Au cœur du dilemme : jusqu'à 1 milliard d'euros. C'est ce que pourrait ponctionner le gouvernement au régime de retraite complémentaire des ex-salariés du privé, Agirc-Arrco. Objectif, alimenter le régime de retraite général. Seul hic, la plupart des partenaires sociaux, CGT et Medef en tête, sont contre. En outre, deux lignes, deux visions s'affrontent au sein du gouvernement.
Le dossier est tellement sensible politiquement qu'à la veille de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à l'Assemblée nationale, ce lundi, l'exécutif n'a toujours pas tranché.
La ligne dure du ministre du Travail
Pour le locataire de la rue de Grenelle, au ministère du Travail, inutile de tergiverser. Il faut piocher dans les recettes de l'Agirc-Arrco. Si Olivier Dussopt n'a pas d'état d'âme, c'est parce qu'il estime avoir prévenu les partenaires sociaux, avant l'été, de la nécessité d'un abondement nécessaire des régimes complémentaires au régime de base. Avec cet argument : la réforme des retraites, en reculant l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, fait gagner de l'argent aux régimes complémentaires. Il estime donc normal que ces derniers en restituent une partie pour payer, notamment la revalorisation des petites pensions. « Ils ne veulent pas de la réforme, mais ils veulent bien les gains de la réforme », résume son entourage.
Le ministre du Travail pensait qu'un compromis pourrait être trouvé avec les partenaires sociaux, gestionnaires de l'Agirc-Arrco - au moins à hauteur de 500 millions d'euros cette année. Sauf qu'à l'exception des deux organisations patronales CPME et U2P, les syndicats et le Medef ont dit « non » au ministre.
Pas question pour eux, en effet, de toucher à l'argent de la caisse de retraite du secteur privé gérée de façon autonome depuis plus de 70 ans.
« Nous ne voulions pas de cette réforme des retraites, que nous avons combattue, il n'y a aucune raison que ce soit la double peine pour les retraités du privé à qui le gouvernement demande déjà de travailler deux ans de plus », assène ainsi Sophie Binet à la tête de la CGT.
Pour Patrick Martin, président du Medef, il n'en est pas question non plus, mais le patron des patrons en fait plutôt « une histoire de principe, de respect du paritarisme, du dialogue social. » Surtout, si aujourd'hui, le gouvernement commence à piocher dans ces caisses de retraite, c'est la porte ouverte à d'autres ponctions, notamment à l'Unédic.
Reste que pour boucler son budget, le gouvernement a du mal à faire l'impasse sur ce milliard d'euros. A fortiori, parce que celui-ci s'inscrit dans le pacte de stabilité que la France a adressé à Bruxelles. Aussi, à Bercy observe-t-on, la même ligne que prônée par Olivier Dussopt.
L'article 10 du PLFSS en question
Puisque les syndicats et le Medef ont fermé la porte à tout geste concerté, le gouvernement doit trouver une solution s'il souhaite obtenir cet argent. Selon nos informations, l'option envisagée consiste à déposer, via la majorité, un amendement à l'article 10 du PLFSS. Objectif affiché, mettre fin au principe de compensation intégrale des allégements généraux vers les régimes. Jusqu'alors, chaque année, le gouvernement reversait à l'euro près ce qu'il devait aux organismes sociaux après les allégements de cotisations.
Las, l'exécutif pourrait acter une véritable rupture et en finir avec la sanctuarisation de ces compensations. Cette année, pour l'Agirc-Arrco, le montant devant être reversé par l'Etat est estimé entre 7 et 8 milliards d'euros, par les gestionnaires des régimes. Mais, avec un tour de passe-passe, l'exécutif pourrait décider de rétrocéder seulement 6 milliards d'euros, ce qui lui permettrait de ponctionner au passage 1 milliard d'euros. En clair, ce que les partenaires sociaux ont refusé de donner.
« L'exécutif aurait d'autant moins de mal à le faire, que ce mécanisme est déjà inscrit dans le projet de loi pour l'assurance chômage », note une source proche du dossier.
La ligne floue de Matignon
Du côté de Matignon, l'opposition des partenaires sociaux a beaucoup agacé. Mais Elisabeth Borne hésite néanmoins à en passer par une moindre compensation dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Selon nos informations, alors qu'elle cherche à renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, la Première ministre ne veut pas mettre de l'huile sur le feu.
En outre, le sujet a vite pris une tournure politique. Marine Le Pen, la cheffe de file des RN, évoque « un pillage » gouvernemental, et demande à s'opposer à tout prélèvement. Les Républicains, eux aussi, montent au créneau, menaçant le gouvernement d'une motion de censure s'il ponctionne la caisse des retraités du privé, plutôt que d'être capable de mener une réforme de l'Etat.
Idem à gauche, où les députés du PS, comme Jérôme Guedj, s'insurgent contre un gouvernement qui tient un double discours, en affichant, « le respect des partenaires sociaux, d'une part, et de l'autre, en leur faisant les poches. »
Ce lundi après-midi, la question n'était toujours pas tranchée. L'Elysée devait se prononcer dans la soirée. L'examen du texte commence ce mardi à l'Assemblée nationale.