Climat : la solitude des maires face aux défis environnementaux

EXCLUSIF. A quelques jours de l'ouverture du Congrès des maires et de l'organisation de la COP28, le cabinet de conseil The Boson Projet, en partenariat avec Bouygues Immobilier, vient d'interroger trente élus locaux sur la ville de demain. Sans surprise, le climat et l'habitat apparaissent comme une double contrainte pour les maires. Deux enjeux qui s'opposent à court-terme mais qui, à long-terme, convergent pour réconcilier la fin du monde, en matière d'écologie, avec la fin du mois sur le pouvoir d'achat. Décryptage.
César Armand
Les espaces verts, l'exposition à la pollution... - et les prix de l'énergie - en augmentation depuis septembre 2021 - deviennent des priorités pour les maires.
Les espaces verts, l'exposition à la pollution... - et les prix de l'énergie - en augmentation depuis septembre 2021 - deviennent des priorités pour les maires. (Crédits : Damien Meyer/Pool/AFP)

C'est une étude riche d'enseignements sur les élus locaux et la lutte contre le dérèglement climatique que dévoile La Tribune en exclusivité. Alors que le 105è Congrès des maires se tiendra du 21 au 23 novembre à Paris et que la COP 28 se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre, le cabinet de conseil The Boson Project, en partenariat avec Bouygues Immobilier, vient d'interroger trente édiles, adjoints et conseillers municipaux sur la ville de demain.

Trois ans après les élections municipales de 2020 qui ont vu le nombre d'élus écologistes passer de 333 à 1.371, le premier défi évoqué par les édiles locaux est l'enjeu environnemental. Un enjeu qui surpasse tous les autres mais qui doit se concilier avec la pénurie « sans précédent » d'habitats. Et pour cause : entre la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols et la cherté des terrains disponibles qui en découle, « cela rend plus difficile la capacité des élus à créer du logement à bas coût », pointe The Boson Project.

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Le climat et l'habitat, une double contrainte pour les maires

Malgré cette double contrainte - le climat et l'habitat - qualifiée de « fin du monde, fin du mois, même combat » dans le langage des « Gilets jaunes », le cabinet de conseil a décidé de projeter les écharpes tricolores à 2040, tant pour s'extraire de la durée du mandat en cours (2020-2026) que pour approcher la date-butoir de la neutralité carbone (2050).

Une échéance que les élus locaux, quelles que soient la densité, la localisation et la taille de leur commune, ont tous en tête sans exception. Quatre profils-types se dessinent ainsi : l'édile d'un territoire pauvre qui doit résoudre les problématiques sociales avant celles liées au climat, le maire « enfant du pays » qui est né, qui a grandi dans sa ville et qui veut la changer, le technicien de l'écologie qui applique son métier d'origine dans sa fonction politique et le converti, ce maire qui s'est allié aux écologistes pour gagner le scrutin.

Aussi les élus locaux doivent-ils « gérer le social tout en pensant à l'écologie », résume The Boson Project.

Deux enjeux qui s'opposent à court-terme mais qui convergent à long-terme

Car si à court-terme les deux enjeux s'opposent, ils convergent à long-terme. Sans surprise, les populations les plus défavorisées sont en effet celles qui vont le plus souffrir du dérèglement climatique. Dans ce contexte, la qualité du cadre de vie - les espaces verts, l'exposition à la pollution... - et les prix de l'énergie - en augmentation depuis septembre 2021 - deviennent des priorités pour les maires. Les uns investissent donc dans l'alimentation locale, les autres dans le zéro déchet pour permettre à leurs administrés de faire des économies sur ces postes budgétaires élevés.

Autres injonctions paradoxales à résoudre: produire du logement et respecter l'environnement. Les maires sont en effet en première ligne dans la délivrance des permis de construire alors même que le rythme d'artificialisation des sols doit diminuer de moitié entre 2021 et 2031. Interrogés par The Boson Project, les élus locaux mentionnent deux méthodes pour parvenir à concilier les deux phénomènes que tout oppose: partir de l'existant en rénovant et en réhabilitant, ou partir du vide en densifiant.

Sauf que selon les témoignages récoltés, le surcoût en euros du renouvellement urbain par rapport à l'aménagement d'un terrain nu est de l'ordre de 15 à 25%. L'association des maires de France (AMF) pousse d'ailleurs vingt propositions en ce sens auprès du gouvernement et du Parlement pour changer les règles du jeu financières et fiscales.

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La densification, qu'elle soit verticale - la surélévation des bâtiments existants - ou horizontale - la résorption des dents creuses -, se heurte, elle, à la résistance des habitants historiques... ou des maires eux-mêmes. Certains édiles affirment au cabinet de conseil qu'ils ont déjà connu une trop forte hausse démographique pour se permettre d'accueillir de nouveaux résidents.

Une exception infirme cette règle non-écrite: les villes en déprise démographique  Ces dernières, frappées par la désindustrialisation, ont du foncier disponible - un luxe aujourd'hui - et travaillent donc sur ce levier pour créer une dynamique économique.

Deux politiques publiques de court, moyen et long-terme

Quoiqu'il en soit, la crise de l'habitat et la lutte contre le dérèglement climatique ont un autre point commun: ce sont des politiques publiques de court, moyen et long-terme. Au milieu, les élus locaux sont quasiment noyés entre les travaux d'agences d'Etat - Cerema, Ademe, Météo France... -, les enquêtes universitaires, les études de l'administration territoriale de l'Etat - des préfectures par exemples -, des agences des métropoles ou encore les sondages d'opinion.

En parallèle de cette surinformation, leurs ressources humaines s'avèrent insuffisantes pour régler ces deux défis de société. Les petites communes n'ont pas de services dignes de ce nom, à la différence des grandes. Du fait de ce manque de moyens, les collectivités territoriales préfèrent mettre en application leur politique sans attendre toutes les études locales et nationales.

La conclusion de The Boson Project est sans appel : les élus locaux ressentent une certaine solitude, quel que soit leur profil. Le dirigeant politique est seul face à un monde en multi-crises et face à des règles du jeu qui changent en permanence, que ce soit en matière de financements ou de réglementations. L'écologiste convaincu est, lui aussi, en face d'habitants qui privilégient leurs intérêts individuels. La figure de confiance de proximité est, également, écartelée entre ses concitoyens et la bureaucratie. Enfin, l'acteur public doit, lui, composer avec des parties prenantes privées et des ressources limitées.

César Armand
Commentaires 6
à écrit le 16/11/2023 à 6:56
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Ne faudrait-il pas plutôt parler des problèmes de fond : dans la longue tradition française (voir les entreprises) il y a un chef unique, au lieu d´un directoire, qui devrait tout faire, tout comprendre. Macron décide de tout, et « accorde » royaleme...

à écrit le 15/11/2023 à 13:23
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Et la solitude du (de la) chef(fe) de famille, qui doit réfléchir aux investissements rendus nécessaires par la transition (voiture, habitat, épargne) dont on sait que la plupart ne sont pas rentables ou exigent des durées d'amortissement déraisonnab...

à écrit le 15/11/2023 à 9:42
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Le "local" est dépouillé de son indépendance financière mais hérite des responsabilités imposés de l'extérieur donnant cette sensation d'être isolé !

à écrit le 15/11/2023 à 9:09
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C'est surtout que la génération des trente trop heureuse d'acheter tout ces nouveaux produits de consommation afin d'oublier les horreurs de la guerre dans notre pays n'a absolument aucune éducation écologique, pour elle la nature c'est du fric à fai...

le 15/11/2023 à 13:24
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Exact. Oxfam (qui parfois se laisse toutefois aller à la provocation) estime qu'un placement de 50000 euros est responsable de 22 tonnes eq CO2 par an (à comparer aux 9 tonnes de l’empreinte carbone annuelle d’un Français). C'est donc bien par la ré...

le 15/11/2023 à 19:07
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Hallelujah ! ^^

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