qui pèse sur les ventes et qui s'explique, d'une part, par une évolution de la consommation désormais davantage occasionnelle que régulière en comparaison avec les années 1980 quand celle-ci « représentait la moitié de la population nationale », rappelle la neuvième édition de l'enquête quinquennale sur la consommation de vin en France. « Les consommateurs réguliers de vin tendent à disparaître, sous l'effet du renouvellement des générations », expliquent ainsi les auteurs de l'étude, « les jeunes générations consommant du vin de façon occasionnelle le plus souvent ».
Mais cela s'inscrit aussi « dans une tendance globale de baisse de la consommation d'alcool », notent FranceAgriMer et le Cniv, en rappelant « qu'entre les années 1960 et 2022, la consommation individuelle moyenne de vin des Français a chuté de plus de 60% ».
D'autant que le vin « se retrouve confronté à une forte concurrence, car l'offre a explosé ces dernières années dans les rayons de la grande distribution, avec la bière notamment, mais aussi avec plein d'autres produits qui tentent d'être les plus attirants possibles pour le consommateur, constate, en effet, Joël Boueilh. Le vin, qui peut apparaître has been, notamment auprès des plus jeunes, doit se renouveler, inventer de nouvelles histoires, créer de nouveau la surprise. C'est là tout le challenge pour la filière viticole ».
Un défi qui passe notamment par de nouveaux goûts et « peut-être par du vin avec des degrés moins élevés, voire sans alcool. Ça fait partie des sujets que nous étudions », assure le représentant chez les Coopérateurs de France. En complément, il pointe un autre challenge pour la profession, si elle veut renforcer encore davantage la vente en direct : la logistique. Et d'expliquer : « Lorsque l'on vend à la grande distribution, on livre à un entrepôt, et c'est l'enseigne qui se charge de répartir les bouteilles dans ses magasins, mais quand on fait de la vente chez des cavistes par exemple, on doit repenser notre organisation pour parvenir à distribuer le vin dans tous ces points de vente et nous ne sommes pas complètement prêts ». Autant d'enjeux que le vin devra affronter pour espérer garder sa place privilégiée à la table des Français.
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