Adoption de l’IA, digitalisation : pourquoi les PME françaises sont à la traîne

Les PME françaises ne sont pas aussi promptes que leurs homologues européennes à adopter l’intelligence artificielle et d’autres technologies de pointe, et les entreprises européennes investissent elles-mêmes plus lentement que leurs homologues américaines, selon un récent rapport de l’entreprise Sage. L’adoption de quelques mesures simples par les pouvoirs publics français et européens permettrait de donner un coup d’accélérateur, avec à la clef 628 milliards d'euros de croissance économique à débloquer par an dans l’UE.
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Rares sont ceux qui doutent aujourd'hui du potentiel transformateur de l'intelligence artificielle pour l'économie. Les résultats d'une nouvelle étude de Sage, éditeur multinational de logiciel britannique, ont donc de quoi inquiéter.

Elle pointe en effet un retard certain des PME françaises dans l'adoption de cette technologie par rapport à leurs homologues européennes. Seul un tiers d'entre elles ont ainsi complètement ou partiellement adopté l'IA, contre 48% en Allemagne et 57% en Espagne.

Les PME en retard sur le numérique

Ce n'est pourtant pas l'intérêt qui manque : l'étude montre aussi que 84% des entreprises françaises interrogées considèrent que la technologie contribue à l'amélioration de l'efficacité et de la gestion des coûts.

Sur d'autres technologies de pointe, comme la facturation électronique, ce n'est guère plus brillant. Seulement 38% des répondants connaissent le principe de la facturation électronique et seulement 20% des PME françaises y sont préparées, alors même que la transition sera obligatoire pour les PME à partir du 1er septembre 2027.

Si la France est à la traîne en Europe, le Vieux Continent risque de son côté de se laisser distancer par les États-Unis. L'étude pointe en effet le risque de voir l'écart se creuser entre les PME européennes et leurs homologues de l'autre côté de l'Atlantique, alors que l'économie américaine demeure en bonne santé là où l'Europe est au bord de la récession. Les PME américaines prévoient ainsi d'augmenter leurs investissements dans le numérique de 25% au cours des douze prochains mois, contre 16% seulement pour leurs homologues européennes.

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Un retard technologique d'autant plus problématique pour la France et l'Europe que les PME constituent le moteur de leur économie. Les recherches de Sage montrent ainsi que les PME surperforment par rapport au reste de l'économie européenne, avec une profitabilité ajustée de l'inflation de 4,2% par an au premier trimestre 2023, contre 0,2% de croissance pour l'économie européenne dans son ensemble sur la même période.

« Les PME sont beaucoup plus agiles que les grands groupes et savent mieux s'adapter à une conjoncture difficile. Les Allemands, qui disposent d'un tissu d'entreprises locales ultra dynamiques, l'ont bien compris », affirme Arnaud Petit, Président Sage Europe du Sud.

Au total, 628 milliards d'euros de croissance économique pourraient être débloqués chaque année dans l'UE si les PME augmentaient leur taux d'adoption des technologies numériques pour atteindre la moyenne européenne, selon l'étude.

Les freins à l'adoption

Comme évoqué précédemment, le principal frein à l'investissement des PME françaises dans l'intelligence artificielle ne vient pas d'un manque d'intérêt, celles-ci étant au contraire fermement convaincues des possibilités de cette technologie. La première barrière repérée par l'étude est celle du coût : le prix de la technologie est ainsi le plus gros frein à son adoption en France pour 53% des répondants. Un chiffre cohérent avec ce que l'on observe ailleurs en Europe : 20% des PME affirment manquer de trésorerie, et celles qui disent éprouver de telles difficultés prévoient une baisse significative (-44%) de leurs futurs investissements dans les technologies numériques.

« Les Français expriment leur volonté de digitaliser leur entreprise, mais se heurtent aux investissements que cela requiert. L'usage de l'intelligence artificielle demandant une grande puissance informatique, il se fait principalement par le cloud, et l'accès à celui-ci est cher, tout le monde ne peut pas se le permettre », note Arnaud Petit. « L'intelligence artificielle n'est ainsi pas encore exploitée à son plein potentiel en France. Pourtant, les entreprises veulent automatiser un maximum de tâches liées à la comptabilité ou à la gestion de la paie afin de pouvoir se concentrer sur des missions à valeur ajoutée. C'est bien là toute la magie de l'intelligence artificielle qui va permettre de simplifier certaines opérations. »

Les retards de paiement constituent à cet égard un obstacle important pour les PME, les problèmes de trésorerie et de liquidité étant le deuxième obstacle à la croissance, après l'augmentation des coûts. Un problème que l'adoption de technologies de pointe comme l'IA et la facturation électronique pourrait justement permettre de résoudre.

Autre gros obstacle : le manque d'expertise et de compétences techniques. « Toutes les entreprises n'ont pas les moyens d'avoir un directeur technique ou IT. Et toutes n'ont pas des employés formés aux technologies de pointe, capables de se les approprier et de s'en servir pour transformer leurs habitudes de travail au quotidien. Il est donc important d'accompagner les PME dans cette nouvelle ère du numérique qui s'annonce comme une transformation profonde pour l'entreprise, ses parties prenantes et ses tiers. A ce titre, les fonds débloqués par l'Europe sont une réelle opportunité que les PME françaises doivent saisir. »

Mobiliser les pouvoirs publics

L'étude propose plusieurs pistes susceptibles d'être conduites à l'échelon européen pour permettre aux PME du Vieux Continent de disposer de davantage de trésorerie afin d'investir dans les technologies de pointe, et salue certains efforts récemment réalisés. « L'UE a fait des progrès notables, avec le « SME Relief Package » récemment proposé par la Commission européenne pour renforcer la stabilité financière des PME, et la « TVA à l'ère numérique », qui promeut la facturation électronique. De nouvelles actions visant à introduire un régime de guichet unique pour faciliter la conformité fiscale et l'accès en ligne aux procédures administratives sont également des étapes clés pour catalyser leur compétitivité », affirme Derk Bleeker, président EMEA de Sage.

« Pour favoriser un environnement réglementaire favorable aux PME, la numérisation doit être intégrée par défaut dans la législation. Les PME doivent également être responsabilisées par des incitations financières, une formation complète et les bons outils numériques pour réussir leur transformation numérique. »

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Côté français, l'État peut également jouer un rôle de promoteur, selon Arnaud Petit, notamment en adoptant plus rapidement les technologies de pointe dans ses services de proximité afin de familiariser davantage le grand public avec ces technologies. « Paiement des impôts, poste, santé... autant de services publics qui pourraient être davantage digitalisés. Un pays comme l'Espagne, qui a pourtant commencé à digitaliser sur le tard, a fait des progrès spectaculaires sur ce plan-là au cours des dernières années. Cela montre que c'est possible. »

Un surcroît de pédagogie serait également bienvenu, selon l'expert. « Si l'on reprend l'exemple de la facture électronique, les pouvoirs publics mettent actuellement les bouchées doubles pour être prêts en 2026, mais il y a très peu de communication là-dessus. Il faudrait que l'État prenne davantage le temps de communiquer dans les territoires sur l'importance de ce chantier afin de le démystifier auprès des acteurs économiques locaux, de montrer en quoi c'est une opportunité pour acquérir de nouveaux clients et gagner de l'argent, expliquer au tissu économique national qu'il y a là un formidable enjeu de compétitivité. »

Commentaires 2
à écrit le 15/12/2023 à 11:29
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noter que d'après l'étude du think tank anglais IPPR de juin dernier sur le sous-investissement britannique, les USA ne sont pas vraiment en tête des pays OCDE en matière d'investissement des entreprises : 25e sur 30. il y a pas mal de pays européens...

à écrit le 15/12/2023 à 8:32
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Ben nous autres européens, en particulier nous autres français, avons une capacité cognitive suffisante pour voir que cette IA pour le moment est un super gadget mais qu'elle n'est pas prête de concurrencer le cerveau humain alors nous restons dubita...

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